l Le vin au restaurant
Selon la dernière étude réalisée par Coach Omnium sur la restauration commerciale, plus d'un consommateur sur deux proteste contre les prix du vin appliqués au restaurant. Les clients doutent en particulier de la qualité des vins en pichet. On le sait, le comportement des consommateurs vis-à-vis du vin a changé durant ces vingt dernières années. Cela se traduit par une baisse de la consommation particulièrement sensible dans les CHR. La demande hors domicile représente à peine 1/3 des 34 millions d'hectolitres bus chaque année en France, même si, d'après Coach Omnium, encore 70 % des clients boivent du vin au cours de leurs dîners au restaurant. Les campagnes de prévention contre l'alcoolisme et la loi Evin ne sont pas étrangères à ce phénomène de baisse de la demande. Mais ce n'est pas tout. Le souci majeur reste le prix, comme la recherche du meilleur rapport qualité/prix. Le type de consommation a énormément évolué également : on boit moins mais mieux. Car, le vin est un symbole de plaisir de la vie et porte en lui une connotation affective et conviviale. Les indices Insee montrent d'ailleurs que la consommation de vin de table a chuté de 55 % entre 1980 et 1997, tandis que celle des vins AOC ou de qualité supérieure a plus que doublé pendant la même période.
Le développement des 1/2 bouteilles
Dans une conjoncture difficile, les dépenses ont été maîtrisées et on constate
qu'elles sont restées globalement stables depuis ces dernières années. Les clients ont
ainsi appris à découvrir d'autres vins, de meilleure qualité que les vins de table, à
des prix raisonnables. L'amélioration de la qualité grâce entre autres aux nouvelles
techniques de vinification et la réduction des coûts de production ont favorisé
l'émergence d'une catégorie intermédiaire. Les vins de Loire ont ainsi conquis des
parts de marché surtout en région parisienne où ils sont très appréciés. Les côtes
du rhône et principalement les crozes-hermitage ou châteauneuf-du-pape ont également le
vent en poupe, tout comme les vins du Languedoc-Roussillon qui ont fait admettre leur bon
rapport qualité/prix. Les vins étrangers font également leur apparition dans les
restaurants français. "Chez Hippopotamus, nous préférons proposer un bon vin
argentin qu'un mauvais bordeaux pour le même prix", confirme Grégory Hecht,
responsable des achats liquides du groupe Flo. Le choix du vin est fonction de la
catégorie du restaurant, de la cuisine proposée et de la région fréquentée par le
client. Car, ce que ce dernier veut avant tout, c'est découvrir un bon vin, mais pas à
n'importe quel prix. Il préfère restreindre sa consommation et n'hésite plus à
commander, quand cela existe, des plus petits contenants : vin au verre ou 1/2 bouteilles.
Les restaurateurs qui proposent des demi-bouteilles sont d'ailleurs rarement perdants, car
ils servent du vin à des gens qui sinon n'auraient jamais demandé une bouteille
entière. "Les clients préfèrent consommer une 1/2 bouteille de blanc et une 1/2
bouteille de rouge plutôt que de choisir l'un ou l'autre. Par contre, la clientèle
française n'est pas encore habituée à commander du vin au verre et préfère avoir le
plaisir de partager une bouteille", ajoute Grégory Hecht. Même si elle cherche
à modérer ses dépenses, la clientèle boude de plus en plus le vin en pichet, doutant
de sa qualité. Idée reçue ou réalité ? "Il est vrai que pendant de nombreuses
années, qualifier ce vin de "piquette" n'était pas forcément exagéré",
avouent certains restaurateurs. La qualité a été nettement améliorée ces dernières
années, mais la mauvaise image reste. Le vin en pichet est un vin
de brasserie, principalement consommé au déjeuner. Le vin en bouteille a une image plus
noble et est consommé lors des repas ayant un caractère plus extraordinaire et dans les
restaurants haut de gamme. "Nous vendons chaque année plus de 50 000 litres de
Riesling en carafe dans nos brasseries, expose Grégory Hecht, mais nous sommes
très vigilants sur sa qualité."
