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La restauration parallèle trouble le marché

Avec la métamorphose des habitudes de consommation et notamment une tendance récente au vagabondage alimentaire, une nouvelle sorte de restaurateurs, sans restaurant, a pu voir le jour. Leur principe : aller là où le public se trouve. Mais cette manne de professionnels improvisés n'est pas sans susciter l'inquiétude des anciens.

Il y a une trentaine d'années, la restauration traditionnelle a vu débarquer dans son sillage, bien avant l'arrivée des formules rapides, une nouvelle génération de fournisseurs de repas prêts à consommer en la personne des boulangers, bouchers ou traiteurs. On trouvait déjà dans les supermarchés des plats complets à réchauffer. Aujourd'hui, la restauration est multiple et semble s'être dotée du don d'ubiquité. On a tendance à appeler cette restauration qui n'est pas servie dans les restaurants, "la restauration parallèle ou marginale", à tort ou à raison.
Car, on peut désormais se rassasier dans tous les espaces susceptibles d'accueillir du monde, dans la rue mais aussi sur les aires de nationales ou d'autoroutes (stations services), dans les gares ou les aéroports, dans les lieux de divertissement (cinémas, musées, théâtres ou clubs sportifs), dans les boutiques (FNAC, Ikéa, etc.) ou les grandes et moyennes surfaces.

Une restauration polymorphe
Cette liste n'est néanmoins pas exhaustive et n'a de cesse d'ailleurs de s'étendre. Bien qu'aucune étude approfondie n'ait été entreprise sur le sujet, on sait qu'après un démarrage fulgurant, cette restauration d'un nouvel ordre est devenue monnaie courante. Pour preuve, les métiers de bouche qui n'ont pas opéré une diversification vers la fourniture de repas prêts à consommer se comptent maintenant sur les doigts de la main. Par dessus le marché, les nouveaux arrivants jouent la promotion en acceptant même les titres-restaurant. Cela répond bien au nouveau principe de repas décalés des Français mais aussi à leurs envies de grignotage. Ils sont plus de la moitié à déclarer s'y adonner régulièrement.
Mais ici, on ne sait pas si la demande a créé l'offre ou l'inverse... Ainsi, sandwiches, salades et même plats chauds sont visibles à tous les coins de rues. Car c'est essentiellement ce genre de produits d'un moindre coût et rapide à consommer que proposent les restaurateurs en marge. Le sandwich est le grand gagnant de cette restauration prise sur le pouce, avec 800 milliards d'unités consommées chaque année, selon un article paru dans Le Point. Ainsi, 1 Français sur 30 déjeune occasionnellement ou régulièrement d'un sandwich. L'intérêt de la restauration parallèle est là : être à portée de main et accessible à toutes les bourses. Et même si beaucoup de ses nouveaux acteurs ne se considèrent pas comme des restaurateurs à part entière, selon Jean-Pierre Fourca, de la Cofremca, "ils développent une forme de restauration parmi d'autres. Aujourd'hui, il existe de multiples façons de se restaurer, de la barre chocolatée d'un distributeur automatique au repas gastronomique". Le consommateur a changé et a besoin, mais aussi envie, de varier sa façon de s'alimenter. Il ne peut donc se suffire d'un seul type de restauration, ce qui désole les restaurateurs en place, plus habitués naguère à avoir des clients plus fidèles à leur maison.

Vagabondage alimentaire
Lié à l'évolution de notre manière de vivre et de travailler (pratique de la journée continue, temps réduit pour les déjeuners, temps augmenté des transports, etc.) ainsi qu'à l'évolution des conditions de production des aliments, le comportement des consommateurs s'est transformé, il est banal de le dire. "Tandis que les rythmes de vie à la campagne restent basés sur les trois repas quotidiens, en ville, la vie se calque sur la journée de travail et impose au consommateur une gestion différente de son temps", analyse Jean-Pierre Fourca. On constate ainsi une augmentation du nombre de prises alimentaires (entre 6 et 10 par jour en France contre 15 à 20 aux USA), que l'on appelle vulgairement le vagabondage alimentaire. Autre élément intéressant : la déstructuration des repas traditionnels. Le repas classique (entrée, plat, dessert) est de plus en plus remplacé par des combinaisons plus simples. Dans son dernier sondage auprès de la clientèle de la restauration, Coach Omnium confirmait que 68 % des Français ne prennent habituellement qu'un à deux plats au restaurant le midi, contre 42 % le soir.

