l Une modernisation accélérée
Désuets, ringards,
poussiéreux... bientôt, on ne pourra plus coller ces termes, un peu faciles, à nos
palaces et grands hôtels parisiens. Car, malgré leur image éternelle datant parfois de
plus d'un siècle, ces établissements commençaient à ne plus tenir la route face à la
concurrence européenne et des autres continents. On compte près d'une quarantaine de
grands hôtels à Paris, auxquels il faut ajouter des établissements de chaînes de haut
de gamme , plutôt moyens et gros porteurs, ainsi qu'une multitude de petits hôtels 4
étoiles de quartier. Quant aux palaces, sortes de princes parmi ces aristocrates de
l'hôtellerie, chacun nommera spontanément le George V, le Plaza-Athénée, le Crillon,
le Ritz, le Meurice et le Bristol, comme les grands dignitaires de cette catégorie,
pourtant inscrite dans aucun registre officiel.
Aujourd'hui, la capitale voit une profonde remise en question de son hôtellerie de luxe.
Des rénovations en profondeur se font de manière spectaculaire, pour des investissements
presque toujours gigantesques.
Investissements colossaux
Cela va de près de 300 000 francs la chambre à 1 MF, voire plus. On parle d'une note
finale de rénovation dépassant les 350 MF pour le George V. Il faut dire que cet
emblème de l'hôtellerie mondiale, cher à Greta Garbo ou à Duke Ellington, racheté en
1996 par le prince Al-Waleed pour quelque 920 millions de francs, frôlait la vétusté.
Pratiquement une chambre sur cinq était inlouable en l'état. A présent, le bâtiment a
été complètement évidé pour ne laisser que la façade d'origine. L'hôtel Meurice est
en sérieux embellissement aussi, avec un budget, rien qu'en mobilier et aménagements
généraux (hors gros uvres et équipements lourds), proche de 40 millions de francs
pour 160 chambres. Mais le Plaza-Athénée, récemment refait, n'est pas en reste, ainsi
que d'autres encore. Plus discrète mais tout aussi efficace dans sa modernisation, une
maison plus feutrée comme le Raphaël a investi pendant 10 ans, sous la houlette de
Françoise Baverez, ce qu'il fallait pour donner sérieusement à l'hôtel une nouvelle
jeunesse. Cela s'est fait tout en préservant l'esprit de quiétude dégagée entre autres
par la belle allure des boiseries et autre patrimoine mobilier de style varié, à
dominante Régence, de cet hôtel de charme.
L'effet Coupe du Monde
Après 4 à 5 années de crise, où les grands hôtels parisiens avaient vu chuter de
façon dramatique leur activité et se livraient à une guerre des prix sans merci, les
voici, depuis la fin 1997, recouvrant leur belle assurance intemporelle. Les taux de
fréquentation sont revenus au niveau de ceux de la fin des années 1980. Avec ces deux
derniers exercices, les hausses de trafic de clientèles ont été accompagnées d'une
très forte amélioration des prix moyens chambre. A en croire les professionnels, 1999
devrait se montrer comme une seconde bonne année. "Paris a pleinement
bénéficié de l'effet Coupe du Monde, avec une image très positive, qui rejaillit sur
le tourisme et l'hôtellerie notamment. Nos hôtels en profitent comme les autres. Par
ailleurs, la rénovation du palais des congrès de Paris devrait contribuer à
l'amélioration de l'activité hôtelière sur les prochaines années", explique
Brigitte Chevillotte, directeur des ventes du groupe Concorde. Un retour de la clientèle
internationale, une ambiance générale et un environnement stimulants, une image de la
France au beau fixe... il n'en fallait pas plus pour que les grands hôtels se lancent
sans restriction dans de furieuses réfections de leur infrastructure.
