Disparition de Jean Vettard
A Lyon, le nom de Vettard est
longtemps resté incontournable. Ce fut d'abord Marius, installé en 1922 au Café Neuf
place Bellecour, un café-glacier créé en 1827 et dont les frères Maderni assurèrent
le succès. Cuisinier préféré d'Edouard Herriot qui partageait son appétit entre sa
table et celle de la Mère Brazier rue Royale, il se couvrit de gloire lors de
l'Exposition universelle de 1927. Et c'est chez lui en 1934, après avoir dégusté les
Quenelles de brochet, le Gratin de queues d'écrevisses Nantua et les Petits goujons du
Rhône frits, que Curnonsky lança la phrase restée célèbre : "Lyon est la
capitale mondiale de la gastronomie."
Ce fut ensuite Jean, son fils, qui suivit tout naturellement la voie tracée. Après
l'Ecole de Lausanne, il fit un apprentissage chez les plus grands : Gaston Richard au
Lucas-Carton, Alex Humbert au Caneton et Raymond Oliver au Grand Véfour. "Même
si ces chefs ne nous ont jamais ménagés, je ne pouvais rêver meilleur enseignement. Ces
formateurs étaient d'une trempe extraordinaire, mais ils étaient souvent totalement
méconnus, la lumière tombant alors sur les maîtres d'hôtel et les directeurs de salle."
Père et fils travaillèrent ensuite de concert pendant plus de quinze ans avant que Jean
n'assume dignement la succession, restant fidèle à un certain classicisme lyonnais.
"Nous avons fait évoluer davantage que bouleverser la cuisine de tradition. En
allégeant les recettes, nous les avons mises au goût de l'époque. La Nouvelle Cuisine
n'a pas eu que des aspects négatifs. Désormais propriétaires de leur affaire, les chefs
pouvaient venir en salle saluer leurs clients. Si révolution il y a eu, c'est la
reconnaissance du métier de cuisinier."
Lui exerça le sien à Lyon bien sûr, mais aussi en Extrême Orient. Pour le groupe
Peninsula, il fut l'ambassadeur de la cuisine lyonnaise à Hong-kong et Bangkok, mais
aussi à Djakarta, Singapour et New Delhi. "Rien n'est plus exaltant que le
challenge qui consiste à satisfaire des gens qui n'ont jamais mangé ce qu'on leur
propose, à devenir populaire et aimé dans ces pays où on vous accueille pour la
première fois sans savoir qui vous êtes et ce que vous valez", confiait-il à
Bernard Frangin dans son livre L'Affaire Vettard en 1997. "Il était plus
connu en Asie qu'ailleurs", dit Paul Bocuse de ce solitaire qui cultiva la
discrétion comme une seconde nature. A la... lyonnaise en fait.
Comme son père en 1939, puis de 1952 à 1954, il conquit lui aussi deux étoiles Michelin
en 1981, les rendant symboliquement à la direction du guide en 1989 lors de la vente du
prestigieux restaurant au Loto national !
Jean et Chantal Vettard lancèrent ensuite une brasserie-chic, Le Neuf, tenant l'affaire
jusqu'au 31 décembre 1997, date à laquelle une banque s'installa dans les lieux.
Il prit alors sa retraite. "Notre génération a vécu une très belle époque de
la cuisine comme je pense que l'on n'en connaîtra plus. Les conditions économiques qui
se dessinent ne sont plus propices à cette envolée", nous confiait-il.
Il s'impliqua sur un projet de commercialisation de quenelles
- valeur sûre de la maison Vettard avec la fameuse Poularde en vessie -, partageant
désormais son temps entre la Côte d'Azur et Lyon où, en ce début de l'été il vient
donc de disparaître, à 69 ans.
Cet "homme gentil", comme le définissait le sensible Christian Bourillot,
laisse des amis dans le chagrin. "J'ai beaucoup de peine pour sa femme Chantal",
a dit Paul Bocuse. C'est à elle et à sa famille que L'Hôtellerie pense
aujourd'hui.
J.-F. Mesplède
L'HÔTELLERIE n° 2622 Hebdo 15 Juillet 1999