Diversification de l'offre
Cette évolution a entraîné une demande que la restauration traditionnelle ne satisfaisait pas, tant en termes de souplesse d'horaires que de contenu des repas. Les formules de restauration traditionnelle ne donnent pas entièrement satisfaction à une clientèle captive qui veut déjeuner rapidement et à n'importe quelle heure. Même les services dits "rapides" prennent parfois trop de temps. "Il y a encore quelques années, il était encore difficile de trouver le matin des produits autres que ceux du petit-déjeuner où de s'alimenter correctement la nuit", explique le vice-président de la Cofremca. L'apparition de ces nouveaux besoins a créé un appel d'air important et constitue une véritable opportunité pour l'apparition de nouveaux circuits de distribution.

Adaptation des professionnels
La restauration peut s'introduire partout ou la population fait halte un minimum de temps. Ainsi, les cinémas Gaumont ou UGC, les stations Total, BP, les magasins Virgin ou Ikéa entre autres, en multipliant les points de vente restauration, ont découvert un filon précieux qui leur permet d'engranger de nouveaux bénéfices, mais aussi de développer une image plus conviviale.
Derrière eux, les hôpitaux, les musées, les centres administratifs... attendent leurs implants de petite restauration.
Quoique les nouveaux venus ne se placent pas comme des concurrents et jouent plutôt la complémentarité, les professionnels de la restauration commerciale et collective redoutent leur développement. La restauration collective a ainsi réagi activement par le biais de la diversification. "Avec l'évolution des habitudes alimentaires, nos consommateurs potentiels ont tendance à prendre de plus en plus de repas à l'extérieur. Si l'on veut conserver cette clientèle captive, nous devons nous adapter aux nouvelles attentes", révèle Gérard Derbois, responsable de la communication chez Elior. C'est pourquoi, la société a mis en place dans les lycées des formules de restauration de type restauration rapide à la française composées de salades, sandwiches et pâtisseries. Dans le cadre de la restauration d'entreprise, Elior a développé le concept "suite et faim" et propose, par ailleurs, des services de livraisons sous forme de plateaux-repas dans les sociétés de grande taille. Quant à la restauration commerciale, l'adaptation n'est pas si simple. Si les chaînes travaillent depuis longtemps sur le registre de la VAE (Vente à emporter) bénéficiant par ailleurs d'une TVA réduite, la restauration traditionnelle se trouve dans une impasse. Doit-elle se diversifier pour faire face à la concurrence au risque de perdre sa crédibilité ou sa spécificité ?

Un vent favorable
En attendant, le mouvement continue dans le sens de la multiplication de l'offre et les nouveaux acteurs semblent promis à un avenir radieux. Le seul obstacle à la multiplication de l'offre pourrait être la législation et les contrôles sanitaires ainsi qu'une vision négative de la restauration du troisième type sur le plan nutritionnel. "Mais on vit dans un système d'alternance, où le besoin de variété supplante la qualité gustative", explique Jean-Pierre Fourca. Au contraire, Gérard Derbois constate un retour vers une restauration plus simple et rassurante quant à la qualité et l'origine des produits utilisés. Quoi qu'il en soit, si les restaurateurs ambulants deviennent le parent pauvre du secteur, les nouveaux prestataires que sont les stations services, les commerces ou les cinémas ont, en revanche, de quoi se frotter les mains. Des sociétés telles que la FNAC, Ikéa ou Virgin agissent comme des professionnels plus vrais que nature. Elles ne laissent rien au hasard, s'entourent de spécialistes et font de la qualité un souci permanent. Enfin, elles profitent souvent d'un environnement favorable en termes de notoriété et de capacité à investir et à communiquer. Les restaurateurs d'un nouveau genre peuvent envisager leur avenir sous de très bons auspices. D'autant plus qu'ils se montrent organisés, fins stratèges et se donnent les moyens de leurs ambitions. De quoi inquiéter sérieusement leurs prédécesseurs...
A. Vallée


Les nouveaux prestataires que sont les stations services, les commerces ou les cinémas ont, de quoi se frotter les mains.


L'HÔTELLERIE n° 2635 Supplément Économie 14 Octobre 1999

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