l Commercialiser son image
En France, Gérard Klein,
Smaïn, Jean-Claude Brialy ou encore Gérard Lenormand, et aux Etats-Unis, Robert Redford
et Mickey Rourke, entre autres, ont pris le métier de restaurateur en affection. Ils sont
unanimement motivés par l'envie de créer un lieu qui leur ressemble. Mais celui pour qui
être restaurateur est avant tout un placement financier ne met pas la main à la pâte
avec la même ardeur que le passionné des arts de la table.
La restauration est pour beaucoup d'artistes un moyen d'exprimer leur personnalité, de
révéler une identité étouffée sous une image publique et médiatique.
Face à un monde de représentation et de "voleurs d'âme", le restaurant
"à soi" offre le repos au guerrier, qui peut enfin tomber le masque, voire
disposer du lieu de rendez-vous des copains. A travers la cuisine, le décor et
l'ambiance, le lieu adopté est ainsi imprégné du caractère de son propriétaire.
Exprimer sa sensibilité
L'Orangerie de Jean-Claude Brialy, située dans l'Ile Saint-Louis à Paris, incarne le bon
goût de la gastronomie française dans un décor élégant et feutré, tandis qu'à la
Bougnate, en plein cur de l'Auvergne, Gérard Klein vous invite à savourer
spécialités du terroir et viandes de Salers mitonnées par son chef. D'autres ont
préféré créer des endroits plus branchés : c'est le cas du 108, rue Oberkampf et du
Marché, place du marché Sainte-Catherine dans la capitale, derniers nés de Smaïn.
"Aujourd'hui, on peut se réjouir d'avoir à notre actif deux concepts originaux,
nés de notre imagination et de notre travail", rapporte Gérard Guilbert,
associé de Smaïn. De son côté, Géraldine Danon a repris La Divette du Moulin dont
elle a conservé le charme de vieux bistrot. L'actrice a très longtemps rêvé d'un lieu
qui lui ressemble : "L'établissement est tel que je me l'étais imaginé".
Au regard de ces exemples, Paris reste le site privilégié pour l'accueil de ces
autodidactes, qui de plus choisissent souvent les quartiers en vogue. L'objectif est alors
très souvent d'attirer les foules et de retrouver ses pairs. Les stars américaines, Sean
Pean, Johnny Depp l'ont très bien compris en finançant le Man Ray, nouvelle cantine
parisienne des VIP. La province n'est cependant pas complètement délaissée des
célébrités puisque Leslie Caron, ancienne partenaire de Fred Astaire et Gérard Klein,
ont respectivement investi la Bourgogne et l'Auvergne. Leur démarche va à l'encontre de
leurs pairs parisiens, en ce sens qu'ils ont choisi un lieu retiré que leur présence
participe à animer et à valoriser. "Ça vaut le coup de mettre sa notoriété au
service des gens. En fait, c'est un juste retour des choses puisqu'on existe grâce à eux",
illustre l'interprète de L'Instit.
Les motivations de départ, là encore, brillent par leur diversité et même leur
dissonance. Le motif le plus fréquemment invoqué est de pouvoir se retrouver entre amis
dans un lieu que l'on a choisi. Bref, se sentir chez soi. Pour Smaïn et Gérard Guilbert,
dont le goût de la fête, de la bonne chère et des bons vins est très développé,
créer un restaurant coulait de source. Jean-Claude Brialy, quant à lui, a inventé
L'Orangerie parce qu'il ne savait plus où aller souper le soir après ses
représentations théâtrales. "Il désirait un lieu pour se détendre et manger
ce qui lui plaisait sans les contraintes de réservations", raconte Jean-Claude
Gautier, responsable de l'établissement. Avec la découverte de l'Auvergne et l'élevage
bovin, Gérard Klein est venu naturellement à la restauration : "La Bougnate est
le moyen de faire connaître une viande de qualité et les richesses d'une région."
Ce genre d'implication est malheureusement rare, l'acquisition ou la création d'un
restaurant étant plus souvent une affaire de gros sous.
Un placement financier
Les exemples foisonnent de restaurants-placement. C'est le cas notamment du Man Ray, du
Déli's Café d'Adriana Karembeu ou du Pied de Chameau de Pierre Richard. Certains
investissent dans la restauration comme ils pourraient acheter une Rolls ou des actions à
la British Petroleum. Restaurant de célébrités ne rime pas toujours avec fièvre du
métier.
Géraldine Danon semble être une des seules qui se soit lancée dans la restauration par
passion totale du métier. En reprenant La Divette, elle a réalisé son rêve de petite
fille et travaille désormais à corps perdu dans ce projet. Elle ne se contente pas de
venir dîner. Elle est là tous les jours et jette un il d'assez près sur
l'ensemble de l'activité. Il n'est pas rare qu'elle prenne elle-même les commandes.
"Quand l'établissement est fermé, je suis presque désemparée. Ce métier fait
maintenant partie intégrante de ma vie", analyse l'actrice. Gérard Klein met
lui aussi du cur à l'ouvrage. Loin des fastes du show business et plus proche des
vraies valeurs, la Bougnate est une affaire de famille, où tout le monde met la main à
la pâte. En revanche, Smaïn, Dugarry, Zidane ou Brialy jouent essentiellement un rôle
de conseil quand ils ne font pas que de la "figuration intelligente". Avec le
temps cependant, Smaïn semble s'être pris au jeu. "Il aime beaucoup ce métier.
S'il n'avait pas été comédien, il aurait été restaurateur. D'ailleurs, la
restauration est un spectacle, une comédie. C'est un métier qui requiert le sens de la
mise en scène et le goût du public", nous livre son partenaire. En tout cas, le
public a lui-même mordu à l'hameçon et la plupart de ces lieux aux propriétaires
illustres font aujourd'hui salle comble.
Un succès mérité
Notoriété oblige ? En fait, pas si sûr. Planet Hollywood est sur un terrain glissant,
et ce malgré le parrainage d'une brochette de stars mondialement connues. Les apprentis
restaurateurs issus de la jet set ont aussi leur quota d'expériences malheureuses :
Johnny Hallyday et Ringo Star se sont ainsi cassé les dents sur leurs projets ou
réalisations respectifs. Quel est donc la clé du succès ? Pour Gérard Klein, la
réussite de la Bougnate est due à la viande de Salers. "Quand nos clients
gouttent à cette viande, ils reviennent forcément", affirme Gérard Klein. Mais
il ne faut pas se méprendre, la réputation du propriétaire a toujours un impact réel
au démarrage de l'affaire. Au départ, la clientèle vient par curiosité, alléchée par
la popularité du restaurateur improvisé, espérant le voir même à une table voisine ou
derrière le comptoir. Mais l'embellie ne peut être que passagère si le reste ne suit
pas. Il n'y a pas de mystère, les tables des stars qui attirent les foules ne
fidéliseront leur clientèle que parce qu'elles sont nées d'une démarche conceptuelle
et que leurs créateurs se sont entourés de vrais professionnels. On en revient toujours
à la base des clefs du succès : plaire par la prestation.
A. Vallée
© J.- F. Mesplède
En plein cur de l'Auvergne, Gérard Klein vous invite à savourer
spécialités du terroir et viandes de Salers mitonnées par son chef.
L'HÔTELLERIE n° 2635 Supplément Économie 14 Octobre 1999