Une gestion maîtrisée
Afin de répondre aux souhaits de la clientèle, les restaurateurs ont dû faire preuve
d'une grande efficacité dans leur gestion des vins. Le premier impératif est de bien les
sélectionner. Certains font confiance à des négociants et se contentent de goûter des
vins présélectionnés. D'autres, parmi les établissements appartenant à une chaîne
notamment, disposent d'une centrale d'achats opérant avec des fournisseurs habituels. Peu
nombreux sont les professionnels qui se déplacent sur le terrain pour traiter directement
avec les vignerons et effectuer une dégustation. Cette méthode est trop onéreuse et
trop compliquée. Elle concerne les restaurants haut de gamme (ou les chaînes) disposant
d'un sommelier parmi les membres du personnel et n'est pratiquée qu'épisodiquement. A
contrario, beaucoup de restaurateurs ont aujourd'hui recours aux cash and carry ou
s'approvisionnent auprès des distributeurs traditionnels de boissons. La politique
d'achat est toujours calculée au plus juste tant en termes de quantité que de qualité
et surtout de coût. Afin de réduire leur prix de revient et dans un souci de faciliter
la gestion, les restaurateurs stockent de moins en moins leurs vins. Ceci devient
l'exclusivité des grands restaurants gastronomiques et ne concerne que quelques grands
crus. "Nous gardons nos vins au maximum un an. Si nous les achetons, c'est pour
les revendre au plus vite", expose François Clerc, créateur des Bouchons du
même nom.
"L'évolution des techniques de vinification permet aujourd'hui de boire des vins
de millésimes jeunes", ajoute Nathalie Hakimian des hôtels Mercure. "Il
n'y a pas de stockage de vin dans les restaurants du groupe Flo. Une fois le vin choisi,
s'il est trop jeune, on demande une réserve au vigneron. Quand il est prêt à être bu,
il est expédié dans notre entrepôt en région parisienne auprès duquel tous les
restaurants du groupe se fournissent. L'ensemble de l'approvisionnement et la gestion des
stocks avec les fournisseurs ont été sous-traités à cet entrepositaire",
poursuit Grégory Hecht. Mais, cette volonté de réduire les stocks au minimum nécessite
parfois de modifier sa carte à un moment inopiné du fait de l'épuisement de la
production des références en cours d'année.
Certains restaurateurs ont choisi de se démarquer en instaurant des opérations
particulières autour du vin. Les Bouchons de François Clerc ont ainsi été créés en
1993, selon un principe original proposant des vins à prix coûtant. Ce système a fait
ses preuves et le sixième restaurant a ouvert en juillet dans la capitale. "Le
concept est viable, même si ce n'est pas évident, confirme François Clerc. Nous
avons bénéficié d'un énorme effet médiatique, mais ce fonctionnement repose surtout
sur une excellente cuisine, des emplacements stratégiques pour un taux de remplissage
optimum et une gestion très pointue."
Amateurs ou novices
En tout cas, la clientèle semble apprécier. "60 à 70 % de nos clients sont des
amateurs de vins qui connaissent les références présentes sur la carte, poursuit-il.
L'autre partie ne voit pas l'intérêt et se fixe un budget de 150 à 200 francs la
bouteille, sans savoir qu'elle la paierait 600 francs dans un autre restaurant."
La carte est volontairement limitée à des vins ne dépassant pas les 280 F la bouteille
et ne propose ni millésimes anciens, ni vins des cinq premiers grands crus. Cependant,
dans l'esprit des clients, qualité rime encore souvent avec notoriété et le
restaurateur constate que les "très bons vins de Loire ne sont pas vendus. Les
vins de Bordeaux restent leaders suivis de près par ceux de Bourgogne. Le champagne est
également très prisé car la clientèle remarque instantanément que les prix affichés
correspondent à ceux pratiqués en supermarché".
L'établissement du quartier de Montparnasse à Paris propose une cuisine moins
gastronomique visant une clientèle plus jeune. "Dans ce restaurant, nous
proposons du vin au verre. Cette formule est très appréciée car elle permet aux jeunes
de tester des grands crus à peu de frais", constate le restaurateur qui note que
sa clientèle commande généralement la traditionnelle bouteille même si l'ensemble des
restaurants propose aussi des 1/2 bouteilles.
N. Peinnet
La consommation de vins AOC a doublé en presque 20 ans.
L'HÔTELLERIE n° 2635 Supplément Économie 14 Octobre 1999