A force d'avoir tout fait pour
être connus et reconnus, les chefs de cuisine aujourd'hui payent cher cette célébrité
durement acquise. Après avoir eu leur place dans les rubriques "Arts de vivre",
on n'hésite pas à les faire glisser vers celle des "Faits divers". Est-ce
parce qu'ils manipulent avec dextérité des couteaux particulièrement affûtés que la
police a choisi d'en arrêter quelques-uns, menottes aux poignets ou simplement parce que
c'était le meilleur moyen de médiatiser la procédure ? Comme par hasard, sur la petite
quarantaine d'accusés, seuls les plus célèbres, ceux qui officiaient dans les maisons
les plus renommées, ont été cités... Et c'est en correctionnelle qu'on les a jugés
après les avoir accusés de corruption passive pour avoir reçu des enveloppes que
certains ont qualifiées de "pots de vin", d'autres de "pourboires"
d'un fournisseur de poissons de Rungis.
Loin de moi l'intention de vouloir porter un quelconque jugement sur le fond sans
détenir tous les éléments de l'enquête bien sûr, mais sur la forme, il y aurait tout
de même beaucoup de choses à dire...
C'est évident, cette profession, à force d'être hors du temps, hors des normes,
s'est constituée sur un code au sein duquel tous, employeurs et employés, de compromis
en compromis, ont longtemps trouvé leur compte. Les "pourboires", les
"cadeaux", les "remerciements" des fournisseurs, permettaient aux
patrons, en fermant les yeux sur leur existence, d'être tranquilles sur le plan salarial
et d'atténuer les écarts de rémunération importants qui existaient entre la salle et
la cuisine. Le fait que certaines maisons aient de leur propre chef décidé de payer
elles-mêmes la caution et d'augmenter les salaires de leurs cuisiniers est
particulièrement significatif. Personne ne cherche jamais à savoir d'où viennent,
comment sont déclarés les billets glissés par les clients de certaines grandes maisons
qui n'ont, à ce jour, rien trouvé d'autres pour remercier le personnel de salle de la
qualité d'un service rendu ou... à rendre !
Rien d'étonnant au fait que les chefs concernés tombent des nues quand on les accuse
de pratiquer un usage sur lequel ils ne se sont jamais vraiment interrogés. Vouloir
mettre fin à de telles pratiques, vouloir assainir les relations avec les fournisseurs
est légitime, mais il n'était pas nécessaire d'en faire une question de personne... On
peut s'étonner aussi du comportement de certaines maisons, parfaitement au courant de
l'existence de ces pratiques, qui ont su faire preuve d'une aimable hypocrisie en
signifiant aux chefs concernés la fin de leur collaboration. Que cet événement
malencontreux serve de leçon. En tout état de cause, aujourd'hui les choses sont
claires, ces pratiques sont prohibées et tous ceux qui se plairaient à les perpétuer
doivent avoir conscience qu'ils prennent le risque d'une sanction lourde. Il suffit
maintenant de savoir faire passer le message.
PAF
L'HÔTELLERIE n° 2624 Hebdo 29 Juillet 1999