De La Poularde au George V
Eric Beaumard l'admet
volontiers : avant de faire son choix il a longuement pesé les avantages et les
inconvénients de s'installer à Paris. "C'est la fin d'une aventure. Lorsque
j'étais meurtri, Gilles Etéocle m'a tendu la main et mon départ tient un peu de la
rupture père/fils. C'est assez compliqué. Il a été le seul à comprendre la passion
qui m'animait et que je me suis efforcé de redonner au service de l'entreprise. A La
Poularde, nous avions pris l'option du vin et une vraie osmose s'est créée. Dans les
moments difficiles, Gilles a su me défendre et je lui dois une fière chandelle."
Eric Beaumard ne renie rien. Placé devant un choix difficile il a pourtant décidé
d'aller faire sa vie ailleurs... parce que ce nouveau challenge le passionnait. Longuement
réfléchi, le projet a mûri. L'histoire se raconte en trois épisodes...
Le premier chez Olivier Rllinger à Cancale, au cours de l'été 1998. Eric Beaumard
connaît bien l'endroit. Et il apprécie l'homme avec qui il a fait par le passé un bout
de route. A l'invitation d'Edouard de Nazelle (Veuve Clicquot), la rencontre s'est faite
autour du George V avec de premiers ponts jetés.
Le second prend acte à l'automne à Paris, lors de la Nuit des Etoiles de L'Hôtellerie.
Autour d'un hommage aux trente ans de trois étoiles de Pierre Troisgros, Eric Beaumard
est à l'honneur pour sa performance en finale du Meilleur sommelier du monde. Il
rencontre Christophe Biteau, directeur du George V et, par le biais de sa société
Ampéliès, se voit charger de l'achat des vins de la future cave du George V.
Le troisième se déroule en mai dernier... et l'on est alors tout près d'un accord. De
retour de New York où il a quitté la direction du Pierre pour prendre celle du George V,
Didier Le Calvez qui l'avait déjà remarqué à Paris lors des Etoiles de L'Hôtellerie,
sait convaincre Eric Beaumard que sa place est à Paris.
Dans la discussion, il lui confirme qu'il sera chargé de mettre en place l'équipe de
sommeliers. L'arrivée de Philippe Legendre est évoquée, ainsi que la stratégie du
George V en matière de gastronomie.
"Four Seasons, l'opérateur hôtelier du George V, n'est habituellement pas axé
sur la recherche des étoiles Michelin et la constitution d'une grande carte de vins. Mais
il s'est rendu compte qu'il possédait une antenne très particulière à Paris",
explique Eric Beaumard qui, peu après sa rencontre avec Eric Le Calvez, se voit proposer
un contrat "qui ne se refuse pas".
"Si je suis directeur du restaurant Le V, je reste quand même sommelier, chargé
de l'achat des vins et de la gestion de la cave", dit-il. Le changement de
trajectoire est néanmoins important et ils ne sont guère dans le passé à avoir suivi
une telle voie. Pour Eric Beaumard c'est une sorte de retour aux sources, vers cette
cuisine à laquelle il se destinait lorsqu'un stupide accident de la route est venu lui
briser les ailes.
Faire face à l'adversité
Flash-back et retour sur le 23 mars 1982. Sur sa moto, Eric circule sur une petite route
de Bretagne. Une voiture brûle la priorité et le renverse. Il reste longtemps entre la
vie et la mort, s'en tire finalement mais perd la mobilité et la sensibilité de son bras
droit. Pour lui, la cuisine est finie. Il s'accroche pourtant et invente une planche
ergonomique pour continuer à travailler. Olivier Rllinger qui l'aide à tenter
l'aventure, lui conseille peu après de s'orienter vers la sommellerie. Trois fois
Meilleur jeune sommelier de Bretagne, Beaumard décroche la timbale au plan national...
mais cela ne débouche sur aucun emploi. Son handicap effraie. Après son titre, il
descend à Cannes dans l'espoir d'une embauche. Négatif. Sur le chemin du retour, il
s'arrête à Montrond-les-Bains où Gilles et Monique Etéocle lui tendent la main. "Ils
ont compris mon envie de faire de mon handicap une force", dit-il aujourd'hui,
plein de gratitude envers cette "famille" qu'il va donc quitter. "C'était
un choix cornélien, je l'admets. J'avais cependant envie de vivre une autre aventure.
C'est le challenge qui me pousse, mais je sais que rien n'est gagné. Nous n'avons pas
d'étoile et compte tenu des investissements (NDLR : on parle de 2 milliards de
francs), nous allons être regardés."
Au George V, son défi sera de "créer la chimie" avec Philippe Legendre et
d'apporter à sa cuisine le soutien des vins qu'il aura choisis. "Le rôle du
sommelier est de mettre en avant de façon cohérente la cuisine du chef. Je pars en bonne
entente avec Gilles et Monique. Mon objectif est de bien structurer la prochaine équipe
pour qu'elle valorise au mieux notre cave de 35 000 cols. A Paris, je ne vais pas oublier
la sommellerie. Je vais gérer du personnel en m'efforçant d'insuffler à la salle ma
joie de vivre. Transmettre est aussi important qu'apprendre. C'est le message que je veux
faire passer."
J.-F. Mesplède
"Je reste sommelier."
Associé à Christophe LambertVia la société Grap'Art, Eric Beaumard et l'acteur Christophe Lambert sont
associés depuis juin 1997 dans un domaine de 35 hectares à Sainte-Cécile-les-Vignes et
Tulette. Meilleur Sommelier du MondeAprès son expérience de 1998, Eric Beaumard est prêt à tenter à nouveau
l'aventure du Meilleur sommelier du monde. "Le titre 2000 est très convoité",
souligne-t-il.
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Les dates-clés d'Eric Beaumard5 novembre 1963 : Naissance à Fougères (Ille-et-Vilaine) |
L'HÔTELLERIE n° 2624 Hebdo 29 Juillet 1999