Contre la TVA à 20,60% et la loi Aubry
Les professionnels voulaient
se faire entendre et ils ont réussi. Cette démonstration de force sera-t-elle suivie
d'effet ? Les manifestants en toques blanches obtiendront-ils des politiques une baisse
sensible du taux de TVA ou des charges sur les salaires ? Il est bien trop tôt pour le
dire. En revanche, côté couverture médiatique, c'est une réussite incontestable.
Radios, télés, presse écrite, ils étaient tous là pour couvrir l'événement. Et
quand les retombées médiatiques abondent, les politiques prêtent l'oreille...
La manifestation nationale unitaire lancée par les associations professionnelles
(Maîtres cuisiniers de France, chambre syndicale de la Haute cuisine française, Jeunes
restaurateurs de France et Euro-Toques France) en collaboration avec les syndicats
(Confédération, FAGIHT, UMIH) a été particulièrement bien suivie. Pour tous, un seul
slogan : "Donnez-nous les moyens d'appliquer la loi Aubry." La
réduction du temps de travail et les fameuses 39 heures que les professionnels voient
arriver à grands pas, il faut pouvoir y faire face. Au-delà des différents engagements
et appartenances, dans une belle unanimité, tous réclament une réduction du taux de TVA
et des charges sur les salaires assortie de la création d'un code APE spécifique. Pour
les restaurateurs, impossible d'appliquer la loi Aubry et de réduire le temps de travail
des salariés dans l'état actuel "d'injustice fiscale".
A 9 h 30, place de la Concorde à Paris, on commence un peu à s'impatienter. Près de 2
500 personnes d'après les renseignements généraux, près de 3 000 disent les
organisateurs, forment un cortège bien sage et minutieusement organisé, chacun sous sa
bannière. Au pied de l'Obélisque chapeauté d'or, c'est une forêt de toques blanches
qui se dresse fièrement. Dans les rangs, une franche convivialité et une détermination
sans faille dominent. Ils sont venus de toute la France. Certains en car affrété par
leur organisation professionnelle ou syndicale, d'autres en train ou en roulant toute la
nuit. Ils sont là pour défendre les intérêts de toute une profession.
CRS et gaz lacrymogènes
Le cortège s'ébranle enfin et entame son parcours vers son but ultime, l'Assemblée
nationale et ses députés dont chacun espère le soutien. Sur leur passage, les badauds
s'interrogent. "Pourquoi vous ne faites pas de bruit ?", s'enquiert une
passante visiblement étonnée. "Nous sommes des amateurs, madame", lui
répond tout sourire un manifestant. C'est dans cette ambiance bon enfant que petit à
petit les manifestants se rapprochent inexorablement du palais Bourbon. Et pourtant c'est
peine perdue.
Sur le trajet, les CRS font leur apparition bien décidés à ne pas les laisser atteindre
la chambre des députés. A chaque barrage, les professionnels bifurquent, cherchant une
solution tout en évitant l'affrontement. Et pourtant, sur la place Herriot, arrêtés
cette fois par un impressionnant déploiement de CRS derrière des barrières, le ton
monte. Dans la foule, un uf fuse en direction des forces de l'ordre. Au premier
rang, les esprits s'échauffent et quelques-uns empoignent les barrières qu'ils secouent
fortement. Puis, une pluie d'ufs s'abat sur les CRS et la réponse ne tarde pas à
venir : une bombe lacrymogène explose au milieu des professionnels totalement aveuglés
par la fumée. Les yeux pleurent, les gorges piquent, il faut bien reculer pour sortir des
émanations, le tout dans une immense vague de panique. Il est 11 h 30. C'est le choc, aux
cris de "Aubry aux fourneaux", scandés dans la bonne humeur succèdent
les "Aubry démission". Dans les rangs, c'est la stupéfaction. "On
n'est pas des casseurs. On a apporté des ufs symboliquement. On n'a jamais voulu en
arriver là", dit une restauratrice. "Ils ne sont même pas durs, sinon
ça aurait fait mal", ironise son voisin. "Bon d'accord, ils ne sont pas
très frais, ajoute un troisième, mais de là à nous balancer une bombe lacrymogène,
c'est inconcevable !" Premier bilan, cette rencontre musclée a fait des blessés
légers des deux côtés : 3 chez les restaurateurs, 7 chez les CRS. "C'est une
révolte des gens du feu, dit Emile Jung, du Crocodile à Strasbourg qui réussit
enfin à s'extraire du nuage de gaz étouffant. Ce n'est pas pour rien qu'on arrive à
ce degré d'implication et à ce niveau de colère. On réclame la parité des charges au
niveau européen. La France ne nous donne pas les moyens d'être performant."
