Face aux créations d'hôtels "secs", ayant essentiellement une fonction unique d'hébergement, on assiste de plus en plus au lancement de complexes hôteliers aux prestations multiples, axés sur des niches de clientèles assez particulières. Ces projets, le plus souvent coûteux, ont presque tous un point commun qui unit tous leurs promoteurs : la volonté de sortir du lot et d'offrir un produit parfait pour la clientèle ciblée. Mais même si l'idée de base est parfois très originale, elle n'est pas sortie de leur chapeau un beau matin. Elle a été mûrement réfléchie. Tous ces créateurs ont un jour ou l'autre ressenti un manque par rapport à ce qu'offrait l'hôtellerie traditionnelle. Que ce soit au sein de leur activité professionnelle ou par des expériences personnelles, le besoin de créer quelque chose de différent est apparu à leurs yeux. Contre toute attente, le plus difficile n'est pas de trouver l'idée mais savoir si elle est viable. Car la frontière avec la mégalomanie peut parfois sembler toute proche. Afin d'estimer la rentabilité de leur projet, certains ont réalisé de véritables études de marché en dépit de l'absence de concurrence.
Des procédés variés
En tant qu'animateur de séminaires, Jacques Horovitz a longtemps souffert de la
cohabitation dans les hôtels, des deux clientèles loisirs et affaires. De là est née
l'envie de créer un lieu entièrement et uniquement dédié au séminaire, Châteauform'.
Cette idée a germé de nombreuses années dans la tête de l'homme d'affaires avant qu'il
ne décide de lancer une étude de marché dans les années 1994-1995. L'estimation du
volume de chiffres d'affaires dû aux séminaires tout comme les entretiens qu'il a eus
avec des dirigeants de grandes entreprises pour évaluer leurs attentes lui ont confirmé
un réel besoin et lui ont permis de définir explicitement son concept. La philosophie
repose sur quelques principes déterminés : un cadre agréable et verdoyant autour d'un
château de caractère, à proximité de Paris. La capacité est volontairement limitée
à une cinquantaine de personnes pour garder à l'ensemble un caractère humain, où les
clients se sentent bien. Châteauform' est le gestionnaire de l'ensemble de l'organisation
et non pas simplement un lieu d'accueil. Le but final est d'avoir une dizaine
d'établissements à 1/2 heure de route environ de Paris. Le premier établissement,
situé à Neuville Bosc, a ainsi ouvert en mars 1996, suivi par celui de Nointel, en juin
1998. Ailleurs, d'autres complexes ont été créés avec des thèmes basés sur la
thalassothérapie (sur le littoral), la remise en forme, la beauté, le sport, la
nature,...
Concepts nouveaux
Avec "Les Sources de Caudalie", Daniel Cathiard s'attaque à un marché assez
incertain. Poussé par un esprit entrepreneur, il a décidé de créer un complexe au sein
de sa propriété de Château Smith Haut-Lafitte. 60 millions de francs d'investissements
ont été nécessaires pour créer le premier complexe de vinothérapie au monde, alliant
également hôtellerie haut de gamme et restauration gastronomique. Le but d'un tel
établissement est de "susciter un tourisme viti-vinicole dans la région de
Pessac Léognan pour faire connaître ses vins dans le monde entier. Dans le même temps,
je crée aussi une cinquantaine d'emplois". C'est un pari osé qui ne repose sur
aucune étude de marché, mais uniquement sur "l'intérêt sans cesse renouvelé
et international pour les vins de Bordeaux. Or, il manque actuellement d'infrastructures
permettant de développer ce type de tourisme, particulièrement pour les étrangers",
précise Daniel Cathiard. La spécificité de ce complexe réside dans l'institut de
vinothérapie qui y est associé. Pour le créateur, "l'aspect sanitaire de la
consommation de vin est à développer ainsi que l'intérêt actuel universel pour la
beauté. Dans cet esprit, la vinothérapie est le parfait complément du séjour, basé
sur une création originale : les soins de beauté liés aux bienfaits des produits
dérivés de la vigne et des pépins de raisins." La vinothérapie est exploitée
par Caudalie, société de produits cosmétiques dirigée par Mathilde Cathiard-Thomas,
fille de Daniel, et son mari. La gestion de l'hôtel restaurant est confiée à la famille
Banyols.
Une affaire de flair
La logique qui a abouti à la création de Calicéa est différente. En observant le
marché hôtelier, Christophe Ponteins, hôtelier à Dax, ville leader du thermalisme dans
les Landes, décide de "remettre l'eau au goût du jour et surtout d'en faire un
produit ludique". Parallèlement, la saturation des hôtels daxois se faisait
sentir. Un nouvel équipement paraissait donc opportun pour maintenir cette suprématie.
