Carrière
Pour l'essentiel sa vie s'est
déroulée à Vienne, dans le périmètre restreint délimité par le boulevard de la
Pyramide - aujourd'hui boulevard Fernand Point - et le quai Frédéric Mistral, à
quelques centaines de mètres de là. Guy Thivard n'a pas l'âme d'un grand voyageur...
mais il a vu le monde entier défiler à La Pyramide dont il a tenu les fourneaux pendant
près d'un quart de siècle.
A quinze ans, il rêvait déjà du métier de cuisinier dont il n'avait pourtant qu'une
vision un peu floue. Ses parents tenaient un petit café-restaurant à
Sainte-Foy-l'Argentière, mais il est difficile d'imaginer qu'il était alors question de
haute gastronomie.
Au cur de l'été 1954, il "descend" à Lyon en apprentissage au
restaurant Chez Juliette. Michelin vante son ambiance lyonnaise et le cote à deux
étoiles.
Jean Vignard est maître en cuisine. Petit gabarit, l'il vif, il arbore un nud
papillon et revêt toujours un long tablier blanc descendant jusqu'aux chevilles. La gamme
est classique : filets de sole, volaille à la crème, rognons "maison". Pour
les apprentis qui ont la chance de décrocher une place en cuisine, la maison prend des
allures de conservatoire. Fernand Point a ses habitudes et vient déjeuner là tous les
mardis. En retour, Juliette et Jean Vignard sont tous les dimanches à Vienne.
"Ma mère faisait bien à manger et j'ai eu la chance que l'on me présente à
Jean Vignard", remarque Guy Thivard. Alain Chapel, né comme lui en 1939, est
apprenti rue de l'Arbre Sec. Pendant deux ans, les gamins partageront la même chambre et
quelques confidences. Tous deux attendront un an avant de s'approcher des fourneaux, parce
que Jean Vignard a décidé qu'il en était ainsi et qu'il fallait savoir patienter.
"Nous restions derrière la table sans toucher aux sauces. Alors, après un an, on
se battait pour toucher une casserole", témoigne-t-il.
24 ans à La Pyramide
Alors qu'Alain Chapel met le cap sur Vienne, Guy Thivard reste à Lyon où après quatre
ans, il termine aux poissons. Jean Vignard est toujours au piano. Il y restera jusqu'à
l'âge de 68 ans avec pour dernier apprenti, un certain Pierre Gagnaire !
Lorsqu'au printemps 1958 Guy Thivard arrive à La Pyramide, Fernand Point est mort depuis
trois ans. Paul Mercier dirige la cuisine. Il a travaillé avec Jean Vignard au Pavillon
d'Ermenonville et sait le sérieux de sa formation. Il prend Thivard sous sa protection.
Mado Point apprécie elle aussi le nouveau venu. Au point qu'au lendemain même du décès
brutal de Paul Mercier, elle le convoque dans son bureau pour lui demander de prendre le
relais.
A 23 ans, Guy Thivard pouvait-il imaginer cadeau plus empoisonné ? "Au départ je
pensais que la situation était provisoire. Elle a duré vingt-quatre ans. Je ne me suis
pas rendu compte de la responsabilité, la brigade était en place et je connaissais les
fournisseurs. J'aurais pu monter mon restaurant... mais j'aimais beaucoup Madame Point et
je me sentais en famille. Rester dans l'ombre ne m'a jamais posé le moindre problème",
raconte Guy Thivard.
La vie s'écoule donc. La Pyramide reste une adresse mythique où de nombreux jeunes
cuisiniers viennent faire leurs classes (1). Le guide Michelin garde sa confiance à
l'établissement avec trois étoiles jusqu'au décès de Mado Point en 1986.
A cette époque, l'avenir du restaurant s'inscrit en pointillé... jusqu'à son rachat par
Dominique Bouillon en 1989. Un an plus tard, Guy Thivard quitte la maison pour le lycée
hôtelier tout proche et un poste de professeur de cuisine. "J'enseignais comme je
sentais les choses, comme un cuisinier. C'est une autre époque. Jadis on ne comptait pas
les heures ou les week-ends. Aujourd'hui, les jeunes ont d'autres aspirations. Certains
restent très motivés même s'ils s'aperçoivent que c'est un métier dur."
Guy Thivard n'a jamais regretté de l'avoir choisi. A l'heure où la retraite se profile
à l'horizon, il veut simplement se souvenir qu'il a fait "un beau parcours dans
une ambiance formidable" et qu'il a "rencontré des gens d'exception".
A soixante ans, il va tourner la page. De Vienne où il réside, aux Gorges de l'Ardèche
où il possède un petit pied-à-terre, il s'occupera d'une famille à laquelle il n'a pas
toujours sacrifié le temps nécessaire. Il fera la cuisine "pour le plaisir" et
la tournée des copains, avec une foule de souvenirs à évoquer !
J.-F. Mesplède
(1) On peut citer Jean Banchet, Georges Perrier, Jean Aulibe, Claude Ripert, René Dury, Jacky Marguin, Patrick Fer, Gervais Lescuyer, Bruno Chavancy, Bernard Moreno, Michel Rubod, Georges Paquet, Daniel Léron, Yves Champeley, Guy Lassausaie, Jacques Caron, Philippe Girardon et Guy Belle.
Jean-Louis Georges
Guy Thivard, professeur au lycée hôtelier de Vienne avec Yannick Vrigneau,
Jean-Paul Penin et Eric Jugal. Y. Bécam
Aucun regret pour Guy Thivard au terme d'une carrière bien remplie.
En 1962, Mado Point fit le choix de Guy Thivard pour remplacer Paul Mercier. Il
sera chef pendant 24 ans
Les dates-clés de Guy Thivard6 avril 1939 : 15 juillet 1954 : 14 mai 1958 : 16 mars 1962 : 2 septembre 1990 : 31 août 1999 : |
L'HÔTELLERIE n° 2616 Hebdo 3 Juin 1999