En matière d'emploi, le secteur de l'hôtellerie et de la restauration n'échappe pas aux tendances générales. Les problèmes qu'il rencontre ne sont pas uniques, qu'il s'agisse du déficit de qualification, des carences de la formation professionnelle, de l'insuffisance de la mobilité ou des besoins de flexibilité de l'emploi. Mais en plus, il doit subir des particularismes contraignants, telles qu'une forte saisonnalité et un turn-over devenu inquiétant. En plus de leurs grandes difficultés pour trouver du personnel qualifié, les professionnels ont donc à surmonter les mouvements et l'instabilité singulièrement élevée de leurs équipes en place. Selon une étude française réalisée en 1991, un poste dans le secteur de la restauration est occupé sur une année, en moyenne, par 6 employés différents. En hôtellerie, chaque emploi est occupé en moyenne annuelle par 1,6 personne. En 1998, la Commission européenne indique un taux de rotation dans le secteur du tourisme de 30 %, c'est-à-dire 3 fois plus élevé que dans d'autres secteurs.
Un problème de motivation et de valorisation
Tâches éprouvantes et contraignantes, salaires modestes, auxquels il faut ajouter une
mauvaise image en termes de prestige social, sont autant d'arguments qui démobilisent
bien des employés du secteur. Outre un travail très cadencé, souvent dû à un
personnel en sous-nombre dans certains services, les employés doivent subir des horaires
marginaux. "Face à ce constat social négatif, les professionnels sont à la fois
fautifs et victimes. D'un côté, ils n'ont pas su évoluer avec la société, et de
l'autre côté, les augmentations de charges et la fiscalité ne les ont pas aidés",
reconnaît un spécialiste. Une étude réalisée en 1996 dans les quinze pays de l'Union
européenne par la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de travail
dévoile que la moitié des employés de l'hôtellerie et de la restauration a des
horaires de travail irréguliers, que 80 % travaillent 2 à 5 dimanches par mois et que 41
% travaillent 6 nuits ou plus par mois. Les changements dans la perception du métier
expliquent encore la démotivation du personnel. "Les CHR, qui emploient
directement près de 650.000 personnes, sont un des secteurs qui réunissent le plus de
smicards, soit 41 % des salariés contre 17 % dans l'ensemble de la branche des services",
rappelle un consultant. Toujours selon la Fondation européenne, pour 87 % des employés,
aucune heure supplémentaire n'est payée et pour 86 % aucune prime n'est accordée pour
le travail de nuit ou de week-end. D'autre part, "les promotions se font rares :
il y a actuellement un trop plein de postes d'encadrement et un déficit de personnel de
base. On crée moins d'établissements. La branche d'activité, formée il est vrai de
micro PME et de sociétés de moins de 10 salariés, ne mobilise que 8 % de cadres contre
18 % ailleurs dans les services", explique un analyste de la profession.
Résultat, le métier attire péniblement les foules et nombreux sont ceux qui, une fois
sur place, envisagent une vie professionnelle ailleurs. "Il y a ceux qui quittent
la maison avec l'espoir de trouver une situation plus facile, ceux qui changent
d'établissement au sein d'un même groupe, histoire de changer d'air et enfin ceux qui,
mal à l'aise ou étrangers à cet univers, abandonnent définitivement le secteur",
explique Christian Tachon, responsable franchise chez Ibis. C'est un secteur d'activité
où la proportion de jeunes est importante : en 1995, 26 % des salariés avaient moins de
25 ans avec une sur-représentation des très jeunes gens (15-19 ans). "Beaucoup
ont choisi l'hôtellerie ou la restauration en attendant mieux et d'autres voguent de
places en places par esprit d'aventure", ajoute Christian Tachon.
Une situation parfois lourde de conséquences
Un établissement qui souffre d'un fort turn-over est plus facilement confronté à une
déficience en termes de personnels qualifiés. Beaucoup de jeunes diplômés quittent la
branche et ne sont pas remplacés par les mêmes niveaux de qualification. D'autre part,
"il faut sans cesse former, éduquer cette population en perpétuel va-et-vient.