130 millions de francs ont été investis dans l'établissement qui ouvre ses portes en
juin 1997. "C'est un produit unique, hybride, entre la thalassothérapie, la
remise en forme et le thermalisme", résume Christophe Ponteins. Aucune
étude de marché n'a réellement été effectuée avant la construction. "Nous
nous sommes fiés à notre flair, en glanant des idées à droite à gauche, parfois à
l'étranger", avoue l'hôtelier. Une intuition accompagnée d'une connaissance de
la clientèle et de ses attentes grâce à sa profession."C'est une continuité du
métier pour nous, même si les clients sont nouveaux, différents." Nul besoin
de présenter Michel Guérard, qui, déjà chef étoilé à l'époque, est arrivé en 1974
dans la station thermale d'Eugénie-les-Bains, relancée en 1963 par son beau-père,
fondateur de la Chaîne Thermale du Soleil. Son objectif était d'y créer la cuisine
minceur. Mais, emporté par son élan, il a complètement transformé la station, avec
l'aide de son épouse Christine, pour en faire le fleuron, ô combien séduisant, de la
Chaîne Thermale du Soleil. "Trois types de motivation m'ont poussé, explique
le chef, à nouveau auréolé de 2 macarons Michelin depuis 1994. L'amour, tout
d'abord, une conception plus moderne du thermalisme ensuite, et la volonté de faire
d'Eugénie un endroit international, à forte renommée." Le complexe, en
continuelle rénovation depuis 25 ans, représente aujourd'hui presque la moitié de la
superficie du village. L'ensemble de la partie hôtelière (2 établissements distincts) a
été réalisé dans des bâtiments existants et des agrandissements ou constructions
nouvelles ont été nécessaires pour la partie thermale. La Ferme Thermale, espace
consacré à la remise en forme et à la beauté datant de 1996, est la dernière
création en date.
Des résultats encourageants
En se positionnant sur un marché spécifique et très ciblé, tous ces promoteurs ont
limité considérablement leur clientèle potentielle, ce qui peut sembler risqué ou
frustrant. D'autant plus qu'on a affaire à des niveaux d'investissements élevés. Mais,
cette stratégie semble porter ses fruits. Les bons scores d'occupation moyens des
établissements en témoignent, ainsi que le taux de revisite de la clientèle. "Un
taux de satisfaction globale des participants supérieur à 95 % sur les deux sites de
Châteauform' et de nombreux refus de vente du fait du manque de disponibilité à
certaines dates prouvent la nécessité d'un troisième site. C'est d'ailleurs prévu pour
l'an 2000", étaye Jérôme Bidaut du service commercial. La forte personnalité
et la détermination des dirigeants expliquent également ces bons résultats. "Il
faut être battant, les entrepreneurs sont toujours freinés dans leurs élans par la
lenteur administrative, le suivi des travaux..."confirme Daniel Cathiard. Tous
font preuve d'un dynamisme débordant sur le plan commercial. Grâce à une excellente
communication, les réservations sont déjà nombreuses aux Sources de Caudalie, par
exemple. Il n'est d'ailleurs pas anodin que l'ouverture ait coïncidé, à quelques jours
près, avec la tenue de Vinexpo à Bordeaux du 14 au 18 juin. "L'aspect
marketing-communication a été le plus difficile à gérer pour nous, confirme
Christophe Ponteins. Il fallait bien faire comprendre à notre clientèle que notre
établissement n'était pas un établissement thermal curatif, mais s'adressait à une
clientèle de loisirs." Le démarchage de nombreux tour-opérateurs et une
communication d'excellente qualité permettent d'envisager de bons résultats, avec par
exemple "un taux d'occupation de 90 % prévu pour cet été". Certains
ont parfois la chance de pouvoir s'appuyer sur des personnalités aux noms évocateurs.
Ceci peut aussi constituer un gage de réussite important. Loin de la thématisation à
l'américaine comme dans les hôtels de Las Vegas, ces exemples sont néanmoins le signe
qu'une réflexion dans le sens d'une hôtellerie thématique en France est en route.
N. P.
Fiche d'identité de Château'Foruml
Particularité : exclusivement destiné aux séminaires d'entreprises |
Fiche d'identité d'Eugénie-les-Bainsl
Particularité : station thermale |
Fiche d'identité de Calicéal
Particularité : 1er espace aquatique du Sud-Ouest |
Fiche d'identité des Sources de Caudaliel
Particularité : complexe hôtelier centré sur le vin |
L'HÔTELLERIE n° 2621 Supplément Economie 08 Juillet 1999