Des restaurants comme produit d'appel
Mais leurs propriétaires, dont la quai-totalité est étrangère ne se contentent plus de
ripoliner les murs et de changer les meubles de place. On a affaire, la plupart du temps
à des chantiers pharaoniques : investissements dans le gros uvre, dans le mobilier
(fabriqué par des ébénistes d'art), dans les tapisseries rares, dans des marbres
d'Italie, dans la climatisation, dans les systèmes informatiques et la domotique...
acquisitions d'objets d'art, de toiles de maîtres, etc. Rien n'est trop beau pour redorer
son blason et espérer (re)devenir le plus beau, le plus attirant et la meilleure adresse
de Paris. Car, l'enjeu est là. Contrairement à ce qu'on croit, la clientèle
fréquentant les grands hôtels n'est pas élastique. S'ils ont du mal à se l'avouer, les
établissements de luxe se disputent une grande partie des clients intéressés par le
haut de gamme. Il faut donc savoir attirer par une prestation de top niveau. "Les
grands hôtels travaillent d'arrache-pied pour relancer la qualité. Ils rénovent leur
établissement en profondeur, assurent un service 24 h/24, et fourmillent d'idées pour
séduire le client. Ils ont aussi désormais le souci de recruter de bons chefs de
cuisine, car le restaurant est devenu un produit d'appel. Certains restaurants de grands
hôtels font maintenant le plein, alors qu'on les voyait vides il y a encore quelques
années", analyse Jean-Paul Lafay, qui préside le Club des directeurs des grands
hôtels de Paris. Ces imposants chantiers de rénovation ne sont pas pour déplaire à la
profession. "Le fait que les palaces et d'autres grandes maisons investissent
massivement pour améliorer leur produit est une bonne chose, dont nous profitons tous.
Ceci affirme l' image de qualité de l'hôtellerie parisienne, alors que les nouveaux
aménagements de l'aéroport de Roissy permettront bientôt à près de 20 millions de
passagers de plus de venir dans la capitale", défend Gérard Toupet, directeur
général du Scribe, où l'on a investi plus de 62 millions de francs sur 3 ans pour
rénover les 217 chambres de l'hôtel. Même avis de Brigitte Chevillotte qui se rend
compte "qu'un grand hôtel rénové dynamise le marché et se vend plus
facilement".
Tête froide sur les prix
Ces grands travaux n'ont pas forcément créé de surenchère sur les prix des hôtels de
luxe, même si, d'après la dernière étude de Coach Omnium, Paris atteint les
stratosphères tarifaires des hôteliers européens, avec Vienne et Londres. La
quasi-majorité des directeurs d'hôtels de luxe pensent que c'est avant tout la
prestation, l'équipement, le service et le confort qui attirent la clientèle. Le prix
est ici déterminant, mais finalement très secondaire. "On assiste à la
création d'une nouvelle famille d'hôtels rénovés pratiquant des tarifs se situant
autour de 2 500 francs la chambre, au lieu de 4 000. Malgré cela, les grands hôtels ne
jouent plus sur les prix pour gagner des parts de marché", analyse Philippe
Gauguier de PKF Consulting. Il est vrai que dans cet univers où la chambre se paie
fréquemment de 1 800 à 4 200 francs la nuit, il n'y a pas de commune mesure avec le
restant de l'hôtellerie pour qui la clientèle a d'autres critères de sélection. Ces
établissements de luxe n'ont pas eu comme seul souci de recouvrer une fraîcheur dans
leur produit. Leurs dirigeants savent que les techniques et les moyens de gestion modernes
s'imposent par eux-mêmes. Beaucoup pratiquent le yield management, ont une gestion
informatisée sur le modèle du fameux Uniform System, ont créé leur site Internet et
bientôt vont permettre les réservations on-line via le web, à l'instar des grandes
chaînes hôtelières. Bref, le back-office devient avant-gardiste, tout en sauvant ces
aspects si prestigieux et conservateurs des lieux, tant recherchés par la clientèle. "Les
grands hôtels et palaces parisiens sont quelque part en concurrence avec d'autres grands
hôtels situés sur des destinations pouvant se trouver à 20 000 km de nous. Ce n'est pas
une concurrence commerciale, mais une rivalité dans les produits. Un client va comparer
l'excellence de notre prestation avec celle qu'il a rencontrée à Tokyo ou à New York.
