Saint-Périgord
Que s'est-il passé à Thiviers, pour que l'on ferme une brasserie et un hôtel ne posant apparemment aucun problème ? Entre une banque qui se rétracte, un mandataire qui se désintéresse et des gendarmes sourcilleux des règlements, Marc Frutosso aura manqué de chance et peut-être de discernement. Trois mois après la conclusion juridique partielle de l'affaire, on ne trouve plus personne pour s'exprimer. Ni le mandataire qui invoque le secret professionnel, ni la municipalité, ni bien entendu le greffe du tribunal ayant statué. Selon le mot d'un responsable de la CCI de Périgueux, "il s'agit d'un cas d'école de ce qu'il ne faut pas faire, expliqué par un mauvais professeur". Ce dossier est effectivement complexe. En 95, un professionnel de l'hôtellerie, Marc Frutosso, (48 ans), se porte acquéreur pour 600 kF de l'Hôtel du Parc, établissement classé 2 étoiles, à l'abandon depuis treize ans, auprès de maître Torelli, mandataire périgourdin. Le TGI de Périgueux en autorise l'ouverture et l'exploitation immédiate en date du 11 décembre, l'acheteur étant soutenu financièrement par le Crédit Agricole. "Il y avait urgence, se souvient ce dernier. Le Tribunal me fait donc un bail précaire, et j'obtiens sans problème un prêt pour l'opération, travaux compris, car les assurances exigent une mise en conformité."
1 million de travaux
Des travaux qui sont alors engagés par le nouveau propriétaire, pour un montant de 1 MF.
Le projet consiste à faire revivre l'hôtel restaurant, rebaptisé Hôtel des Chevaliers,
avec la création d'une dizaine d'emplois, toujours en 2 étoiles. Quelques mois plus
tard, une brasserie sous l'enseigne Le Milord y est adjointe. L'ouverture se fait en avril
1996, avec inscription au RC. Mais quelques jours plus tard, se manifeste un actionnaire
minoritaire de l'ancienne SCI propriétaire du "Parc" qui s'oppose à la
transaction par le curieux (et illégal) moyen du fax. Contre toute attente, le tribunal
prononce alors la vente aux enchères immédiate, et l'expulsion pure et simple de
l'acheteur qu'il avait lui-même mis en place...
"Le pire est que personne ne m'avait mis au courant de cette opposition pourtant
formulée officiellement le 12 décembre précédent, s'emporte Marc Frutosso. Le
mandataire ne m'en avait jamais informé, sinon j'aurais abandonné l'affaire avant
d'engager des dépenses."
Histoire sans fin
A partir de ce moment là, alors que l'établissement commence à reconstruire sa
clientèle, le Crédit Agricole, lassé de ne pas voir la vente se faire, prend ses
distances. L'emprunteur fait appel (suspensif) du jugement qu'il considère inique, se
promenant de cours en tribunaux. Accusé d'avoir poursuivi une activité illégale, de
publicité mensongère pour ses 2 étoiles non confirmées, il se voit en prime convaincu
par les gendarmes de servir des alcools sans licence IV. Il l'expliquera plus tard devant
la cour : "Je n'ai pas voulu de licence IV car je ne voulais pas devenir un bar,
et j'ai commis l'erreur de servir des alcools en apéritif alors que la table n'était pas
encore dressée." La mairie de Thiviers porte l'estocade, en prononçant en
juillet 1997 un arrêté de fermeture pour non conformité des travaux effectués. (Acte
qui occasionnera un recours devant le tribunal administratif, toujours d'actualité...) Et
à l'automne 98, la conclusion se joue en correctionnelle. Pour le substitut Brigitte
Aubry, les faits sont établis : "Tous les moyens étant bons pour gagner du
temps, car durant les procédures, l'hôtelier exploitera un fonds de commerce dans
l'illégalité, se maintiendra dans les lieux sans en avoir les moyens, sur une vente
annulée." D'où la rigueur du réquisitoire : 5 000 F d'amende d'un côté, 10
000 F d'un autre, fermeture de l'établissement confirmée, et 51 fois 1 000 F d'amende
quotidienne pour les jours d'ouverture sans autorisation. Mais le tribunal ne suit pas :
Marc Frutosso est purement et simplement relaxé, sauf pour la publicité qui lui vaut une
condamnation de 3 000 F d'amende. Sans être sorti d'affaire pour autant, car la
fermeture, l'action judiciaire et la saisie des biens ont rendu désormais l'affaire
inexploitable.
Saint-Périgord a perdu un professionnel dans les méandres juridiques.
L'HÔTELLERIE n° 2615 Hebdo 27 Mai 1999