En plus, le client n'a plus de repères car il est sans cesse mis en présence de
nouvelles têtes. Il est déstabilisé et la qualité n'est pas constante",
déplore un restaurateur parisien. Heureusement, la situation n'est pas toujours
catastrophique et certains établissements, moins touchés, semblent plutôt satisfaits de
leur sort. Quoiqu'on le retrouve pratiquement partout, le turn-over est plus ou moins
sensible selon l'établissement ou le poste occupé. D'une manière générale, le
personnel de salle d'un restaurant est plus touché que le personnel de cuisine ou
l'équipe d'un hôtel. De même, le climat social, la présence ou non d'une politique en
matière de ressources humaines, par exemple, ont un impact sur la stabilité des
employés. "Nous sommes très exigeants vis-à-vis de notre personnel de salle. A
partir du moment où ça ne fonctionne pas d'emblée, l'employé se décourage et
n'insiste pas", analyse un responsable d'un établissement strasbourgeois. "Nous
avons déjà eu un turn-over de 50 %, alors qu'en cuisine, c'est différent, les gens sont
plus motivés."
Rôle de la conjoncture
Parfois ce sont des facteurs externes qui influencent la situation. "Nous avons
été particulièrement touchés par la crise. Les salaires étaient au plus bas et nous
étions confrontés à une compression de personnel qui rendait le travail d'autant plus
pénible. Le recrutement était alors difficile et les nouveaux éléments peu stables",
explique Corinne Berthold, directeur de l'hôtel Climat de France à Aix-en-Provence.
"Aujourd'hui, la situation est plus facile : les salaires sont un peu plus
élevés, le travail moins pénible en raison de l'augmentation du nombre d'employés et
des évolutions dans la convention collective. En plus, l'ambiance de travail est plutôt
bonne."
Les chaînes n'échappent pas à la tendance, même si elles semblent parfois moins
touchées, car elles bénéficient souvent d'un potentiel de développement et d'une forte
culture d'entreprise, atouts essentiels qui jouent en leur faveur. "Chez
Hippopotamus, dix nouveaux établissements ouvrent chaque année. Nous recrutons environ
400 employés par an pour répondre aux besoins des nouvelles implantations auxquels
s'ajoutent environ 250 recrues pour pallier les mouvements classiques de personnels. Mais
paradoxalement, l'ancienneté est importante. En fait, les six premiers mois sont les plus
difficiles. Passé ce cap, le turn-over devient marginal", analyse Claude Girard,
directeur des opérations chez Hippopotamus. Hervé Gourlaël, directeur des exploitations
à La Criée ne se sent pas menacé par le turn-over. "80 % de notre effectif
"personnel de salle" est embauché en contrat à durée indéterminé. Au terme
de la période d'essai, 70 % des employés conservent leur poste." Il l'explique
ainsi : "Notre chaîne est en pleine expansion et offre de réelles perspectives
d'évolution que ce soit en interne ou d'un établissement à l'autre." Par
ailleurs, à La Criée comme chez Hippopotamus, la culture d'entreprise est forte : "Le
premier client c'est le personnel : on le soigne, on le chouchoute", confie
Claude Girard.
Fidéliser le personnel
Les professionnels doivent trouver un nouveau souffle en matière de motivation du
personnel pour le fidéliser comme ils s'efforcent de le faire pour la clientèle.
Certains responsables d'établissements ou directeurs de chaîne l'ont compris : formation
et écoute du personnel sont la clé d'une bonne intégration. Richard Coutanceau,
restaurateur à La Rochelle recrute et fidélise ses employés sans obstacle : "Je
garde mes salariés parce que je les respecte et parce que j'essaye d'humaniser ce métier
qui n'est pas toujours facile." Pour Hervé Gourlaël, ce qui compte, c'est
l'environnement : "Une bonne ambiance est une condition fondamentale à un travail
de qualité et à un épanouissement professionnel." Pour la plupart des
dirigeants, il est impératif de mettre en place une démarche d'accompagnement efficace.
A La Criée, on a choisit le parrainage. Chez Hippopotamus, le débutant ne met pas un
pied à l'étrier sans une totale prise en charge. Chez Ibis, on mise beaucoup sur la
formation "acteur 2003" et la certification Iso 9002 qui normalise et
systématise les procédures d'intégration et de suivi du personnel. Enfin, chez Hippo,
comme à L'Amanguier, on pratique le management participatif grâce auquel chaque salarié
est concerné par les intéressements mis en place au sein du groupe. Les professionnels
ne sont donc pas complètement désarmés face à la démobilisation de leur personnel.
Quoiqu'ils ne soient pas en reste pour remonter le moral des troupes, il leur reste encore
du chemin à parcourir et des moyens à trouver pour geler le mouvement.
A. V.
L'HÔTELLERIE n° 2621 Supplément Economie 08 Juillet 1999