Eric Scuiller, executive chef
Arrivé aux USA en 1982, Eric Scuiller, breton, est aujourd'hui executive chef du Paris-Las Vegas. Il a pour mission de faire découvrir la gastronomie française aux visiteurs de ce casino. Il anime une équipe de 500 cuisiniers.
Quand Eric Scuiller est arrivé aux Etats-Unis en 1982, il n'imaginait pas un seul instant devenir executive chef dans le cadre d'un casino-hôtel-centre commercial de 760 millions de dollars qui comporte 19 restaurants et points de restauration ou bars. "Tout a commencé en avril 1996, explique Eric. J'étais alors chef au Bally's depuis 1990 et je dirigeais une équipe de 260 personnes. Quand Arthur Goldberg, président de la Park Place Entertainment Corp, a présenté la maquette du Paris-Las Vegas, un casino qu'il allait faire construire juste à côté du Bally's. Il m'a sollicité pour offrir aux millions d'Américains qui viendraient chaque année dans cet établissement une cuisine française authentique, une véritable cuisine du terroir." Le Paris-Las Vegas représentait un véritable défi pour Eric Scuiller. C'était pour lui l'opportunité unique de construire un pont entre toutes les facettes de la cuisine française et les attentes des Américains. Le but était de mettre l'accent sur la qualité française - bonne et accessible - mais dans une ambiance américaine. "En tant que Maître cuisinier de France à qui on a confié la mission de faire découvrir notre savoir-faire culinaire aux Américains, insiste Eric Scuiller, je tiens à respecter scrupuleusement les traditions de notre gastronomie ; je n'utilise aucun produit industriel. Toutes les matières premières sont fraîches et nous faisons nous-mêmes nos sauces et fonds de sauces." Ajoutons qu'aucun objectif de ratio matière première ou de ratio personnel n'a été imposé à Eric. Ce qui compte, c'est la qualité avant tout.
Du matériel performant
C'est avec Olivier Dubreuil, un jeune chef de 32 ans arrivé en début d'année, qu'Eric a
conçu sept formules de restauration du Paris-Las Vegas. "Pour chacune de ces
formules, précise-t-il, nous avons élaboré les cartes et menus mais aussi le
plan de la cuisine et son équipement." Pour atteindre ses objectifs de respect
de la tradition culinaire française, il a choisi de faire la mise en place et certaines
bases culinaires dans une unité centrale. Chaque jour en fonction de leurs besoins, les
restaurants passent leurs commandes auprès de cette unité centrale. Ainsi pour fabriquer
ses fonds de sauces et ses sauces, Eric achète des os fendus en deux. Pour la sauce
tomate, il achète des tomates fraîches. Il fabrique la soupe à l'oignon comme il a
appris à la faire lors de son apprentissage... Pour cela, la cuisine centrale est
équipée de matériel Cook and Chielde, de grandes marmites qui permettent de préparer
des centaines de litres de fonds, de sauces, de potages et de plats cuisinés... Une fois
cuites, les préparations sont pompées à chaud dans un sachet plastique, lequel une fois
clipsé est aussitôt mis à refroidir dans un bain d'eau glacée. Ainsi conditionnées,
ces préparations sont stockées en chambre froide. Elles peuvent être utilisées dans
les 30 à 45 jours qui suivent leur élaboration.
Une organisation rigoureuse
La viande fraîche et en muscles, les volailles fraîches, les poissons frais entiers, les
fruits de mer sont traités par "le boucher" qui dispose d'un laboratoire et
d'une équipe spécialisée. Les légumes sont livrés nettoyés et tout épluchés.
"Le personnel ici, commente Eric, est bien payé, 13 dollars de l'heure
soit 100 F environ. Je ne l'utilise donc pas pour faire du travail d'épluchage."
Le pain est fabriqué dans la boulangerie située rue de la Paix, et est livré plusieurs
fois par jour aux différents restaurants par un livreur qui circule en tricycle. "C'est
une façon amusante, commente Eric, de montrer aux visiteurs qu'ils pourront
déguster dans les restaurants du bon pain français." Autre point important
concernant cette cuisine centrale : la mobilité des équipements. Tous les équipements
des cuisines du Paris-Las Vegas sont sur roulettes donc facilement mobiles et les locaux
sont équipés de prises de gaz automatiques "clip" qui permettent de brancher
et débrancher facilement les appareils à gaz. De ce fait, si le lendemain il faut
préparer 8 000 tournedos, il suffit de demander par e-mail au "steward" de
faire installer entre minuit et une heure du matin dix postes de grillades. On peut tout
réorganiser dans la nuit en fonction des besoins.