Reçus par les partis politiques
Déçus, en colère, les professionnels marchent alors sur le siège du parti socialiste
rue de Solférino. Une délégation est reçue par Stéphane Lefol, directeur du cabinet
de François Hollande. Dans le même temps, d'autres délégations se rendent aux sièges
des autres partis politiques. Toutes seront reçues. Les organisateurs invitent les
restaurateurs à rejoindre le Pont-Neuf où deux bateaux les emmèneront jusqu'au
ministère des Finances à Bercy. Sur place, autour du ministère, des cars de CRS les
attendent de pied ferme. Mais les bateaux n'accostent pas. Seulement quelques minutes
d'immobilisation devant le fief de Dominique Strauss-Kahn pendant lesquelles les
professionnels crient leurs revendications avant de retrouver leur point de départ au
Pont-Neuf. Pour certains, qui comptaient bien débarquer à Bercy, ce n'est pas assez. Ils
ne veulent pas en rester là. Or, comme pour toute manifestation légale, le parcours est
balisé, l'autorisation de se rassembler pour protester doit-être obtenue et l'heure de
la fin est prédéterminée. Au-delà, les manifestants encourent les foudres des forces
de l'ordre.
28 interpellations musclées
A 14 h 45, au Pont-Neuf, Jean Biron prend le porte-voix et annonce la fin de la
manifestation demandant à tous de rejoindre dans le calme les cars place de la Concorde.
Les participants prennent alors le chemin indiqué mais c'est au milieu de la chaussée,
banderole au vent, qu'ils entament le retour aux cars interrompant à nouveau la
circulation. Au niveau des jardins des Tuileries, les choses se gâtent. Les policiers
veulent les disperser et la colère monte. Excédés, certains restaurateurs brûlent
leurs toques au milieu de la rue. Quelques minutes plus tard, les cars de CRS font à
nouveau leur apparition arrivant à la charge. Les restaurateurs sont alors refoulés dans
les jardins, dispersés et les interpellations se succèdent. 23 hommes et 5 femmes sont
alors arrêtés et regroupés manu militari par les CRS qui les encadrent fermement.
Interloqués de se retrouver dans cette situation, les restaurateurs n'en restent pas
moins dignes et calmes. Deux heures plus tard, ils sont embarqués pour le commissariat du
Ie arrondissement où leur identité sera vérifiée avant d'être relachés. "C'est
une honte. Je suis horrifiée, crie une restauratrice. On n'a rien fait. Si c'est ça la
démocratie...".
N. Lemoine
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Les professionnels prennent la paroleAndré Daguin, président de l'UMIH : François Effling, restaurateur à Pornic : Bernard Fournier, président d'Euro-Toques
France : Patrick Fulgraff, président des Jeunes
restaurateurs d'Europe : Michel Garrigou, président de l'UMIH 24 : Roland Magne, président de la CFHRCD : Fernand Mischler, président des Maîtres
cuisiniers de France : David Van Laer, restaurateur à Paris : |
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L'HÔTELLERIE n° 2635 Hebdo 14 Octobre 1999