Transfert parisien
L'Hôtellerie :
En poste depuis janvier 1997 au Bristol à Paris (1 étoile Michelin), vous passez
aux commandes des cuisines du Taillevent à Paris (3 étoiles). Comment s'est passé votre
recrutement ?
Michel Del Burgo :
Mi-juin, Eric Verdier (Bottin Gourmand) m'a téléphoné en me disant : "Michel,
Philippe Legendre quitte le Taillevent, tu devrais postuler." J'ai aussi été
joint par Philippe Poulachon, du magasin Byzance, qui m'a également conseillé de
contacter Jean-Claude Vrinat. "C'est la place qu'il te faut", m'a-t-il
dit. J'ai donc pris rendez-vous avec M. Vrinat qui m'a reçu immédiatement. On a discuté
pendant deux bonnes heures et le contact est très bien passé. Moi, je marche au feeling
et j'ai tout de suite su qu'il fallait que je dise oui. Ça me rappelait l'ambiance des
grandes maisons dans lesquelles j'ai travaillé : l'Oustau de Baumanière avec Jean-André
Charial, Michel Guérard et son chef Didier Oudil à Eugénie-les-Bains, Paulette Castaing
du Beaurivage à Condrieu et Alain Ducasse au Byblos à Courchevel.
M. Vrinat m'a assuré que j'aurais toute liberté pour m'exprimer et mettre mes plats à
la carte. J'ai signé le jour de mon anniversaire le 21 juin.
L'H. :
Joël Robuchon a fortement soutenu votre candidature auprès de Jean-Claude Vrinat,
propriétaire du Taillevent. Qu'avez-vous ressenti ?
M. D. B. :
Pour moi, Robuchon, c'est un monument de la restauration et j'en ai été très
flatté. J'en ai presque eu des frissons. Il me connaît depuis la Barbacane (*) et ça
m'a fait énormément plaisir d'avoir son soutien. Je n'ai pas le droit aujourd'hui de les
décevoir.
L'H. :
Que représente le Taillevent pour vous ?
M. D. B. :
C'est énorme. Je n'ai jamais pensé être à la tête d'un tel restaurant. Il fait
partie du patrimoine de la haute restauration française. D'ailleurs, c'est affolant comme
le Taillevent est connu à l'étranger par exemple.
L'H. :
Comment vivez-vous ce nouveau challenge avec les trois étoiles à défendre ?
M. D. B. :
Beaucoup de stress, beaucoup de questions, mais je suis en train de former une
très bonne équipe, vu que les 3/4 de l'ancienne partent avec Philippe Legendre. Gilles
Bajolle, le chef pâtissier, reste et j'en suis très content. Pour les trois étoiles, il
y avait bien M. Legendre, mais il y a surtout M. Vrinat qui gère tout et qui est l'âme
de la maison. Avec lui, j'ai confiance et on va aussi améliorer beaucoup de choses.
L'H. :
Que comptez-vous apporter au Taillevent ?
M. D. B. :
Une cuisine moins immuable avec beaucoup de nouveautés. Par exemple, il n'y a pas
de menu actuellement. On va sûrement lancer un menu prestige. On est aussi en train de
créer une boulangerie pour avoir du pain maison. Nous n'allons pas partir dans une
"cuisine délire". A chaque fois que je ferais une recette, je devrais penser à
l'esprit Taillevent. Et la clientèle internationale retrouvera quelques grands classiques
immuables du Taillevent, mais on va surprendre le client. Je compte rajouter une broche et
une plancha que j'utilise beaucoup dans ma cuisine. J'arrive le 13 septembre. Tout de
suite, on retrouvera certains de mes plats de la Barbacane que je mettrais dans les
suggestions, après les avoir soumis à M. Vrinat et à la clientèle. Les best-sellers
entreront à la carte qui sera réactualisée tous les trois mois.
L'H. :
Quelles sont les grandes différences entre le Bristol et le Taillevent ?
M. D. B. :
Au Bristol, je faisais pour le gastro entre 100 et 120 couverts/jour avec une
brigade de 10 personnes qui changeait midi et soir. En comparaison, au Taillevent, pour
réaliser une moyenne de 160 repas/jour, nous serons une brigade de 18 personnes, des gens
qui sont fixes et toujours aux mêmes postes. C'est important pour la régularité du
travail et la réalisation des recettes.
J'ai beaucoup appris au Bristol. Je garderai un bon souvenir de mon passage dans cet
établissement avec Pierre Ferchaud et Jean-Louis Souman.
L'H. :
Si tout marche bien, vous conserverez la troisième étoile en mars prochain, votre
première troisième étoile à 37 ans. Comment envisagez-vous votre avenir à long terme
?
M. D. B. :
Si le Taillevent conserve sa troisième étoile, ce sera un des plus beaux jours de
ma vie.
A long terme, c'est vrai que j'aimerais avoir mon affaire, mais certains de mes amis
installés et bien classés dans certains guides me disent qu'ils préféreraient
aujourd'hui être à ma place qu'à la leur tellement c'est difficile de tenir
financièrement, surtout en province. Aujourd'hui, je me sens déjà patron dans le sens
où j'ai les responsabilités économiques de la maison, l'embauche du personnel, les
achats, la tenue de l'établissement. Créer une affaire, ce n'est plus à l'ordre du jour
et je suis prêt à rester quelques années auprès de M. Vrinat.
L'H. :
Dans la jeune génération, quels sont, selon vous, les chefs les plus prometteurs
?
M. D. B. :
Pour moi, c'est Frédéric Anton (Pré Catelan), le top du top ! Il est formidable.
C'est un grand créateur qui possède une vraie maîtrise des assemblages. Il y a aussi
Christian Le Squer (Ledoyen), Alain Solivérès (Les Elysées du Vernet) et Jean-Louis
Nomicos (La Grande Cascade). Pour moi, ce sont les grands chefs de demain.
L'H. :
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui rêve de devenir un chef étoilé ?
M. D. B. :
Surtout beaucoup de travail et d'attention. Pour moi, la meilleure solution c'est
un CAP en alternance. Il est important aussi de participer à des concours, comme celui du
Meilleur apprenti de France, qui permettent de se faire remarquer par les professionnels.
Il faut être passionné, lire beaucoup et il est primordial d'apprendre des langues
étrangères, anglais et espagnol.
Je conseillerais aussi de rentrer rapidement dans une grande maison et d'accepter les
sacrifices - jusqu'à 24 ans, j'ai gagné 6 000 F nets - parce qu'on sait qu'un jour, ça
va payer.
Propos recueillis par N. Lemoine
(*) La Barbacane, restaurant de l'Hôtel de la Cité à Carcassonne, où Michel Del Burgo a obtenu 2 étoiles en 1995.
Transferts parisiens de l'été : Michel Del Burgo succède à Philippe Legendre
en partance pour le George V et c'est Eric Fréchon qui le remplace à la tête de la
brigade du Bristol.
L'HÔTELLERIE n° 2630 Hebdo 9 Septembre 1999