Si l'hôtellerie est un service, elle s'appuie aussi sur l'immobilier, et avec lui sur l'architecture. Or, parfois, cet aspect des choses semble peu intéresser les hôteliers ou en tout cas, les met mal à l'aise. Tout le monde le dira : l'architecture devient de plus en plus technique et de ce fait, parvient de moins en moins à intéresser le grand public et ne se montre plus très facile à décoder. "L'architecture est beaucoup plus virtuelle que la décoration. Avant d'exister, le projet n'est réellement imagé que dans la tête de l'architecte et non dans celle de l'hôtelier ou des consommateurs", dit Jean-Philippe Nuel, architecte. "Les résultats sont imprévisibles, ce qui fait dire à bon nombre de gens que les architectes sont des farfelus", confirme un de ses confrères, Jean-Jérôme Tricoire. "La demande architecturale est totalement absente car personne n'est capable de la définir. Pourtant, le client hôtelier est le principal moteur d'un projet. Un très bon architecte travaillant avec un client indécis aboutira à un mauvais résultat", continue Jean-Philippe Nuel. On assiste actuellement à une intervention croissante de sociologues, psychologues et autres philosophes afin de créer "une âme" et non d'offrir un simple décor lors de la réalisation ou de la rénovation d'un hôtel. Au premier abord, l'architecture extérieure semble exclue de toute réflexion. D'après les architectes, c'est avant tout un refus de prendre des risques de la part des hôteliers. "Les gens en ont marre d'être isolés à l'hôtel comme dans une cellule de prison, lance Jean-Jérôme Tricoire, mais les hôteliers sont frileux. Il faut pourtant qu'ils admettent que l'émotion ne peut se trouver que dans de l'inattendu."
Des coûts de construction élevés
Mais, les contraintes techniques et financières sont énormes. Ainsi, les coûts d'une
construction traditionnelle n'ont pratiquement pas baissé depuis vingt ans, par manque
d'évolution radicale des techniques. Dans le même temps, le coût des matières
premières est resté quasi stable, alors que celui de la main-d'uvre s'est accru.
L'aspect financier est la raison majeure de la simplification de l'architecture
extérieure quelle que soit la catégorie de l'hôtel. De plus, à la différence de
l'aménagement intérieur, elle n'est pas considérée comme une prestation en soi. Les
attentes et les opinions des consommateurs en matière d'hébergement hôtelier font
quasiment abstraction de l'aspect architectural, cependant sous-entendu quelquefois. En
revanche, la décoration intérieure a été vulgarisée, elle entre dans les critères de
choix du voyageur, ce qui explique en partie pourquoi elle est plus souvent renouvelée.
Question de priorité : les hôteliers préfèrent investir dans ce qui se voit et là où
les attentes des clients sont les plus fortes. "On travaille beaucoup plus sur
l'intérieur des hôtels et sur les abords que sur l'aspect extérieur du bâtiment",
avouent certains architectes. Ceci se confirmera probablement dans l'avenir du fait que
l'essentiel du travail concerne aujourd'hui des réhabilitations. En effet, le parc actuel
arrive à maturité. De plus, les contraintes en rénovation sont beaucoup moins
importantes que lors des créations : pas d'obligation de passage du dossier devant une
CDEC, ni concernant les emplacements de parking (dans la majorité des cas)...
