Lyon
Comme le disait jadis Coluche
: avant il y avait le choix, maintenant il y aura l'embarras. Et les Lyonnais amateurs de
viande auront même l'embarras du choix. Depuis 1977, ils connaissaient la Maison de
l'Entrecôte créée par Alain Chartier et rebaptisée Maison de l'... en 1997 à la suite
d'un procès en appellation perdu.
Alors qu'en lieu et place de la défunte brasserie Guillaume Tell, ils viennent de
découvrir le restaurant L'Entrecôte, la Maison de l'Entrecôte a repris son nom !
Cette affaire de justice un brin compliquée dissimule un double débat : sur la
propriété d'un nom générique et la stratégie de développement d'une affaire
commerciale. En ouvrant en 1959 à Paris son Relais de Venise sur le modèle d'un
restaurant genevois, Paul Gineste de Saurs avait eu du flair. Trois ans plus tard à
Toulouse, le restaurant L'Entrecôte est le frère jumeau de son aîné parisien. La
formule est au point : un produit unique (faux-filet de 170 grammes) accompagné d'une
sauce à la composition jalousement gardée secrète et de pommes allumettes. A l'aube de
l'an 2000, elle n'a pas changé : plat à 84 F, desserts à 30 F, côtes du rhône ou
bordeaux à 35 et 55 F selon qu'il s'agit d'une demi-bouteille ou d'une bouteille. Le
décor noir, jaune et écossais est le même pour chacun des établissements (Bordeaux
ouvert en 1965, Nantes en 1978 et Montpellier dix ans plus tard) d'une centaine de places
avec une ouverture 7/7. Le CA global s'élève à 70 MF avec des résultats positifs pour
chacun des établissements de Toulouse (600 couverts/jour), Bordeaux (600), Nantes (450)
et Montpellier (250). A Lyon où l'Entrecôte est dirigée par Evelyne Darquey. 30
personnes ont été recrutées.
Pas davantage que ses filles Valérie Lagarde (p.-d.g.) et Corinne de Roaldès (d.g.),
Henri Gineste de Saurs ne caresse de rêve de grandeur pour l'affaire 100 % familiale
basée à Toulouse. "Je préfère rester petit et... bon", dit cet homme
qui a fait sien l'adage "pour vivre heureux, vivons caché".
L'arrivée à Lyon était programmée de longue date, mais elle était bloquée par le
procès opposant depuis 1991 Henri Gineste de Saurs, revendiquant la propriété de
l'appellation L'Entrecôte et Alain Chartier, créateur en 1977 à Lyon de La Maison de...
l'Entrecôte. Après avoir gagné devant le tribunal de grande instance de Lyon en 1994,
Alain Chartier, battu en appel trois ans plus tard, avait dû se résoudre à baptiser
provisoirement ses établissements La Maison de l'..., laissant ainsi la voie libre à son
"rival"...
Rendre à César...
L'arrêt de la Cour de cassation du 29 juin dernier, lui donnant finalement raison (1), il
s'est empressé de rendre à ses restaurants leur nom d'origine. "J'ai le
sentiment que justice m'est rendue... mais pas complètement. Cela fait plus de vingt ans
que nous sommes ici et le procès qui m'a été fait cachait une stratégie d'implantation
sur Lyon", dit-il (2). Le Lyonnais veut aller plus loin que le verdict favorable
de la Cour de cassation. Il évoque le préjudice financier subi pendant deux ans et
l'estime à 400 000 francs (3). "J'ai dû changer la vaisselle et refaire la
communication, sans compter les frais de justice. Nous avions dû bloquer un projet de
développement. Nous allons réattaquer à l'extérieur de Lyon ou... ailleurs",
lâche-t-il sibyllin. Henri Gineste de Saurs avait fait un procès à son adversaire
lorsque celui-ci avait évoqué un "possible développement en Rhône-Alpes et
dans le Sud". Il rêvait alors de Lyon, sans l'avouer encore. Les données sont
maintenant sensiblement modifiées : parmi ses rivaux pour conquérir la clientèle
lyonnaise, L'Entrecôte devra désormais compter avec la... Maison de l'Entrecôte. Vous
avez dit compliqué ?
J.-F. Mesplède
(1) En janvier 1997, la cour d'appel de Lyon avait reconnu que l'Entrecôte était une
"marque protégeable". Mais la restauratrice... lyonnaise qui l'avait vendue à
M. de Saurs en 1971 n'en était plus propriétaire. Le nom appartenait à une SARL
liquidée peu de temps avant la transaction.
(2) Nous n'avons pu recueillir aucune réaction d'Henri Gineste de Saurs qui n'a pas
répondu aux messages laissés au siège de sa société.
(3) Pour les deux restaurants de Lyon et celui de Grenoble avec un ticket moyen à 109 F
(TTC), le CA était en 1998 de 20 MF (HT). Alain Chartier, majoritaire dans le capital,
emploie 80 salariés.
Alain Chartier n'a guère attendu : dès qu'il a eu connaissance du succès de son
pourvoi en cassation, il a redonné son nom d'origine à ses restaurants.
L'Entrecôte et les autres...Lyon ville carnivore ? Au constat que les restaurants de viande marchent plutôt
bien dans la presqu'île, on serait tenté de le penser.
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L'HÔTELLERIE n° 2623 Hebdo 22 Juillet 1999