Débat
Une licence, une maîtrise se
substitueraient-elles à l'expérience ? Non, personne n'oserait l'affirmer aussi
simplement. Pourtant, ces dernières années, on sent naître une certaine rivalité dans
les lycées entre professeurs techniques avec expérience et professeurs techniques tout
frais émoulus des études avec licence voire maîtrise. Parallèlement, de nombreux
acteurs de l'Education nationale se posent la question sur la valeur et la reconnaissance
des enseignements professionnels. Le débat est donc ouvert : quel doit être le profil de
l'enseignant technique de l'an 2000 ?
Effectivement, le niveau actuel de recrutement est plus élevé que par le passé.
Conséquence : l'image, le contenu de l'enseignement professionnel auraient tendance à
s'éloigner de plus en plus des besoins de formation réclamés par les entreprises.
Signalons d'ailleurs que ces dernières sont toujours aussi mal représentées lors des
concertations pédagogiques pour l'enseignement professionnel (1).
Les enseignants ne peuvent supporter à eux seuls les échecs de ce système éducatif
dans le milieu professionnel. Au contraire, ce sont tous les acteurs qui, à chaque niveau
de la hiérarchie éducative, influent sur la politique pédagogique à mener dans
l'enseignement professionnel. L'impression que dégagent ces professeurs fortement
diplômés mais non expérimentés aux métiers de l'hôtellerie, est une très forte
prédominance des savoirs au détriment des savoirs professionnels. Il est vrai qu'ils
possèdent une gamme d'outils plus complète du fait de leurs études pour approfondir et
mieux analyser certaines connaissances ou techniques professionnelles. Cependant, Lucy
Tanguy, directeur de recherche au CNRS, nous dit (2) : "Les savoirs professionnels
ne sont qu'une application des savoirs scientifiques et techniques. Savoir n'est pas
savoir-faire. Il y a dans le travail des situations souvent imprévisibles auxquelles il
faut faire face..."
Alors que nos partenaires des CHR nous demandent de redonner toute sa valeur au savoir
professionnel, on ne peut continuer de s'écarter de la réalité du terrain, des besoins
de formation nécessaires non seulement au bon fonctionnement des entreprises mais
également à l'intégration des jeunes dans le monde du travail.
Il nous faut réfléchir aux solutions d'un consensus entre expérience et connaissance si
l'on veut supprimer rapidement la dichotomie créée au sein de certaines équipes
pédagogiques dans les lycées hôteliers. Recrutons des professeurs, certes diplômés,
mais exigeons aussi un minimum d'expérience professionnelle. Grâce à l'expérience, le
dialogue avec la profession est plus égalitaire et à double sens. Les enseignements
recouvrent un aspect plus pratique, les anecdotes tirées du passé professionnel
agrémentent les cours et suscitent l'intérêt des élèves. Plus que des connaissances,
des théories, des savoirs, c'est la passion d'un métier que doit transmettre le
professeur technique au travers de son passé professionnel. C'est l'expérience qui forge
l'homme tout au long de son existence. Georges Gusdorf le définit si bien : "...Beaucoup
d'hommes enseignent - une discipline intellectuelle ou manuelle, une technique, un métier
- , très peu jouissent de ce surplus d'autorité qui leur vient non de leur savoir, de
leur capacité, mais de leur valeur d'homme... "
D. Féraud
Professeur au LH de Papeete
(1) Le Monde de l'Education juin 1999
(2) Le Monde de l'Education juin 1999
L'HÔTELLERIE n° 2638 Hebdo 4 Novembre 1999