La mauvaise image de l'hôtellerie économique
L'enjeu économique est encore plus fort dans l'hôtellerie premier prix. Pour vendre la
chambre à un prix très attractif (moins de 200 francs), les coûts de construction
doivent y être encore plus tirés vers le bas qu'ailleurs. L'architecture a ainsi été
épurée, dépouillée, utilisant des matériaux à bas prix, faisant appel au
préfabriqué. L'aspect extérieur de ces hôtels est devenu neutre, voire déplaisant aux
yeux de beaucoup de personnes. Là réside l'incompréhension du public, qui aimerait
trouver de la chaleur dans un lieu où il dépose ses armes entre deux journées de
compétition. Le parallèle avec la politique du logement des années 60, qui a abouti à
la construction des cités, est tentant. Les hôtels superéconomiques, qui ont fleuri
dans les années 1980, s'appuyaient sur un modèle reproduit à l'identique quel que soit
le lieu d'implantation. Les grands groupes se sont alors rués vers la construction afin
de couvrir au mieux ce nouveau marché, alors quasi vierge. Ainsi, le parc actuel regorge
d'hôtels datant de la fin des années 1980/début 1990, mais qui ont vieilli
prématurément. En centre-ville, dans les réalisations récentes, on a affaire à des
bâtiments d'aspect moderne, mais qui ont tendance à ressembler à des immeubles de
bureaux. Cette tendance a à peine été contrariée par des opérateurs ayant au
contraire souhaité garder les belles façades des immeubles d'origine. Pour Jean-Philippe
Nuel, "l'architecture doit refléter la fonction du bâtiment. Or, les
constructions en centre-ville concernent principalement des gros porteurs." Pour
demeurer réalisables, les projets sont donc d'architecture moderne, intégrant cependant
des ouvertures, balcons,... qui sont déjà assimilés à un luxe en hôtellerie. Il y a
déjà souvent pléthore d'hôtels de charme de petite capacité en centre-ville et
construire un hôtel de 300 chambres dans un style ancien ne serait pas rentable
économiquement. "Il n'y a que les palaces où le nombre de chambres et le prix de
la nuit sont suffisants pour amortir les frais des parties communes", expose
l'architecte. C'est pourquoi l'image impersonnelle n'est plus uniquement
l'apanage de l'hôtellerie superéconomique.
Place de l'environnement
Tous les architectes clament haut et fort que toute nouvelle construction doit
parfaitement s'intégrer à son environnement. Les zones de développement de
l'hôtellerie sont aujourd'hui des zones d'activités de pointe, souvent d'architecture
moderne. "Il me semblerait anachronique de réaliser un hôtel de charme, dans un
bâtiment au style ancien, à Orly ou à Roissy", évoque l'architecte. Eviter la
décoration clinquante, intégrer toute nouvelle construction dans le paysage actuel sont
des aspects véritablement pris en compte aujourd'hui. Ce n'était pas le cas il y a une
vingtaine d'année à l'époque de la construction des premiers hôtels de chaîne. Mais,
il est bien sûr inconcevable de raser complètement tous ces établissements sous
prétexte qu'ils ne sont plus conformes aux tendances et aux goûts actuels. Lors des
rénovations, le plaquage de nouveaux matériaux en façades permet parfois d'apporter un
peu plus de chaleur aux bâtiments existants. Mais ce sont surtout les abords de l'hôtel
qui ont été repensés pour répondre au besoin de nature et d'authenticité des clients
: des espaces verts ont été créés, les parkings ont été remodelés... "Un
réel effort a été fourni avec Première Classe par des effets de volume avec l'escalier
extérieur, des effets de bois avec la toiture, etc., en limitant les coûts au maximum",
souligne Daniel Barrè du groupe Envergure.
Mieux communiquer
Mais ces améliorations ne sont pas véritablement perçues par les consommateurs. C'est
bien là que le bât blesse : malgré tout, l'image triste, impersonnelle demeure du fait
de la structure originelle. Image renforcée par l'utilisation des matériaux comme le
verre, le béton ou l'acier, beaucoup moins chaleureux que le bois ou la pierre, mais
beaucoup moins chers aussi ! De plus, les hôtels de chaîne sont toujours perçus comme
normés, faisant référence à une architecture standardisée, alors qu'il n'en est plus
ainsi. Pourtant ces dernières années, des efforts ont été consentis afin d'améliorer
cette tendance au clonage. "Avec l'impact des CDEC, on ne construit plus en
série, mais au coup par coup. Les projets sont beaucoup plus atypiques", confie
Daniel Barrè. Certaines chaînes, comme Mercure ou Libertel, ont même laissé introduire
des hôtels d'architecture traditionnelle pour former un parc très diversifié. Une
communication plus efficace sur ces points semble nécessaire. Car il n'empêche que les
réflexions des clients d'hôtels du type "à qui ces hôtels peuvent-ils bien
plaire ?" sont encore légion. Certains clients refusent aujourd'hui encore de
fréquenter certains hôtels parce que leur aspect extérieur les décourage à y
réserver une chambre. Le fossé entre le discours technique des concepteurs, celui
économique des promoteurs et les attentes esthétiques des clients reste infranchissable
par manque de dialogue. Mais la tendance veut que l'on associe de plus en plus ces aspects
pour concevoir l'hôtel idéal, qui ressemblera un peu plus à un hôtel.
N. Peinnet
L'HÔTELLERIE n° 2621 Supplément Economie 08 Juillet 1999