l La restauration rapide livrée à domicile
La restauration livrée à domicile a véritablement débuté en France à la fin des années 1980 avec l'arrivée de Domino's Pizza. Beaucoup de restaurateurs ont craint de voir leur salle désertée, mais bien sûr, cela n'a pas été le cas, simplement parce que la livraison à domicile est destinée à une certaine clientèle et qu'elle répond à un type de besoins précis. Sa clientèle est urbaine avant tout, jeune, souvent stressée et aux revenus plutôt confortables. Bernard Boutboul de Gira Sic Conseil dit d'ailleurs de la livraison à domicile que "c'est un service luxueux de dépannage. Luxueux parce que c'est plutôt cher et que vous n'y faites pas appel tous les jours." La restauration rapide s'adresse aussi à une clientèle jeune mais pourtant ses opérateurs sont peu nombreux à avoir tenté le pari. Certains comme KFC s'y sont essayés mais ont abandonné. D'autres, comme les leaders du hamburger, ont réfléchi à la question mais n'ont pas franchi le pas.
Une culture française
Les freins qui bloquent le développement de la restauration livrée sont avant tout liés
à la culture gastronomique des Français, qui n'ont pas encore intégré cette forme de
service. De plus, ils sont moins disposés à ouvrir leur porte que nos voisins
anglo-saxons. Si la pizza a réussi à s'imposer sur ce marché, c'est à coup de moyens
publicitaires importants. Les boîtes aux lettres regorgeaient à une époque d'offres
promotionnelles. "Cela a peut-être été une erreur de leur part, pense
Bernard Boutboul. Les Français ont besoin d'être sécurisés par un message
personnalisé. Le marketing direct entre-
pris par les livreurs de pizzas se limitait à des offres gratuites." De
nombreuses tentatives ont aussi été faites, telles que les livraisons de fruits de mer,
de produits asiatiques... mais outre la pizza, le marché décolle trop doucement.
Certains ont pourtant arrêté alors que l'aventure débutait plutôt bien. Il n'y avait
pas de rejet et même plutôt beaucoup d'adeptes. Mais, il y a eu auto-concurrence.
Ainsi, KFC, Kentucky Fried Chicken, a décidé en 1995 de lancer la livraison à domicile
sur une de ses unités. C'était certainement le mieux placé car il bénéficiait du
savoir-faire de Pizza Hut, qui fait partie du même groupe.
Une expérience positive
L'expérience fut couronnée de succès, un chiffre d'affaires en un an de 2,5 millions de
francs, et une bonne rentabilité avec un ticket moyen proche de 100 francs. Seulement, ce
que KFC n'avait pas prévu était sa propre cannibalisation. "Nous nous sommes
rendu compte que le chiffre d'affaires du restaurant diminuait. Il y avait déportation de
la clientèle d'une activité sur l'autre. Et surtout nous étions face à un problème de
gestion des périodes de pointe qui sont approximativement les mêmes entre la
restauration assise et la livraison à domicile", explique Pascal Eisnitz,
directeur du développement de KFC-Pizza Hut. La logistique opérationnelle nécessaire
pour diriger deux activités différentes sur une même unité est très difficile à
mettre en place. La demande la plus forte est le vendredi, samedi et diman-
che soir, entre 20 heures et 21 heures. La livraison à domicile nécessite l'installation
d'un standard téléphonique qui peut être bruyant et peut gêner la clientèle. Pizza
Hut a d'ailleurs été confrontée au même problème. Quasiment plus aucune unité
n'assure les deux services conjointement. "Bien que l'expérience ait été
concluante, nous avons préféré arrêter pour générer à nouveau du chiffre d'affaires
sur l'unité en restauration assise. Nous nous sommes recentrés sur notre première
activité qui est la restauration rapide", indique Pascal Eisnitz.
Tous les produits ne tiennent pas la distance
KFC a aussi vécu des problèmes liés aux produits. C'était notamment le cas des frites,
qui ne supportent pas d'attendre. Bien que supprimées de la livraison, elles ont été
réclamées par les clients. KFC a donc pris le parti d'indiquer aux clients lors de la
commande que le produit arriverait un peu dénaturé.
Pour que le produit soit livré à la bonne température chez le client, il faut qu'il
sorte très chaud. Certains aliments ne peuvent être chauffés à trop haute
température, ou encore refroidissent trop vite comme les frites. Les hamburgers
remplissaient, en tout cas d'un point de vue sociologique, toutes les conditions pour
faire fureur sur le marché de la livraison à domicile. Seulement, des problèmes
purement techniques viennent entraver la possibilité d'assurer des livraisons.
Premièrement, le hamburger ne peut sortir bouillant. Deuxièmement, sa durée de vie est
très courte. Passé quelques dizaines de minutes, il doit être jeté pour des questions
d'hygiène et de texture. Pourtant certains n'hésitent pas à le dévorer quelques heures
plus tard chez eux après l'avoir passé au micro-ondes. "Ceci ne nous concerne
plus, indique-t-on au siège d'un des opérateurs du marché. C'est le client qui
en assume la responsabilité, nous ne sommes plus en cause." Pour réussir le
pari, les investissements seraient trop lourds. Et il n'est pas possible d'envisager un
amortissement sur toutes les unités en France. La restauration livrée a des contraintes
démographiques.
Un marché trop urbain
L'implantation d'un magasin en périphérie pour de la restauration rapide peut tout à
fait fonctionner s'il est proche d'un hypermarché, de zones de bureaux... bénéficiant
d'une mixité de clientèle. Pour la livraison de repas, il faut au contraire une certaine
densité de population à moins de 10 minutes pour que cela fonctionne. La livraison à
domicile fonctionne surtout le soir, mais pour Lina's Sandwiches, c'est plutôt le midi,
tout simplement parce qu'ils se sont attaqués au marché de la livraison de repas
(sandwiches, salades...) au bureau. La situation des magasins au cur des quartiers
d'affaires leur a permis de se développer sur ce créneau. Cette activité génère
globalement 30 % du chiffre d'affaires total. Ils sont d'autant plus contents de la
livraison à domicile que cela leur a permis de lancer leur activité traiteur. Si Lina's
a pu sans difficulté évoluer, c'est aussi parce que la société n'a pas de contrainte
liée au produit : on ne livre que du froid. La restauration rapide livrée a de l'avenir
devant elle. Mais pour l'instant ce sont des solutions pour résoudre des problèmes
d'organisation logistique, et aussi de coût qu'il faut trouver. Il ne faut pas oublier
que tout le monde ne peut pas développer cette activité. En effet, le coût d'un livreur
est proche des 25 francs par livraison. Il faut par conséquent déterminer un prix
minimum en deçà duquel la livraison ne pourra avoir lieu. Cependant, ce prix doit au
mieux rester en harmonie avec le ticket moyen réalisé en magasin. Dans ces conditions,
soit on ne livre que des produits à forte valeur ajoutée, soit il faut parier sur un
important volume de ventes, mais pour l'instant c'est un peu prématuré.
M.-L. Estienne
L'HÔTELLERIE n° 2635 Supplément Économie 14 Octobre 1999