Graine de star
Il faut que le plat soit
très bon, parfaitement exécuté et le vin idéal. Il faut aussi que ce dernier soit
puisé dans les caves de la vallée du Rhône. Le trophée Paul-Louis Meissonnier est
unique en son genre et ne peut être comparé aux autres concours qui abordent
l'association mets/vins. La démarche va plus loin. Concourent en effet un chef et un
sommelier d'un même établissement. Leur technicité, leur habileté et leur logique de
travail sont étudiées, comparées, jugées. Il n'y a pas de place pour le hasard dans ce
prix dont la crédibilité est unanimement reconnue. Le gagner n'est d'ailleurs pas un
tremplin (bien que !) mais une gageure professionnelle.
Céline Viany en est-elle consciente ? Cette jeune femme née à Aix-en-Provence sous le
signe du lion, il y aura 27 ans au mois d'août prochain, montre davantage la discrétion
du chat, qui épie et apprend. Après quatre années d'école hôtelière, section
restauration, un BEP et un BAC pro en poche, celle-ci entre dans la plus prestigieuse
maison de sa région : l'Oustau de Baumanière. En alternance, l'Université du vin de
Suze-la-Rousse lui ouvre les portes de la sommellerie. En janvier 1995, prise de la
légitime envie de découvrir le monde, elle part pour le Relais et Châteaux anglais
Waterside Inn, trois étoiles Michelin à l'époque. Elle y restera un an. "Mais
je voulais connaître d'autres manières de travailler et je suis ensuite partie pour le
Canada. J'ai beaucoup appris sur les vins étrangers pendant ces deux années hors de
France." Son retour sur le Vieux Continent la conduit à faire une saison d'hiver
à l'Annapurna, à Courchevel, puis une saison d'été à Lourmarin, à l'Auberge La
Fenière. En octobre 1997, Céline, sommelière à part entière, retrouve la roche
imposante et la magie qui entourent Baumanière.
Une femme dans un monde d'hommes
La sommellerie n'est plus un métier uniquement destiné aux hommes. Céline évoque
notamment, parmi les têtes de file, Maryse Allarousse, qui contribua à faire évoluer
les mentalités. "Je crois que les femmes ont beaucoup d'avenir dans ce métier.
Elles ont une autre sensibilité, une autre approche du vin. Pour moi, ce qui est dommage,
c'est la difficulté que l'on rencontre à déguster quand on démarre. Il y aussi le
réflexe des consommateurs français, qui, même si ça a énormément évolué ces
dernières années, s'attendent à être conseillés par des hommes. Ce n'était pas le
cas en Grande-Bretagne, ni au Canada." Aujourd'hui, sous l'aile protectrice mais
aussi exigeante que Jean-André Charial, Céline avance. "Ca se passe bien à 90
%. Il y a encore 10 % des clients qui ont encore du mal à croire qu'une femme puisse
diriger une cave. Mais je dois gagner leur confiance. C'est un challenge important à mes
yeux."
Comment a-t-elle connu le vin ? Non pas à l'école, non pas dans le giron familial, mais
lors d'une visite à Châteauneuf-du-Pape. Un vigneron de l'ancienne génération parlait
de son vin avec passion, amour et "tellement de respect". "J'ai
été tout de suite séduite, il n'y a pas d'autre mot. Au sortir de cette rencontre, je
voulais savoir comment on dégustait et tout apprendre sur ce monde magique."
Souvenirs, souvenirs
Parmi ses plus beaux souvenirs, Céline aime se rappeler le service d'un Romanée-Conti
1944 et d'un Pétrus 1947. "J'essaie de goûter tout ce que je sers. Pour bien
connaître toutes les évolutions possibles du vin. Ces deux grands vins sont présents en
moi comme si je venais de les goûter il y a cinq minutes."
En 1999, le trophée Paul-Louis Meissonnier comprenait une épreuve supplémentaire qui
récompensait "la qualité de présentation d'un sommelier". Céline n'a pas
obtenu cette récompense. Présenter un vin devant une assemblée de sommeliers n'est pas
chose facile. Sa réserve naturelle, sa discrétion l'ont sans doute empêchée de
s'épanouir. Seule l'expérience des autres concours lui permettra sans doute de passer ce
cap.
Un des jurés vin du trophée Paul-Louis Meissonnier a cependant confié le lendemain
qu'il avait été impressionné par son professionnalisme, lors de la grande épreuve. Les
finalistes doivent, dans leur établissement, faire leur propre sélection de vins.
Ensuite, ayant suggéré leur sélection, ils doivent, dans des vins proposés à
l'aveugle, déterminer le vin qui conviendra le mieux au plat servi. Céline est restée
sur un hermitage, sur un même type de vin. "On voyait qu'elle avait beaucoup
travaillé le concours." Le Civet de homard en chartreuse et ses petits légumes
réalisé avec maîtrise par Bernard Chatton fut ainsi accompagné d'un hermitage rouge
1992 de la maison de négoce Jaboulet Aîné. Le 10e trophée Paul-Louis Meissonnier
était acquis.
S. Soubes
Coup de chapeau au jeune chef Bernard Chatton.
Trois co-présidents autour de Paul-Louis Meissonnier.
La sommellerie au féminin....
Céline Viany en datesNaissance à Aix-en-Provence le 6 août 1972 |
L'édition 99 du trophéeTrois coprésidents entouraient cette année Paul-Louis Meissonnier, fondateur et président d'honneur du trophée : Michel Chabran (Pont de l'Isère), Christian Etienne (Avignon) et Patrick Henriroux (La Pyramide, à Vienne). Pour ce dernier, le succès de ce concours réside dans "la haute technicité" mais aussi dans la "convivialité" qui l'entourent. "C'est un lieu d'échange culturel et professionnel. Tout doit être au plus haut niveau." Patrick Henriroux révèle aussi la manière dont il est organisé. "La sélection se fait dans la plus grande objectivité. Nous ne savons absolument pas qui sont les concurrents et dans quelle maison ils travaillent." Sur les 50 dossiers reçus, 35 ont été retenus. Malheureusement pour certains, un civet de homard, thème de la recette, doit être réalisé avec un vin rouge et non un vin blanc... D'où quelques disqualifications. Et il fallut une journée entière au jury pour déterminer quels seraient les huit finalistes. Podium gagnant : Bernard Chatton et Céline Viany, pour l'Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence, Philippe Augé et Arnaud Philippi pour La Rotonde, La Tour de Salvagny (69) et Alain Arrachart et Arnaud Fatome pour le Clovis Sofitel Arc de Triomphe (Paris). Arnaud Fatome a remporté la première épreuve individuelle sommellerie mise en place pour 1999. |
L'HÔTELLERIE n° 2615 Hebdo 27 Mai 1999