On assiste depuis ces dernières années à l'embauche par les grands groupes hôteliers de cadres qui ne sont pas issus de la profession hôtelière. Dans un secteur très conservateur comme celui de l'hôtellerie, c'est un phénomène qui surprend, mais qui devient de moins en moins marginal, même s'il ne touche pas encore l'hôtellerie indépendante. Celle-ci attirerait plutôt un grand nombre d'investisseurs n'étant pas du sérail, et qui découvrent le métier comme une nouvelle passion, malgré ses lourdes contraintes. La plupart de ces "nouveaux hôteliers-exploitants" sont bien souvent même de grands professionnels. Ils ont su combler leur éventuelle carence en technique hôtelière par un sens accru de l'accueil et surtout par une très bonne perception des besoins de la clientèle. Parallèlement, dans les chaînes, du côté des cadres salariés, on ne donne plus systématiquement la priorité aux anciens d'écoles hôtelières pour occuper les postes de directeurs d'hôtel, qui sont parfois confiés à des nouveaux venus dans le secteur. "Pour manager un hôtel, il faut désormais être un bon commercial. Les écoles hôtelières produisant davantage de techniciens, nous faisons de plus en plus appel à des diplômés d'écoles de commerce. Après tout, un hôtel se gère comme n'importe quelle entreprise", déclare Patrice Olivier, responsable du recrutement chez Accor. On constate néanmoins que ce sont surtout les directions de grands hôtels et de gros porteurs (de plus de 200 chambres) qui sont le plus souvent promises à des non-hôteliers d'origine. Les petits établissements, qui demandent beaucoup de polyvalence et où le gérant doit souvent remplacer du personnel au pied levé, sont moins concernés par ces nouvelles orientations. De quoi décourager les anciens d'écoles hôtelières qui rêvent de promotion ! Malgré tout, à l'image de Relais & Châteaux, qui vient de confier des postes clés à deux nouveaux venus dans la profession, ce sont pour l'instant davantage les portes des sièges qui s'ouvrent aux non-professionnels.
Des fonctions plus risquées que d'autres
Bien sûr, toutes les fonctions ne nécessitent pas une expérience ou une connaissance
hôtelières, comme par exemple les postes administratifs (finance, gestion,
comptabilité...). En revanche, dans les sièges, le domaine commercial, marketing de
produit, technique et direction du personnel peuvent parfois imposer d'employer des
personnes qui ont à la fois la capacité d'appréhender le métier tout en ayant une
spécialité donnée. Ainsi, en matière de ressources humaines, certains groupes
hôteliers français ont eu à essuyer des échecs dus à une méconnaissance du secteur
par leurs collaborateurs. "Si leurs recruteurs étaient de bons techniciens, ceux
qui ne connaissaient pas assez le métier montraient vite des incapacités, et faisaient
rapidement beaucoup d'erreurs", commente un ancien responsable de chaîne. "Les
métiers de l'hôtellerie sont nombreux et si on ne les connaît pas suffisamment il est
difficile de déterminer le profil des postes à pourvoir ou de mener correctement un
entretien d'embauche", remarque à son tour Michèle Alguacil, responsable de
Profile International, un cabinet de recrutement spécialisé dans l'hôtellerie.
Difficile pour les commerciaux
Au niveau des fonctions commerciales, les déconvenues sont également nombreuses.
Lorsqu'ils ne sont pas issus d'une entreprise de services, les commerciaux sur le terrain
ont parfois du mal à comprendre les spécificités du produit hôtelier, ainsi que la
notion de service au client. En fait, la plupart d'entre eux ne savent pas appliquer au
milieu hôtelier les techniques commerciales qu'ils ont apprises ailleurs. "On ne
vend pas des nuits d'hôtel comme on vend des photocopieurs !", s'exclame ce
responsable commercial, qui a fait les frais de cette erreur stratégique. "Mon
patron, qui vient tout droit de la bureautique, nous assène des théories de vente ; mais
on ne l'a jamais vu à l'uvre. Il ne sort de son bureau que pour nous dire que les
résultats ne sont pas conformes aux objectifs", confie une attachée commerciale
d'un groupe hôtelier.
