Du côté des prud'hommes
Ce fut le cas récemment
quand un restaurant au bord du dépôt de bilan fut contraint de proposer à chacun de ses
salariés une modification de son contrat de travail et de procéder au licenciement de
l'un d'eux pour l'avoir refusé, alors qu'il était en arrêt de travail pour raison
médicale.
Ce célèbre restaurant de couscous qui nous intéresse aujourd'hui, n'est pas au mieux de
sa forme. Certes, le patron est toujours là. Il continue de passer de table en table afin
de vanter les mérites de sa cuisine du "bled", tout en distillant, avec
l'accent, son humour pied noir. Les clients aiment ça.
Mais, sa spécialité n'est plus ce qu'elle était. Les clients désertent peu à peu
l'établissement, à la recherche d'autres produits exotiques, nouveaux ou moins riches en
calories, ou même tout simplement attirés par la concurrence. En ce milieu de l'année
1997, la situation économique du restaurant n'est en tout cas pas florissante, c'est le
moins qu'on puisse dire. Le chiffre d'affaires continue de baisser depuis trois ans. Les
pertes pour les seuls premiers mois de l'année 1997 sont déjà estimées à plus de 500
000 F !
Aussi la décision est-elle prise de passer d'une spécialité tunisienne à une
spécialité belge : adieu le couscous, bonjour les moules-frites.
Toutefois, le passage d'un concept de restauration à l'autre ne se fait pas tout seul. Il
faut revoir le décor, changer la salle, refaire la cuisine qui s'ouvrira à la vue de la
clientèle... Les conditions d'emploi des salariés doivent aussi être adaptées.
Embauchée depuis près de 15 ans en qualité de cuisinière, la salariée en question se
voit donc proposer, à l'occasion de ce changement d'activité, une modification de son
contrat de travail consistant :
* en sa mise au chômage partiel le temps des travaux nécessaires ;
* en une réduction de sa rémunération de l'ordre de 50 %.
La société prend soin de faire cette proposition par lettre recommandée avec accusé de
réception. Mais la salariée n'en prend pas possession. La lettre revient à
l'établissement avec la mention "non réclamée, retour à l'envoyeur". Il est
vrai que lorsqu'elle est présentée à son domicile, la salariée est alors en congé,
puis en maladie.
A son retour, elle prend connaissance de la proposition de modification faite par la
société et la refuse. La société décide alors de convoquer la salariée à un
entretien préalable et à la suite de celui-ci, lui notifie son licenciement pour motif
économique.
Par deux courriers successifs, la salariée indique officiellement qu'elle refuse les
conditions d'emploi qui lui sont proposées. Elle ne peut accepter une telle diminution de
sa rémunération et demande à son employeur d'en tirer les conséquences. Absente pour
des raisons médicales, elle n'exécute pas son préavis de licenciement de deux mois.
Quelques mois plus tard, elle saisit le conseil de prud'hommes afin d'obtenir la
condamnation de la société à lui verser une indemnité pour licenciement abusif
correspondant à deux ans de salaire.
Les arguments de la salariée
Arrivée devant le conseil de prud'hommes, la salariée entend tout d'abord invoquer la
nullité de son licenciement. En effet, elle a été licenciée alors même que son
contrat de travail était suspendu pour maladie professionnelle. La salariée produit à
l'appui de ses affirmations différents documents émanant de la Caisse primaire
d'assurance maladie et confirmant sa prise en charge au titre de la maladie
professionnelle. Or, en vertu de l'article L 122-32-2 du Code du travail, l'employeur ne
peut, au cours des périodes de suspension du contrat de travail pour maladie
professionnelle, résilier le contrat de travail du salarié que s'il justifie d'une faute
grave de l'intéressé ou de l'impossibilité où il se trouve, pour un motif non lié à
l'accident ou la maladie, de maintenir ledit contrat. Et son avocat d'en conclure : "Ma
cliente ayant été licenciée pendant la période de suspension pour maladie
professionnelle, son licenciement doit être considéré comme nul. Elle doit, à ce
titre, obtenir des dommages et intérêts qui ne peuvent être inférieurs à 1 an de
salaire et que j'estime à 2 ans de salaire."
