Tous les restaurateurs et les hôteliers connaissent parfaitement Carte Bleue, American Express, Diner's Club... Ce sont les principaux acteurs du marché de paiement par carte en France. D'ailleurs, le nombre de bénéficiaires de ces cartes ne cesse de croître chaque année. Dans le monde, ce sont 18,5 millions d'utilisateurs de la Carte Bleue (mais, leader en France), 41 millions de porteurs de cartes Amex et 8 millions de clients de la carte Diner's Club. Pour autant, ces sociétés ne sont pas perçues de la même manière par les hôteliers. Le degré de sympathie qui leur est accordé est souvent en corrélation avec les niveaux de commissions consentis aux professionnels ! Dans ce domaine, deux pratiques font actuellement loi en France. D'un côté, il y a Carte Bleue créée par un GIE interbancaire. Elle applique des taux généralement proches de 1 % sur le montant des sommes payées et a des clauses qui ne se négocient pas avec le groupement directement, mais avec chaque banque où le commerçant a son compte. De l'autre côté, des cartes comme American Express et Diner's Club, dont le taux de commission varie entre 2 et 3 % la discrétion est de mise, sont en relation directe avec les restaurateurs et les hôteliers. Pour faire accepter cette différence de rétribution, qui ne leur est pas favorable et ne les rend pas populaires chez les professionnels, elles sont obligées de mettre en place une politique de séduction pour faire "passer la pilule" de la commission élevée.
Le titulaire est le plus convoité
Le souci principal des sociétés gérant des cartes de paiement est avant tout de
satisfaire leurs clients, qui bénéficient de leurs services. Faire le bonheur des
commerçants qui acceptent les cartes n'est pas la priorité de ces organismes financiers,
on le comprendra. Carte Bleue, de par son organisation décentralisée où seule la banque
décide du taux de commission qui lui revient, et de sa position de leader en France, n'a
pas de stratégie spécifique globale pour les hôteliers et les restaurateurs. En
revanche, Amex et Diner's en ont une. Car, si le commerce local peut les ignorer, ce n'est
pas le cas des intervenants du tourisme, ouverts sur la clientèle internationale. Et les
sociétés émettrices peuvent considérer que seule une demande de leurs porteurs de
cartes incitera les professionnels à s'affilier. Les deux grands accordent beaucoup
d'intérêt à la profession en raison de l'historique de leur société. American Express
parlera de son engagement dans le monde des voyages, et de sa position de leader au sein
des agences de voyages, notamment depuis sa reprise d'Havas. Diner's, quant à lui,
parlera de son métier de base qu'est l'hôtellerie et la restauration, d'où le nom qui
s'associe au dernier repas de la journée. Elles ont une politique plutôt similaire
concernant l'engagement de partenariats au sein des syndicats professionnels, des chaînes
hôtelières volontaires ou intégrées,... Toutes deux montent de nombreuses opérations
de promotion communes avec des hôtels indépendants, mais aussi avec les chaînes
hôtelières.
Des partenariats et des bénéfices communs
Dernièrement, par exemple, Amex a annoncé la formation d'un partenariat avec Small
Luxury Hotels of the World. Les titulaires de la Carte Platinum bénéficieront
d'avantages exclusifs dans plus de 240 hôtels de la chaîne. Il y a aussi la carte
Compliment montée avec le groupe Accor. Pour les hôteliers affiliés, ce type
d'opérations doit stimuler la dépense des titulaires dans leurs établissements. Diner's
prend aussi régulièrement des insertions publicitaires dans les guides des chaînes. Une
manière d'aider ces dernières à sa façon. Toutes deux procèdent également à des
actions de communication destinées à intéresser davantage les hôteliers et
restaurateurs individuellement. "Nous offrons aux établissements la possibilité
de faire connaître leur offre auprès de nos porteurs. Nous éditons un magazine et une
lettre qui servent de support et que nous faisons parvenir régulièrement à leurs
clients potentiels. C'est aussi un de nos arguments car notre commission est peut-être
plus élevée que d'autres mais la publicité est gracieuse et ciblée. Quand on connaît
le prix des encarts...", explique Jean-Michel Barry, responsable des
établissements chez Diner's. De même, l'argumentaire de Diner's et d'Amex est
relativement proche à propos de la typologie de leur clientèle et de leurs cibles.
