Baux commerciaux
L'article 23-6 du décret du 30 septembre 1953 pose comme principe que le loyer du bail renouvelé ne peut excéder la variation de l'indice INSEE du coût de la construction (principe du plafonnement du loyer).
Le même article prévoit une exception lorsqu'il y a eu une modification notable des éléments mentionnés aux articles 23-1 à 23-4, ce qui justifiera une demande de déplafonnement du loyer du bail renouvelé par le bailleur.
Ainsi, les travaux qui ont pu être réalisés par le locataire en cours de bail constituent un des éléments mentionnés dans ces articles et sont à ce titre susceptibles d'entraîner un déplafonnement du loyer.
En effet :
- D'une part, l'article 23.1 du décret envisage le cas d'une modification notable des caractéristiques du local considéré.
- D'autre part, l'article 23-3 alinéa 2, fait référence quant à lui aux améliorations apportées aux lieux loués, en distinguant les améliorations prises en charge par le locataire et celles prises en charge par le bailleur directement ou indirectement.
La qualification qui sera retenue pour définir la nature des travaux réalisés, travaux constitutifs de modifications des caractéristiques des lieux ou travaux constituant des améliorations, sera essentielle dans la mesure où en dépendra la date à laquelle le déplafonnement pourra être demandé.
1) Les travaux dont le bailleur assume directement ou indirectement la charge
Il s'agit du cas le plus simple, puisque dans l'hypothèse où le propriétaire a supporté financièrement le coût des travaux réalisés en cours de bail, peu importe que ceux-ci soient qualifiés d'améliorations ou de modifications des caractéristiques du local, il pourra alors demander le déplafonnement du loyer, à l'occasion du premier renouvellement de bail.
Bien entendu le déplafonnement ne s'applique pas de plein droit, mais suppose que le bailleur en fasse la demande.
Il n'existe pas de difficulté d'interprétation lorsque le bailleur a supporté lui même directement le coût des travaux, cependant, l'article 23-3 alinéa 2 précise que cette prise en charge peut être indirecte et se manifester notamment par l'acceptation d'un loyer réduit.
Ce peut être le cas lorsque le bailleur accorde au locataire une franchise de loyer, pendant le délai nécessaire à la réalisation des travaux.
Ce peut être également le cas si le montant du loyer a été fixé dès l'origine à un montant inférieur à la valeur locative réelle des locaux.
Dans un arrêt rendu le 5 décembre 1997 par la cour d'appel de Paris, le locataire exploitant un hôtel de 23 chambres avait fait réaliser à ses frais des travaux importants de rénovation pour un montant d'environ 4 500 000 F, travaux qui avaient permis le classement de l'hôtel dans une catégorie supérieure et le locataire contestait la demande de déplafonnement du propriétaire.
La cour d'appel confirma le déplafonnement en considérant qu'en contrepartie, les bailleurs ont accepté, pour 9 ans, un loyer annuel de 130 000 F correspondant à la valeur locative des seuls rez-de-chaussée, aucun loyer n'étant prévu pour les étages,
- qu'ainsi, l'importance des travaux étant contrebalancée par l'importance de la réduction de loyer,
- que les travaux avaient donc été financés indirectement par les bailleurs.
La notion de participation du bailleur aux travaux d'amélioration ne fait pas l'objet d'une appréciation uniforme au vu des décisions rendues.
Ainsi, dans un arrêt rendu le 16 mars 1995 par la cour d'appel de Paris, les faits étaient les suivants :
Le bailleur avait loué au preneur fin 1981 des locaux à usage de cinéma, auparavant fermés et inexploités depuis 1976.
Le preneur réalise des travaux de remise en état pour un montant d'environ 1 400 000 F
Le bailleur consent en contrepartie une franchise de deux mois de loyer, soit 14 000 F.
La cour considère que cette participation indirecte aux travaux qui ne représente que 1 % de leur montant est insuffisante pour justifier le déplafonnement.
Dans un autre arrêt rendu le 7 juin 1994, le locataire avait effectué pour 3 300 000 F de travaux d'amélioration en contrepartie desquels, le bailleur lui avait consenti une réduction de loyer représentant 11 % du montant global des travaux.
La cour d'appel juge que le bailleur a ainsi participé de façon notable à la réalisation des travaux et que le déplafonnement est justifié.
A l'inverse, dans une décision du 26 janvier 1993, la même cour avait estimé qu'une minoration de loyer représentant 1/3 du montant des travaux n'était pas suffisante pour justifier le déplafonnement.
2) La distinction entre travaux constituant une modification notable des caractéristiques des locaux loués (art 23.1) et travaux d'amélioration (art 23-3 al 2)
* Intérêt de la distinction
-S'il s'agit d'une modification notable des caractéristiques des lieux, le déplafonnement s'appliquera lors du premier renouvellement du bail suivant au cours duquel ils ont été réalisés.
-S'il s'agit de travaux qualifiés d'améliorations des lieux loués, le loyer du bail renouvelé restera plafonné, mais le déplafonnement s'appliquera lors du second renouvellement, soit 9 ans plus tard.
-S'il s'agit de travaux qualifiés d'améliorations des lieux loués mais supportés directement ou indirectement par le bailleur, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le déplafonnement s'appliquera dès le premier renouvellement.
Cette différence est malheureusement peu claire et donne lieu à des divergences d'interprétation, tant en doctrine qu'en jurisprudence.
En effet, les caractéristiques du local sont précisées par l'article 23-1 qui fait référence notamment :
-à la surface, au volume et à la commodité d'accès au public.
-à l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public et à l'exploitation de la ou des activités exercées dans les lieux,
-à la conformation et à l'adaptation des lieux, à l'activité qui y est exercée,
-à l'état d'entretien et de vétusté,
-à la nature et à l'état des équipements et les moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire.