Par suite, l'avocat indique que si le conseil de prud'hommes ne retenait pas cette
protection au titre de la maladie professionnelle, la société ne pouvait de toute façon
pas procéder à son licenciement pour motif économique :
En premier lieu, la salariée n'a jamais, dans le délai d'un mois qui lui était
accordé, fait part à sa direction d'un quelconque refus. Or, de par le Code du travail,
le silence au terme du délai d'un mois doit être assimilé à un accord (Article L
122-1-2 du Code du travail). En d'autres termes, le fait que la salariée n'ait pas écrit
qu'elle refusait cette proposition dans le délai d'un mois doit être considéré comme
la manifestation de son accord, lequel empêche son licenciement économique. Enfin, la
salariée indique que, quand bien même le conseil de prud'hommes devait retenir son
refus, la société n'est pas en mesure d'établir l'existence de difficultés
économiques justifiant son licenciement.
Les réponses de la société
En défense, la société entend faire prévaloir ses arguments. Il est vrai que les
dommages et intérêts demandés sont plutôt importants ! En premier lieu, elle indique
que la salariée ne saurait sérieusement se prévaloir de la protection contre le
licenciement des salariés victimes de la maladie professionnelle. En effet, cette
protection ne s'applique, selon elle, que dès lors que l'employeur a eu connaissance de
la nature professionnelle de la maladie (Cassation sociale 21/11/1995). Autrement dit, il
ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir respecté la protection légale et
d'avoir procédé au licenciement de la salariée s'il n'a appris que postérieurement au
licenciement l'origine professionnelle de la maladie de la salariée (Cassation sociale
16/03/1994). Or, la salariée n'établit aucunement que la société avait connaissance de
la nature professionnelle de sa maladie au moment du licenciement. La salariée ne peut
donc revendiquer cette protection prévue au Code du travail et la société ne peut se
voir reprocher une quelconque violation de ce texte. Par suite, elle indique que la
salariée ne saurait sérieusement affirmer ne pas avoir eu connaissance de la proposition
de modification de son contrat de travail.
Elle prouve en effet qu'une proposition a été adressée à la salariée, par lettre
recommandée avec accusé de réception. Par ailleurs, le dialogue social étant
omniprésent dans l'entreprise, la salariée avait été informée de vive voix de la
restructuration à venir, lors d'une réunion avec l'ensemble du personnel. Pour preuve
supplémentaire, la salariée n'a pas manqué de confirmer, par la suite, son refus de la
modification de son contrat de travail, par deux courriers recommandés ! Elle ne peut
donc dire qu'elle n'a pas eu connaissance de la modification et qu'elle ne l'a pas
refusée ! Enfin, la société n'a pas de mal à prouver les difficultés économiques à
l'origine de la réorganisation de l'entreprise. En effet, la salariée oublie la
situation économique et financière particulièrement grave qui a entraîné cette
réorganisation et la proposition de modification du contrat de travail.
Fin 1995, la société s'est en effet trouvée confrontée à une situation économique
des plus difficiles. Son chiffre d'affaires a sensiblement diminué (- 3 %) alors que,
dans le même temps, ses charges d'exploitation ont augmenté de plus de 3,5 %. Elle a de
ce fait enregistré un résultat d'exploitation négatif, de plus de 600 000 F.
Face à cette situation, la direction de la société a décidé de prendre des mesures
permettant de retrouver une compétitivité perdue. Elle a notamment concentré ses
efforts afin de réduire ses charges d'exploitation. En premier lieu, la rémunération
des dirigeants a considérablement été réduite puisqu'elle a diminué de plus de 37 %.
D'autre part, le personnel quittant l'entreprise n'a pas été remplacé et les effectifs
moyens ont fondu de 9 salariés en 1996. La masse salariée a ainsi diminué de 25 %, de
telle sorte que la société était même contrainte de fermer une des salles du
restaurant.
Malheureusement, ces mesures se sont avérées insuffisantes et en 1996 c'est à une
véritable chute du chiffre d'affaires de la société que l'on pouvait assister : moins
17 %.
En 1997, la situation s'aggravait encore et encore. Le chiffre d'affaires continuait de
diminuer de plus de 11,50 %, et ce pour les seuls six premiers mois de l'année. Le
résultat d'exploitation dégageait une perte considérable. Il fallait, une nouvelle
fois, analyser la situation et prendre les mesures permettant d'assurer plus que la
compétitivité de l'entreprise, sa pérennité.
L'analyse de l'activité de la société, permettait ainsi de cerner deux problèmes
majeurs. Premier problème, l'insuffisance du chiffre d'affaires liée à une diminution
de l'activité du restaurant, l'établissement étant confronté à une très faible
activité lors du service du midi et à une recrudescence de la concurrence le soir.
Deuxième problème, le poids des charges d'exploitation et plus particulièrement de la
masse salariale, qui ne représentait pas moins de 55 % du chiffre d'affaires de la
société.