"Nous avons la possibilité d'amener une clientèle plus aisée, qui se déplace,
et qui dépense plus. C'est une clientèle captive, et très fidèle en raison du succès
des programmes de fidélité", argumente-t-on chez American Express. Mais là
s'arrêtent les similitudes.
Ne serait-ce qu'au niveau de la clientèle, la stratégie de recrutement n'est pas la
même. Diner's est fière d'être restée très fidèle à son cur de cible : une
clientèle aisée, bourgeoise et traditionnelle. Vis-à-vis des hôteliers et des
restaurateurs, Diner's avoue qu'il a connu quelques périodes moins fastes mais qu'il est
devenu beaucoup plus actif à nouveau depuis deux ans. Il semble opter pour une stratégie
axée sur la convivialité et la sympathie plutôt que sur une présence agressive. "Si
un de nos affiliés perd une étoile au Michelin, nous envoyons systématiquement une
lettre pour lui dire qu'il peut compter sur nous, renchérit Jean-Michel Barry. Nous
partons du principe que si vous tendez la main à quelqu'un qui est dans le creux de la
vague, il se souviendra de vous au retour des beaux jours." Le credo de Diner's
est aussi d'être toujours à l'écoute, d'investir dans la formation des professionnels
du secteur et d'accentuer sa présence sur le terrain. "Les hôteliers et
restaurateurs n'ont que faire du parisianisme. Les commerciaux sont issus de chaque
région dans laquelle ils prospectent. Ils parlent de choses concrètes avec leurs
interlocuteurs." Diner's joue probablement sur la corde sensible car, face à
Amex, elle doit faire davantage preuve d'astuces pour acquérir une certaine position sur
ce marché.
En élargir l'utilisation
Amex a au contraire communiqué de manière très imposante durant ces dernières années
afin de recruter un maximum de membres. Désormais, vis-à-vis de la profession, elle
bénéficie de ce qu'on appelle une pression porteurs. C'est-à-dire qu'elle a moins
besoin de faire du porte à porte car hôteliers et restaurateurs viennent plus
spontanément, la demande émanant de leurs clients. "Nous avons aussi élargi la
gamme des hôtels et restaurants que nous affilions. Nous devons contenter une clientèle
plus large et par conséquent pouvoir répondre à leurs attentes vers des établissements
peut-être un peu moins haut de gamme, dévoile-t-on chez American Express. Nous
souhaitons nous assurer que les titulaires puissent se rendre dans le maximum
d'établissements." Cette opération de masse a eu pour effet d'asseoir les
positions d'Amex mais les critères de sélection des commerçants ont forcément pu
devenir moins stricts. La carte verte cherche désormais à s'attaquer à de nouveaux
marchés, au risque de perdre un peu de son aura et de sa situation élitiste. "Notre
stratégie est surtout d'augmenter notre taux de couverture sur notre industrie
traditionnelle mais aussi de pénétrer d'autres marchés afin que la carte puisse être
utilisée pour des dépenses plus quotidiennes."
L'entente entre Diner's et Amex est cordiale, voire plutôt saine. Elles ont conscience
qu'elles se partagent des clients qui peuvent avoir dans leur portefeuille les deux
cartes. "Certains clients nous demandent avec quelle carte nous préférerions
être payés. Il est évident que nous privilégions celle qui a le taux de commission le
moins élevé", indique un hôtelier.
Taux préférentiels
Dans ce contexte, la profession a bien sûr tendance à privilégier Carte Bleue. Il
arrive que certains hôtels ou restaurants qui n'apparaissent pas comme de gros porteurs
bénéficient de taux extrêmement intéressants. Il s'agit dans ce cas d'enseignes ou de
maisons à forte renommée que les titulaires des cartes choisissent. Les sociétés
émettrices sont prêtes à faire des sacrifices pour qu'elles tombent dans leur
escarcelle. De même, les regroupements d'hôteliers et de restaurateurs, dans des
chaînes notamment, peuvent favoriser une baisse des montants des commissions pour chacun
des intéressés. Pour autant, la diminution des taux de rémunération des organismes
financiers, que tout le monde attend, n'est pas à l'ordre du jour. Amex comme Diner's
considèrent qu'ils apportent une certaine valeur ajoutée tant par les efforts de
communication que par les actions menées auprès de la profession. Ils privilégient
cette optique qualitative au détriment d'une approche financière qui arrangerait
pourtant bien les professionnels du secteur.
M.-L. Etienne
L'HÔTELLERIE n° 2621 Supplément Economie 08 Juillet 1999