En revanche, l'article 23-3 alinéa 2 ne donne aucune définition des travaux pouvant être considérés comme des améliorations.
Dans un arrêt du 12 avril 1995, la cour de cassation estime que :
"Des modifications physiques constituant dans la réunion de locaux, la couverture d'une cour et la construction de deux pièces, constituent des améliorations."
Dans une décision du 16 avril 1996, la cour d'appel de Paris considère quant à elle que la suppression d'une cloison séparative ayant nécessité des travaux mineurs, d'un coût restreint, ne constituaient pas une amélioration dans la mesure où les surfaces commerciales n'avaient pas été augmentées, mais que ces travaux constituaient en revanche une modification notable des caractéristiques des locaux, au regard d'une meilleure adaptation des lieux, à l'activité exercée.
A l'inverse, dans un arrêt du 17 juillet 1996, la Cour de cassation retient que l'aménagement d'un rez-de-chaussée permettant un accroissement de la surface de vente sans augmentation globale de la surface louée constitue une amélioration.
Enfin, dans deux décisions rendues le 4 novembre 1998, la Cour de cassation retient que l'aménagement d'un rez-de-chaussée permettant un accroissement de la surface de vente sans augmentation globale de la surface louée constitue une amélioration.
Enfin, dans deux décisions rendues le 4 novembre 1998, la Cour de cassation estime que constituent des modifications des caractéristiques des lieux et non une amélioration :
- d'une part, de travaux ayant entraîné une augmentation des locaux affectés à l'exploitation du fonds, ainsi que la création des locaux d'habitation dans les combles.
-d'autre part, la suppression de deux cloisons entre deux boutiques.
S'agissant du problème des travaux d'aménagement d'une terrasse fermée par le locataire, la cour d'appel de Paris a, dans une décision du 12 décembre 1995, estimé que ceux-ci constituaient bien une modification notable, mais précise par ailleurs que, d'une part ces travaux sont extérieurs par rapport aux lieux loués, d'autre part, que la terrasse en surface est la propriété du domaine public.
La cour d'appel de Paris confirme et précise sa position dans un arrêt plus récent du 4 février 1997, selon lequel l'aménagement d'une terrasse fermée ne pourrait être considéré ni comme une modification des caractéristiques des locaux, puisqu'extérieure aux lieux loués, ni comme une amélioration puisqu'édifiée sur le domaine public.
* Conséquences de la distinction
Si le bailleur ne demande pas le déplafonnement à l'occasion du premier renouvellement, mais lors du renouvellement suivant, en se prévalant d'améliorations, il pourra perdre le bénéfice de tout déplafonnement, s'il est jugé en définitive qu'il s'agissait de modifications des caractéristiques des lieux, qu'il aurait dû invoquer lors du premier renouvellement.
C'est ce que décide de façon constante la jurisprudence (cour d'appel de paris du 16 avril 1996 ; Cour de cassation du 8 janvier 1997).
A l'inverse, lorsque le bailleur demande le déplafonnement lors du premier renouvellement, il sera débouté de sa demande si les travaux réalisés sont qualifiés d'améliorations. (Cour de cassation du 17 juillet 1996).
Dans l'hypothèse où certains travaux seraient considérés comme des modifications notables, et d'autres comme des améliorations, le déplafonnement du loyer pourra être obtenu non seulement lors du premier renouvellement, (travaux constituant des modifications) mais également lors du second (travaux constituant des améliorations) (Cour de cassation du 4 mars 1998).
3) loi du 1er juillet 1964
Cette loi qui vise uniquement les locataires d'immeubles affectés à une activité d'hôtellerie, prévoit que le bailleur ne peut s'opposer à l'exécution par le locataire et à ses frais, de travaux d'équipement et d'amélioration, même si ces travaux entraînent une modification dans la distribution des lieux.
Les travaux visés par cette loi concernent notamment :
-La distribution de l'eau, du gaz et de l'électricité,
-l'installation du téléphone, d'appareils de récepteurs de radiodiffusion et de télévision,
-l'équipement sanitaire,
-le déversement à l'égout,
-l'installation du chauffage central ou de la distribution d'air chaud ou climatisé,
-l'installation d'ascenseurs, monte-charges et monte-plats,
-la construction de piscines.
La loi du 1er juillet 1964 précise que le bailleur ne peut demander aucune majoration de loyer du fait de ces améliorations pendant une durée de 12 ans, à compter de l'exécution de ces travaux.
Dans une décision rendue le 5 décembre 1997 par la cour d'appel de Paris, le locataire exploitant un hôtel de tourisme deux étoiles se prévalait de la loi du 1er juillet 1964 pour contester la demande de déplafonnement de son bailleur.
En effet, le locataire avait réalisé des travaux pour un coût d'environ 4 500 000 F ayant permis le classement de l'hôtel en deux étoiles.
La cour d'appel confirme le déplafonnement du loyer dans la mesure où elle estime que le bailleur a indirectement pris en charge le coût des travaux en acceptant un loyer réduit (le loyer annuel de 130 000 F correspondait à la valeur locative des sous-sols et rez-de-chaussée à l'exclusion des étages).
E. Duroux
Résumé schématique
Hypothèse d'école : Le bail initial a été conclu en 1982 et venait donc en renouvellement en 1991. Des travaux ont été réalisés par le locataire en 1988.
1982 Bail initial -- 1988 Travaux de modifications -- 1991
1er renouvellement -- Déplafonnement
-- 2e renouvellement 2000 -- 2009
L'HÔTELLERIE n° 2625 Hebdo 5 août 1999