Une équipe de 500 personnes
Pour préparer 25 000 à 30 000 couverts par jour, Eric Scuiller dispose d'une équipe de
500 personnes. Il est secondé par Olivier Dubreuil et Patrick Higgins, un chef américain
originaire du New Jersey. Olivier et Patrick sont en relation directe avec les chefs de
restaurants qui sont eux-mêmes secondés par 2 ou 3 sous-chefs. "Pour composer
notre équipe, explique Olivier Dubreuil, nous avons reçu des candidats pendant
quatre mois. Nous faisions un entretien tous les 1/4 h. Nous avons rencontré 120
candidats par semaine déjà présélectionnés par la Direction des ressources humaines."
Comme partout, c'est difficile de trouver du personnel de qualité et bien motivé.
Pourtant, ici les salaires sont plus élevés qu'en Californie. A Las Vegas, un commis est
payé 11 dollars de l'heure (6 en Californie) et un cuisinier 13 dollars. Ils travaillent
sur la base de 7 heures par jour plus 1 heure de pause. Au-delà, dans la journée,
l'heure est payée 1,5 fois le tarif normal. S'ils travaillent 7 jours au lieu de 5, les
deux jours supplémentaires sont payés le double du tarif normal. "Ce n'est pas
un métier facile, commente Olivier Dubreuil, il faut donc récompenser le
personnel. Bien sûr, l'encadrement est payé mensuellement. Le salaire est confortable et
le travail motivant alors on ne compte pas ses heures de présence."
Un management respectueux
"Pendant la phase de conception de ce projet, confie Eric Scuiller, j'avais
l'impression d'être comme une femme qui conçoit un enfant. C'est à l'intérieur et
c'est beau. Après, quand le concept devient réalité, c'est parfois douloureux. Les
Américains vous donnent les moyens de réussir. "Only money, make money",
disent-ils, alors pas question d'avoir des états d'âme. Il faut avancer, il faut une
équipe qui tienne la route, on ne peut pas couvrir l'incompétence. De plus ici, on est
incorporé dans le "système", il faut donc rendre son ego tout petit. Pas
question de s'emporter. Il faut faire attention à ce que l'on dit aux gens et comment on
leur dit. Le personnel, soutenu par des syndicats puissants, exige "qu'on lui
parle comme vous voudriez que l'on vous parle". C'est une bonne école et on
devient assez vite humble." Et si Eric avoue que parfois il est difficile de
gérer des notions françaises dans un monde américain, le jour de l'inauguration du
Paris-Las Vegas, il est comblé. Et ce qu'il trouve le plus beau, dans cette aventure,
c'est le côté humain, c'est le fait d'avoir rencontré des gens exceptionnels qui ont
envie comme lui de s'investir dans cette formidable aventure que représente le Paris-Las
Vegas.
Eric Scuiller, executive chef du Paris-Las Vegas au centre, entouré de ses deux
assistants : Olivier Dubreuil à gauche et Patrick Higgins à droite.
Le matériel Cook and Chielde permet de préparer chaque jour des centaines de
litres de sauces et plats qui sont ensuite livrés aux dix restaurants du Paris-Las Vegas.
Les chefs du Paris-Las Vegas et les chefs Lenôtre rassemblés devant le Paris-Las
Vegas.
Le restaurant de la Tour Eiffel et Mon Ami GabiCes deux restaurants sont gérés en partenariat avec la compagnie Lettuce Entertain
You, Inc. (LEYE). Le chef du Restaurant de la Tour, le restaurant le plus élégant et le
plus prestigieux du Paris-Las Vegas est Jean Joho, propriétaire du restaurant l'Everest
à Chicago. Cuisine gastronomique française dans un décor élégant. |
Les concepts d'Eric Scuiller au Paris-Las VegasLa Rôtisserie des Artistes La Ronde des Provinces Une formule buffet qui présente la cuisine Le Provençal La Boulangerie Le Café Saint-Louis La Chine Le Bar Napoléon |
Travailler au Paris-Las VegasLes chefs et cuisiniers français qui travaillent dans l'équipe d'Eric Scuiller ont
obtenu un visa J1, un visa qui leur permet de travailler 18 mois aux Etats-Unis. "Ces
visas, explique Eric Scuiller, peuvent être obtenus par des jeunes professionnels
de 25 à 30 ans (pas plus) qui ont déjà de l'expérience et qui peuvent transmettre
leurs connaissances aux Américains. Ils doivent aussi bien parler l'anglais et notamment
l'anglais technique propre à la profession. J'aide les candidats retenus à obtenir ce
visa par l'intermédiaire d'un avocat (coût 1 000 dollars). Je retiens cette somme sur
leur salaire pendant 18 mois. Par contre, je leur paie le billet d'avion et je les loge à
l'hôtel en attendant qu'ils se trouvent un logement." |
L'HÔTELLERIE n° 2632 Hebdo 23 Septembre 1999