Il est toujours étonnant de
constater les difficultés que rencontrent les hommes à communiquer. Difficultés qui ne
sont pas sans conséquences sur l'efficacité des combats qu'ils mènent. La déception
qu'expriment les présidents des associations de cuisiniers-restaurateurs vis-à-vis
d'André Daguin, pourtant longtemps un des leurs, en est une illustration. Déception à
laquelle le président de la FNIH affirme d'ailleurs ne rien comprendre. Ces associations
réunissent ceux qui ont eu les moyens de s'investir le plus dans leur métier tant sur le
plan technique, ce sont tous de grands, voire très grands cuisiniers, que sur le plan
financier, leur renommée professionnelle leur ayant souvent permis d'obtenir plus
facilement que d'autres la confiance des banquiers. Ce sont des hommes exigeants et
perfectionnistes. Ils sont aujourd'hui devenus, au-delà de leurs talents culinaires, de
réels chefs d'entreprise et de ce fait intègrent de plus en plus la dimension
économique, sociale et politique de leur environnement pour gérer au mieux leurs
entreprises. Parce qu'ils savent que gérer, c'est prévoir, ils ne cessent de mesurer les
conséquences de l'évolution tant de la fiscalité que des habitudes de consommation de
leurs clients pour s'adapter afin de toujours être en phase avec la demande dans le
contexte économique qui est le leur. Rien d'étonnant à ce qu'aujourd'hui, au sein de
leurs associations, leurs échanges tournent davantage autour des problèmes que leur pose
l'application de la loi Aubry qu'autour de l'adaptation du Gringoire et Saulnier à la
cuisine qu'aiment leurs clients ! Ce n'est plus pour faire la promotion de leurs maisons
qu'ils se rassemblent, mais pour échanger, en tant que chefs d'entreprise, afin de
toujours être plus performants. Une opportunité que seules ces associations peuvent leur
offrir puisqu'ils se retrouvent entre dirigeants rencontrant le même type de problèmes,
ce qui ne les empêche pas, par ailleurs, de payer une cotisation à leur syndicat
départemental. Deux engagements parfaitement différents qui ne peuvent pas se substituer
l'un à l'autre. Il suffit d'assister à une assemblée générale de quelque syndicat que
ce soit pour comprendre que, rassemblés le temps d'une réunion, ils ont trop peu de
choses en commun pour pouvoir échanger d'une façon dynamique. Le cafetier travaillant
avec son épouse sera vite déconnecté des préoccupations d'un hôtelier à la tête
d'une centaine de chambres pendant qu'un adhérent Relais et Châteaux trouvera excessif
le temps consacré par un président départemental cafetier à un arrêté préfectoral
avançant d'une heure la fermeture des boîtes de nuit. Et pourtant, chacun, au sein de sa
famille, a un besoin légitime d'aborder avec d'autres ses préoccupations. Parce que les
métiers et les entreprises du secteur ont considérablement évolué ces trente
dernières années, il semble de plus en plus que les modèles des organisations
professionnelles, où tous étaient censés se retrouver pour organiser la défense de
leur profession, soient quelque peu dépassés. S'organisant entre eux pour fournir aux
syndicats professionnels la justification chiffrée des revendications qu'ils leur
demandaient de défendre auprès des pouvoirs publics, les membres de ces associations
attendaient que soit officiellement et clairement prise en compte cette demande, ils
attendaient d'être associés aux réflexions, aux négociations sur ces sujets ; c'était
sans compter sur l'organisation interne de ces structures qui ne reconnaissent que ceux
qui ont été élus et s'attachent, dans le respect de leurs statuts, à ne consulter, à
ne discuter qu'en leur sein... C'était oublier qu'à force de vouloir réunir, pour
représenter tout le monde, on a de plus en plus de difficultés à défendre les
intérêts d'un groupe en particulier. André Daguin a clairement exprimé sa position en
matière de représentativité de ces chefs étoilés, mettant en avant le fait que s'ils
apparaissaient au sein d'une délégation demandant une baisse de la TVA, avec des
couverts vendus à 700 francs, ils n'auraient aucune crédibilité et que sa mission, en
tant que président de la FNIH, était de défendre les 80 % de restaurateurs qui
proposaient, eux, des menus à moins de 100 francs. Au même moment, parce qu'il n'est pas
élu mais parfaitement libre de ses propos, Bernard Loiseau, invité à déjeuner par
Laurent Fabius dans les appartements privés de l'Assemblée nationale, ne se sentait
absolument pas décalé en confirmant au président de l'Assemblée, tout trois étoiles
qu'il est, que baisse des charges et baisse de la TVA étaient indispensables à la survie
de la restauration française. La crédibilité des propos des restaurateurs n'est pas
toujours inversement proportionnelle à leur prix moyen mais il est exact qu'un président
de syndicat élu se doit avant tout de défendre les intérêts de ceux qui l'ont choisi
en plus grand nombre. C'est en leur nom qu'il négocie. D'où cette incompréhension :
dans moins de deux mois, les uns devront mettre en application la loi Aubry sans en avoir
les moyens mettant ainsi leurs entreprises en péril, alors que le président de la FNIH,
attaché à vouloir s'occuper des plus nombreux, les plus petits restaurateurs, préfère
se concentrer sur le dossier de la baisse de la TVA, les plus petites maisons ne se
sentant pas aussi concernées par la loi Aubry puisqu'elle ne leur sera pas applicable
avant au moins deux années. Chacun, dans sa logique, défend sa position, sous couvert de
défendre les intérêts d'une profession. Même problématique au sein d'une partie de la
restauration parisienne qui, elle aussi, devra dans moins de deux mois appliquer la loi
Aubry et qui fait de la date du 1er janvier prochain un enjeu sans précédent. Derrière
ces inquiétudes, derrière ces incompréhensions, une interrogation : comment réussir au
sein d'une même structure à défendre les intérêts individuels de chaque catégorie
aussi minoritaire soit-elle en nombre d'entreprises ? Faute de pouvoir y trouver une
réponse, les syndicats nationaux risquent, à terme, de voir éclore des groupes de
pression forts au sein des métiers de l'hôtellerie-restauration.
PAF
L'HÔTELLERIE n° 2636 21 Octobre 1999