Casinos l Le règne des machines à sous
Lyon, Bordeaux, Carnac, La Trinité-sur-Mer, Saint-Tropez... la liste est longue des municipalités qui rêvent de voir s'implanter un casino sur leur territoire. Mais dans ce domaine-là, le maire n'a qu'un pouvoir très limité. Enjeux politiques ou simple approche éthique, l'autorisation d'ouverture des casinos, qui émane exclusivement du ministère de l'Intérieur, est pour l'instant accordée avec parcimonie. L'affaire la plus récente pour illustrer ce principe régalien demeure le casino de Lyon, qui à la date du bouclage de cet article, n'avait toujours pas obtenu son autorisation d'exploiter. Hubert Benhamou du groupe Partouche reste cependant confiant, mais l'histoire a causé bien de l'énervement dans l'ancienne capitale des Gaules. Le casino remplit un rôle important tant par son apport financier aux communes que par l'animation qu'il développe. Personne ne l'ignore. Sur la saison 97/98, près de 60 millions d'entrées de casinos ont été comptabilisées en France. Ce chiffre, bien qu'à revoir à la baisse - un joueur au cours d'une même journée aura pu sortir et entrer plusieurs fois -, démontre bien que c'est un espace ludique qui tient sa place dans les loisirs de certains Français. Car nos compatriotes sont de grands joueurs !
Au cours du siècle, la sitution des casinos a connu des hauts et des bas. Jusqu'en 1988, seuls les jeux traditionnnels dits encore jeux de table comme la boule, le black-jack, la roulette... étaient autorisés. Mais la clientèle s'est faite de plus en plus rare, alors que les casinos monégasques voisins battaient le plein.
Un développement trompeur
Crise financière, pression fiscale, positionnements trop élitistes... il est difficile
de savoir quelle a été la vraie cause de la crise des jeux. Toujours est-il que les
casinos se sont retrouvés en manque de joueurs et leurs bilans déséquilibrés. Fort de
cette constatation et pour ne pas les voir disparaître, en 1988 est votée la loi
autorisant, sous certaines conditions, l'exploitation des machines à sous. Le secteur
connaît un nouveau souffle et une autre typologie de clientèle pousse soudainement la
porte des casinos. Alors que le produit brut des jeux était de 1 milliard de francs en
1987 avec 138 casinos, il a atteint près de 11 milliards sur la saison 97/98 avec 159
établissements. Le nombre de casinos a certes augmenté mais ce sont surtout les machines
à sous qui alimentent les caisses, réalisant près de 90 % du montant total des
recettes. Pour autant, la baisse du nombre de casinos a poursuivi sa chute jusqu'en 1991.
Le délai qui sépare la promulgation d'une loi avec sa mise en application est toujours
long et certains casinos croyant remonter la pente avec les machines à sous ont sombré
en raison d'un cumul de déficit trop lourd à éponger. Entre temps, dans le monde des
casinotiers, tout comme dans celui des hôteliers d'ailleurs, on a pu assister à une
concentration de l'offre. Ainsi, il n'y a plus que la moitié des casinos français à ne
pas faire partie de groupes tels que Partouche, Lucien Barrière, Tranchant... Certains
indépendants mettant la clé sous la porte en ont profité pour réaliser une importante
plus-value en revendant leur affaire. Cette situation arrange bien les groupes : ne
maîtrisant pas leur développement par les ouvertures car ils sont dépendants du bon
vouloir du ministère de l'Intérieur, ils assurent ainsi leur croissance au travers de
prises de participations ou de reprises.
Des municipalités qui font les yeux doux
Il n'y a pas que les casinotiers dont le sort dépend des instances supérieures. Les
municipalités en sont aussi tributaires. Car avant tout pour pouvoir prétendre à ouvrir
un casino, la commune doit être classée soit station thermale, balnéaire ou climatique,
soit depuis 1988, station touristique pour les agglomérations de plus de 500 000
habitants. Pourquoi cet engouement des communes ? Les motivations sont nombreuses et sont
faciles à comprendre. D'abord, la présence d'un casino est redevenue valorisante. C'est
bon pour l'image de la commune. D'un point de vue financier, l'opération est juteuse. Sur
le total du produit brut réalisé sur la saison 97/98, les prélèvements de la
collectivité ont été de 5,7 milliards de francs dont un peu plus d'un milliard destiné
au budget des communes, le reste allant en majorité au budget de l'Etat et dans une
moindre mesure à celui de la Sécurité sociale. "En l'espace de 4 exercices,
alors que le produit réel des jeux a augmenté de 56,4 %, les sommes versées au titre de
l'Etat et des communes se sont accrues, elles, de 82,3 %", déclare Christian
Rouyer, directeur du Syndicat des Casinos de France. Outre cet aspect monétaire, le
casino doit proposer obligatoirement une activité de restauration et de spectacles, qui
d'ailleurs apparaissent souvent déficitaires. Cela dit, elles créent de l'animation pour
la ville. Le casino favorise ainsi un lieu de vie. D'autre part, la multiplicité des
activités est aussi génératrice d'emplois ce qui, bien sûr, plaît aux élus.
