La différence essentielle entre la transmission d'une entreprise individuelle et la transmission d'une société tient à la souplesse de la transmission de cette dernière. En effet, le chef d'entreprise qui aura pris soin de faire évoluer son entreprise individuelle en SA ou en SARL laissera à ses héritiers une société où les problèmes sociaux, moraux et familiaux seront terriblement atténués.
L'entreprise constituée sous forme de société (SA ou SARL par exemple), bénéficie de la personnalité morale c'est-à-dire que l'entreprise est considérée comme ayant, elle-même, un patrimoine : lorsque le gérant signe un contrat, il le fait au nom et pour le compte de la société et non pas en son nom propre ; il engage donc la responsabilité de l'entreprise et non pas la sienne. Ainsi, le fonds de commerce n'est plus dépendant de la personne du chef d'entreprise. Tout comme ce dernier, l'entreprise dispose de son propre patrimoine établi par son actif et son passif. Elle dispose de statuts qui l'organisent, et exposent les règles qui la régentent. Ces statuts fixent notamment l'objet social de l'entreprise (c'est-à-dire son activité), le nombre de parts sociales composant le capital et la valeur des parts (par exemple, si l'on décide de créer une SARL dotée d'un capital de 50 000 francs, on peut imaginer que celle-ci soit composée de 500 parts sociales de 100 francs chacune), la répartition des parts entre les associés et la dénomination sociale de l'entreprise.
En cas de décès du gérant, la société continue de pouvoir fonctionner comme elle
l'a toujours fait : seuls les comptes bancaires du chef d'entreprise sont bloqués. Ceux
de la société restent quant à eux totalement disponibles. L'activité de l'entreprise
ne se trouve pas paralysée, et elle peut donc continuer à fonctionner sans trouble
apparent.
Les problèmes concernant l'indivision ne se posent pas : la société étant scindée en
parts sociales ou en actions (dénomination différente selon que l'on parle
respectivement d'une Société à responsabilité limitée ou d'une Société anonyme), le
partage se fera sans aucune difficulté. Si, par exemple, un chef d'entreprise possède
500 000 francs d'actions d'une SA (1 000 actions de 500 francs par exemple), chacun de ses
cinq enfants pourra recevoir 1 000 actions (sous réserve, bien entendu, des dispositions
relatives à la quotité d'héritage disponible). Ce sera donc par suite aux actionnaires
de voter pour élire le nouveau gérant qui aura pour tâche d'organiser la vie de
l'entreprise. Le partage se fait donc, dans ce cas, d'une manière extrêmement simple et
est donc de nature à éviter les problèmes de personne et les jalousies. La mise en
société de l'entreprise permet donc de séparer de manière beaucoup plus aisée les
biens professionnels par rapport aux biens personnels, et d'éliminer ainsi les principaux
risques posés par l'indivision. Ces problèmes peuvent parfois sembler bénins, mais ce
sont souvent les principales causes d'échec lors d'une transmission d'entreprise par
succession.
Les titres de la société doivent être estimés et déclarés à l'administration fiscale. En effet, il faut prendre en compte la valeur réelle de ces titres. Il conviendra donc de faire réaliser cette estimation par un expert qui prendra en compte de nombreux paramètres. Parmi ceux-ci on peut retenir la valeur mathématique du titre (c'est-à-dire la valeur de l'actif diminuée du passif et divisée par le nombre de titres), tout en prenant en compte de nombreux éléments comme la productivité de l'entreprise, ses perspectives d'avenir, le marché du titre et la comparaison avec des titres similaires. L'expert prendra également en compte, pour évaluer les titres, la nature de l'activité exercée, le contexte économique local ainsi que la détention des titres permetant ou non l'exercice de pouvoir dans l'entreprise.
Comme en cas de transfert d'une entreprise individuelle, le transfert d'une société n'entraîne pas de conséquences pour les salariés de l'entreprise : en effet, la société étant l'employeur des différents salariés, le décès du chef d'entreprise n'a pas de répercussions sur leur contrat de travail qui se poursuit sans changement. Pourtant, de même que pour l'entreprise individuelle, la politique sociale du repreneur des parts sociales ou des actions devra s'accorder avec les principes du droit social, c'est-à-dire qu'il ne faudra pas qu'il modifie les contrats en profondeur sans obtenir auparavant l'accord des salariés.
Contrairement aux héritiers d'une entreprise individuelle, les héritiers d'une
société ne sont bien entendu pas tenus d'éponger les dettes de la société. En effet,
la société continue à vivre et est donc toujours susceptible de renouer avec les
bénéfices. Les héritiers seront uniquement tenus de régler les droits de succession.
Si l'on admet que la majorité des parts sociales d'une société est détenue par le chef
d'entreprise, le décès de celui-ci entraînera le partage des parts sociales entre les
enfants. Comme en ce qui concerne l'entreprise individuelle, la transmission des titres du
patrimoine du chef d'entreprise à celui de ses enfants fera l'objet d'une imposition au
titre des droits de mutation à titre gratuit, et ce aux mêmes taux que pour la mutation
d'une entreprise individuelle (voir encadré ci-dessus).
Concernant le paiement des droits de succession, il est possible pour les héritiers
recevant des parts sociales ou des actions d'en différer le paiement pendant cinq ans. A
l'expiration de ces cinq années, il est possible de fractionner sur dix ans le paiement
de ces droits à raison de 1/20e tous les six mois. C'est-à-dire que si une personne doit
payer 1 million de francs de droits de succession sur un héritage touché en 1999, il
pourra attendre 2004 pour commencer à payer cette somme, soit 50 000 francs (1/20e) tous
les six mois, et ce jusqu'en 2014.
Comme on peut donc le constater, les problèmes posés en cas d'héritage sont nombreux.
Or, la transmission de l'entreprise mise sous forme de société offre indéniablement des
avantages à la fois fiscaux et moraux par rapport à la transmission de l'entreprise
individuelle. Alors qu'une transmission de société se fait facilement par un échange de
titres sociaux (actions dans le cas d'une Société anonyme, parts sociales dans le cas
d'une Société à responsabilité limitée), la transmission de l'entreprise individuelle
est, quant à elle, beaucoup plus problématique car elle implique toujours des
difficultés d'ordre administratif et personnel, et ce notamment lorsque la famille
comporte plusieurs enfants.
Nous verrons par la suite que l'héritage d'une entreprise n'est véritablement pas le
mode de transmission à privilégier lorsque ce sont les enfants qui sont destinés à
être les repreneurs de celle-ci. Toutefois, si la transmission n'a pas été préparée,
la mise en société permet tout du moins de "limiter la casse" humaine et
fiscale. On ne saurait assez souligner qu'il est de la responsabilité des chefs
d'entreprise de prendre le temps de songer à préparer leur succession. Il est d'ailleurs
déroutant d'observer que plus les chefs d'entreprise avancent en âge et moins ils
envisagent cette succession. Pourtant, et nous le verrons au fil de nos numéros, des
moyens existent pour que cette transmission se fasse de manière souple et intéressante
sur le plan fiscal.
ExempleSoit un chef d'entreprise, père de 4 enfants, et qui leur lègue des actions d'un
hôtel-restaurant exploité sous la forme d'une SA. On calculera par la suite les droits de succession à payer en utilisant les
barèmes du fisc : Total de droits à payer par enfant : 1 058 750 francs. Chaque enfant aura donc à payer 1 058 750 francs de droits de succession, soit un
taux d'environ 22,53 %. |
L'HÔTELLERIE n° 2635 Hebdo 14 Octobre 1999