Dans ces conditions et face à ces deux problèmes, la société décidait d'abandonner
purement et simplement l'activité de couscous au profit d'une spécialité de
moules-frites. Cette décision permettait, en effet, de relancer l'activité du restaurant
en proposant une restauration en vogue, tout en bénéficiant d'une organisation
commerciale marketing et de l'image de marque d'une enseigne spécialisée dans cette
restauration.
Cette décision requérait néanmoins une autre action, sur la masse salariale cette fois.
En effet, si la société pouvait s'attendre à une augmentation du nombre de couverts,
rendant indispensable le maintien des effectifs, elle devait aussi faire face à une
réduction de près de 50 % du prix du couvert. Autant dire que s'il fallait conserver des
effectifs importants, il fallait que ces effectifs soient moins coûteux pour la
société.
Celle-ci était donc amenée non pas à licencier les salariés et la cuisinière en
question, mais à leur proposer une modification de leurs conditions d'emploi.
Malheureusement, la salariée préférait refuser ces conditions d'emploi et faire l'objet
d'un licenciement économique.
La société concluait à l'impossibilité absolue pour elle d'éviter le licenciement
économique et demandait au conseil de prud'hommes de la débouter de sa demande en
dommages et intérêts pour licenciement abusif.
La décision du conseil de prud'hommes
Après un délibéré de plus d'un mois, le conseil de prud'hommes a rendu son jugement,
déboutant la salariée de l'intégralité de sa demande. Une solution dont les
enseignements sont nombreux.
Le conseil de prud'hommes considère tout d'abord que la salariée ne saurait se
prévaloir de la protection prévue aux salariés victimes d'une maladie professionnelle,
dans la mesure où elle n'a pas cru bon d'en informer son employeur. Le conseil de
prud'hommes considère ainsi que l'employeur ne saurait se voir reprocher la violation
d'un texte que la salariée ne l'a pas mis en état de respecter.
Par suite, le conseil de prud'hommes considère que la société a respecté la procédure
applicable en matière de modification des conditions d'emploi, procédure prévue à
l'article L 321-1-2 du Code du travail. En ce sens, l'employeur a pris soin de notifier à
la salariée en question, comme à chacun de ses collègues, son projet de modification et
d'accorder un délai de réflexion d'un mois lui permettant de faire part de son refus ou
de son accord.
Le conseil de prud'hommes considère aussi que l'employeur a légitimement tiré les
conséquences du refus de la salariée en procédant à son licenciement pour motif
économique, conformément à l'article L 321-1-1 du Code du travail. Il considère par la
même occasion que les difficultés économiques rencontrées par la société
justifiaient cette réorganisation et les propositions de modification faites à la
salariée.
Le conseil de prud'hommes reconnaît ainsi à l'employeur un pouvoir de direction lui
permettant de proposer, et non d'imposer, aux salariés les mesures de réorganisation
nécessaires à la recherche de la compétitivité de l'entreprise et d'en tirer les
conséquences en procédant au licenciement pour motif économique du salarié
réfractaire.
Il est vrai que depuis que l'établissement est rouvert et qu'il vend des
"moules-frites", les clients sont de retour, le chiffre d'affaires augmente et
la société embauche...
F. Trouet - SNRLH
Art. L 122-32-2
Au cours des périodes de suspension, l'employeur ne peut résilier le contrat de travail
à durée indéterminée que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit
de l'impossibilité où il se trouve, pour un motif non lié à l'accident ou à la
maladie, de maintenir ledit contrat. (...).
Toute résiliation du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions
du présent article est nulle.
===========================
Art. L 321-1-2
Lorsque l'employeur, pour l'un des motifs énoncés à l'article L 321-1-1, envisage
une modification substantielle des contrats de travail, il en informe chaque salarié par
lettre recommandée avec accusé de réception.
La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa
réception pour faire connaître son refus.
A défaut de réponse dans le délai d'un mois, le salarié est réputé avoir accepté
la modification proposée.
PROPOSITION DE MODIFICATION SUBSTANTIELLE DU CONTRAT DE TRAVAIL(Pour raisons économiques) M......... M......... M......... Veuillez ................................ Signature (1) La modification ne peut être mise en uvre qu'après l'acceptation ou le
refus des salariés. ATTENTION : Dans le cas où l'employeur envisage une modification de l'horaire de
travail, il doit : |
L'HÔTELLERIE n° 2622 Hebdo 15 Juillet 1999