Employant environ 12 500 personnes dans des lieux peu propices au développement d'entre-
prises, les casinos sont souvent accueillis comme des bienfaiteurs. Et puis, la
municipalité peut inclure dans le cahier des charges le moindre de ses désirs. Au
casinotier d'apprécier l'importance qu'il donne à ce projet en accédant ou non à la
demande. Ainsi a-t-on vu La Trinité-sur-Mer dans le Morbihan ne pas cacher ses intentions
: le casino servirait de locomotive à la ville et serait couplé à un hôtel de
catégorie 3 étoiles (voir L'Hôtellerie du 5 avril 1999).
Le casino de l'hôtel ou l'hôtel du casino ?
Savoir qui du casino ou de l'hôtel est le plus bénéficiaire dans un complexe
réunissant ces deux entités est difficile, même si le rendement des machines à sous
est colossal. Plutôt que de parler de synergie, il vaut mieux parler de complémentarité
entre les deux. Ce n'est d'ailleurs sans doute pas sans raison que les leaders casinotiers
sont également des hôteliers. Le casino est parfois la vache à lait de certains groupes
qui grâce aux marges dégagées par les jeux, malgré la masse de taxations, peuvent
entretenir leur patrimoine hôtelier. Si Accor, gros porteur de l'hôtellerie en France, a
décidé de sortir de l'ombre en créant Accor Casinos et en n'étant plus simple
actionnaire dans la Spic au côté de Lucien Barrière, ce n'est pas par hasard. "Accor
s'est lancé dans l'aventure parce qu'il existe une véritable connexion entre ces deux
métiers. Tant pour la plus-value qu'un casino apporte à une ville que pour son
association aux métiers de service, le groupe se devait d'être présent sur ce marché",
explique Nicolas Ricat, directeur marketing d'Accor Casinos. De plus, le Royal Hôtel
Casino de Mandelieu, seul établissement du groupe à posséder un casino intégré,
apporte des arguments. "Nous estimons que 30 % de la clientèle de l'hôtel pousse
les portes du casino", confirme Nicolas Ricat. De son côté, Philippe Quentin,
directeur des casinos du groupe Lucien Barrière, est convaincu de la force d'un
établissement de jeux et d'un hôtel. "Nous détenons dans ce cas un avantage
concurrentiel que n'ont pas nos concurrents qui ne possèdent pas d'hôtels. Nous pouvons
mettre à disposition de nos meilleurs joueurs nos plus belles chambres. De la même
manière, un client hébergé dans nos hôtels pourra découvrir le monde du casino et
trouver cela pas si mal." Hubert Benhamou du groupe Partouche partage le même
avis. Il accorde cependant plus de crédit à ce qui fut le métier de base du groupe :
casinotier. "C'est surtout le casino qui apporte à l'hôtel. Il n'est pas rare
que le casino réserve quelques chambres parce qu'il souhaite y inviter ses plus gros
clients. De même, le casino permet à l'hôtel de proposer des prestations
supplémentaires et originales que tout hôtel n'est pas en mesure d'offrir s'il n'a pas
à proximité un établissement de jeux."
Une clientèle essentiellement régionale
Le projet du groupe Moliflor à Bordeaux étaye également l'idée que l'hôtellerie et
les casinos ne sont pas deux mondes à part. Bien qu'il n'ait pas été retenu lors de
l'appel d'offres de Bordeaux-le-Lac, il avait le mérite d'être original. Le p.-d.g. du
groupe avait annoncé sa volonté d'ouvrir le capital de la société d'exploitation du
casino aux restaurateurs et hôteliers de la région à hauteur de 20 %. Cette initiative
a peut-être germé dans l'esprit du dirigeant afin d'abattre les atouts d'Accor disposant
déjà d'un grand nombre d'établissements sur le site. Personne ne doute d'ailleurs que
la présence de ces hôtels a pesé lourdement dans la balance au profit d'Accor Casinos.
Cependant l'hôtellerie n'est et ne sera pas dans l'immédiat le fer de lance des
casinotiers car ils puisent leur clientèle essentiellement dans la région, dans un
périmètre finalement restreint. Hormis les gros joueurs passionnés qui ne sont pas à
quelques kilomètres près pour s'adonner à leur passe-temps favori, les adeptes des
bandits manchots se rendent au casino avant tout pour s'amuser et non pour gagner, dans
l'absolu. L'attrait d'une destination aussi complète que Las Vegas ne fait encore que
rêver les casinotiers français. Tous désireraient de créer leur propre Las Végas
français. Mais, ils sont loin de disposer des dizaines de milliards de dollars qu'il leur
faudrait pour y parvenir. Et surtout de la liberté d'agir, car l'Etat veille au grain.
M.-L. Estienne
Un casino est toujours un plus pour l'image d'une commune.
Qui joue aux machines à sous (MAS) ?De loin, ce sont actuellement les machines à sous qui font tourner les casinos. Le
produit brut des jeux sur la saison 97/98 des MAS est de 9,648 milliards de francs. 58
millions de personnes sont venues titiller le bandit manchot ou tout simplement regarder.
La clientèle des MAS n'a rien à voir avec celle des jeux traditionnels. Une enquête
réalisée pour le compte des Casinos de France sur la clientèle des MAS révèle que
c'est avant tout un jeu populaire et, contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce
n'est pas un monde de machistes : 46 % des joueurs sont en fait des joueuses. En nocturne,
les hommes reprennent du terrain et représentent 64 % de la population présente. |
L'HÔTELLERIE n° 2635 Supplément Économie 14 Octobre 1999