Nous n'avons pas le droit de le décevoir. Par chance, notre personnel connaît la
souplesse. Il est capable de rendre des services au pied levé alors qu'un employé
américain ou japonais sera perdu hors de ses procédures", dit un directeur de
palace.
Situation très fragile
Si ces deux dernières années ont permis aux grands hôtels parisiens de renouer avec
l'optimisme, leur situation n'en demeure pas moins d'une extrême fragilité.
L'hôtellerie de luxe, qui reçoit jusqu'à 80 % de clients étrangers, est la catégorie
la plus sensible et la plus vulnérable face aux fluctuations de l'économie et de la
politique internationale. Dans cette gamme, il est impossible d'établir une quelconque
prévision d'activité, y compris à court terme, tant le volume d'arrivées de voyageurs
dépend d'éléments extérieurs. "En dehors des effets de la parité monétaire
avec le dollar, des risques permanents d'attentats ou d'événements politiques ou
médiatiques, c'est à présent la Bourse, dans les grandes capitales, qui détermine en
partie si les grands hôtels vont bien ou mal travailler. En ce moment, le moral est bon
chez nos clients, ce qui favorise l'accès aux grands hôtels", observe Gérard
Toupet. Mais, les réouvertures du Plaza, du George V et du Meurice, remis à neuf, vont
troubler le marché. "Comme tout le monde partage le même gâteau, ces chambres
redevenues supplémentaires vont surtout gêner les palaces en place comme le Crillon ou
le Ritz essentiellement, qui devront se remettre en question", prévoit un
propriétaire d'hôtel. De plus petits établissements comme le Raphaël, dont au moins 35
% de la clientèle est composée d'habitués, vont être moins concernés par ces
nouvelles composantes du marché parisien. Quant à l'arrivée annoncée de grands groupes
hôteliers américains qui recherchent vaille que vaille de bons emplacements à Paris,
ils inquiètent paradoxalement moins les professionnels des grands hôtels. "Leur
centrale de réservations draine une clientèle qui ne se serait sans doute pas rendue
dans nos hôtels en dehors de ces enseignes américaines".
Contraintes d'exploitation
Paris devient un vaste chantier de rénovation hôtelière, pressé par l'avènement des
festivités de l'an 2000 et boosté par un regain de fréquentation touristique. "Oui,
mais les grands hôtels n'ont pas attendu les événements médiatiques pour se rénover,
même si on observe une accélération du phénomène", insiste Philippe
Gauguier. Les exploitants des grands hôtels, conscients que c'est la destination qui
crée la demande, attendent beaucoup de la ville. "Il y a encore quelques années,
quand on avait visité le Louvre et passé une soirée au Lido, il n'y avait plus
grand-chose à voir à Paris. Fidéliser les touristes à la ville était devenu
difficile. Aujourd'hui, la capitale s'est enrichie considérablement et cela profite aussi
aux hôteliers", explique Gérard Toupet. Pour autant, parce qu'un grand hôtel
est avant tout une grande entreprise, les professionnels s'alarment en raison des charges
importantes auxquelles ils sont confrontés et des contraintes nouvelles. "Nous ne
trouvons plus de main d'uvre qualifiée", s'exclame un directeur d'hôtel.
"Nous ne savons pas encore quelles seront les conséquences de la mise en place des
35 heures chez nous, mais nous savons que nous sommes déjà assommés par les taxes sur
les locaux commerciaux et les taxes de séjours de la ville de Paris. La plupart de nos
concurrents asiatiques et américains ont nettement moins de charges de personnel que
nous", poursuit un de ses confrères. Aujourd'hui, d'aucuns sont d'avis que pour
vivre bien et exploiter normalement, un grand hôtel et un palace ont besoin de retrouver
la sérénité et la quiétude qui leur sont si chères. Personne ne demande autre chose,
y compris leurs clients.
M. Watkins
Le Ritz.
La rénovation du George V a entraîné pour environ 350 MF de travaux.
L'HÔTELLERIE n° 2635 Supplément Économie 14 Octobre 1999