En revanche, au niveau de la direction marketing, ne pas venir du secteur constitue
parfois un réel avantage. D'abord parce que sur un plan marketing "pur",
l'hôtellerie n'est pas vraiment différente des autres branches des services ; les
techniques de base de marketing (études, enquêtes de satisfaction, marketing direct,
programmes de fidélisation...) sont souvent adaptables, quel que soit le produit.
Ensuite, parce que l'on arrive avec un regard neuf, ce qui permet plus de recul et
élimine les freins liés aux conventions. De ce fait, il est possible de remettre en
cause certains fonctionnements. Par ailleurs, on hésite moins à appliquer des
stratégies qui ont fait leur preuve dans d'autres secteurs. La seule spécificité du
produit hôtelier, susceptible de perturber les nouveaux venus, est son caractère
non-stockable. Ceci implique de pratiquer le yield management, c'est-à-dire de faire
varier le prix en fonction de la demande. "Dans les autres secteurs, le prix est
quelque chose de sacré, auquel on touche le moins possible puisque l'on peut jouer sur
l'offre. Ce n'est pas le cas en hôtellerie. Quand j'y suis arrivé, c'est la première
chose qui m'a marquée", explique Alain Bouchart, directeur marketing et
commercial chez Hôtels & Compagnie. Cependant, les néophytes sont parfois également
décontenancés par le retard que l'hôtellerie peut avoir en marketing, par rapport à la
grande distribution ou à l'agroalimentaire, par exemple. "Dans la VPC (vente par
correspondance), on fait des études sur n'importe quoi. C'est parfois trop. En
hôtellerie, c'est le contraire, il n'y en pas assez", explique un nouveau chef
de produit d'un groupe hôtelier. En matière d'études, les nouveaux venus éprouvent
souvent aussi des difficultés pour interpréter les données qu'ils recueillent, et
reconnaissent là les limites de leur méconnaissance de l'offre et de la demande
hôtelière, avec ses particularités.
Une stratégie dynamisante
La concurrence aidant, il est clair que les groupes hôteliers se tournent de plus en plus
vers les autres secteurs pour confier leurs postes stratégiques à des experts dans leur
domaine. "Recruter des personnes de formations différentes permet d'élargir la
culture de l'entreprise. Le mélange entre les différents cursus et les différentes
expériences ne peut être que bénéfique pour notre groupe", s'assure Patrice
Olivier. Dernier exemple en date, celui de Relais & Châteaux. Préparant
énergiquement son entrée dans le troisième millénaire, la chaîne vient de créer deux
nouveaux postes clés. A celui de directeur du développement et des relations avec les
adhérents, elle a choisi Frédéric Laroche, transfuge de chez Unilog. "C'est un
homme de réseau", relève Régis Bulot, président de la chaîne, qui entend
s'appuyer sur ses capacités pour renforcer les liens et la communication entre le siège
et les adhérents. Quant à Jacques-Olivier Chauvin, son expérience dans le monde du luxe
(Taillevent et Louis Vuitton), lui a permis de décrocher le poste de directeur marketing
et commercial de la chaîne. Il aura notamment en charge la diversification des produits
Relais & Châteaux. "Le défi que relève la chaîne sera intéressant à
suivre, car elle s'attaque à des activités qu'elle ne pratique pas à l'heure actuelle",
prédit Michèle Alguacil du cabinet Profile International. Chez Envergure, où les
produits sont déjà bien rodés, la stratégie est toute autre. La nouvelle équipe, qui
est en train de se former, compte quelques non-hôteliers d'origine, notamment au sein des
directions marketing et commercial. Leur expérience et leur regard neuf devront surtout
servir à booster les différentes marques du groupe. Toutes ces nouvelles orientations
sont encore des sortes de tests grandeur nature, car on constate ces dernières années de
nombreux insuccès et des essais ratés dans le recrutement de candides de l'hôtellerie.
Pour les nouveaux venus, l'adaptation à un secteur qui leur est étranger, pose des
difficultés supplémentaires. Les groupes qui ont fait le choix de s'ouvrir à des cadres
non issus du sérail savent qu'ils prennent ce risque, mais savent aussi qu'ils peuvent en
tirer profit, notamment en termes d'innovation, si la greffe prend.
G. F.
Jacques-Olivier Chauvin.
Frédéric Laroche.
L'HÔTELLERIE n° 2621 Supplément Economie 08 Juillet 1999