Nancy
Michel Douville, ancien chef d'un des plus prestigieux établissements de Nancy, le Grand Hôtel de la Reine, n'a pas eu gain de cause devant le conseil des prud'hommes de Nancy où il attaquait son ex-employeur, le groupe Concorde (Taittinger). A l'origine de cette délicate affaire, la perte dans l'édition 1998 du guide Michelin de l'étoile décrochée en 1993. Remercié deux mois après la parution du guide, le 24 avril 1998, Michel Douville estime son licenciement sans cause réelle et sérieuse, car, en aucun cas, il n'a été engagé, 10 ans auparavant, pour obtenir une étoile. "On ne peut donc le remercier au prétexte qu'il la perd", plaide son défenseur qui réclame 600 000 F de dommages et intérêts soit l'équivalent de trente mois de salaire. L'avocat de Michel Douville a produit une centaine de lettres de clients témoignant leur satisfaction, parmi lesquels le maire de Nancy, André Rossinot et le président du conseil général de l'époque, Jacques Baudot. De son côté, l'employeur joint au dossier deux notes émanant des services du guide Michelin. L'une de 1996 précise que "l'étoile est parfois critiquée, le chef devrait s'occuper plus de sa cuisine" et l'autre de 1997 évoque "quelques plaintes sur la cuisine, l'étoile manque d'éclat". L'employeur précise "avoir multiplié les avertissements et mises en garde" et avance, chiffres en main, des conséquences financières regrettables pour l'établissement "dont la clientèle voyage avec le Michelin à la main", avec un chiffre d'affaires tombé de 254 000 F en mars 1997 à 177 000 F en mars 1998.
Une cause sérieuse de licenciement
Au final, dans son jugement du 26 janvier 1999, le conseil des prud'hommes déboute Michel
Douville, le condamnant à ses entiers dépends et à verser 1 000 F à son ancien
employeur. "Un jugement de bon sens, commente l'avocat du groupe Concorde. On
ne peut pas considérer que les cuisiniers sont des artistes indépendants, n'ayant à
tenir compte ni des critiques de leur employeur, ni du guide Michelin."
Une première qui pourrait se répéter. "Car l'on peut déduire du jugement que
la perte d'une étoile est une cause réelle et sérieuse de licenciement, si c'est du
fait du chef cuisinier", renchérit l'avocat. Dans ses attendus, le conseil des
prud'hommes indique que "la perte de confiance ne peut pas justifier à elle seule
le licenciement, mais que, dans le présent litige, la condition du caractère objectif du
licenciement est jugée remplie, la mesure prise par l'employeur reposant sur un élément
précis et vérifiable ne découlant pas d'une appréciation subjective de sa part : le
caractère sérieux se fonde sur l'existence d'une difficulté de collaboration
commerciale de nature à compromettre le bon fonctionnement de l'entreprise". Sur
les conseils de son avocat, Michel Douville a déposé un appel devant la chambre sociale
de la cour d'appel de Nancy. L'affaire sera donc replaidée, mais dans un délai probable
de deux ans. Selon la décision de la cour d'appel, on saura alors si la jurisprudence est
établie ou non.
L'HÔTELLERIE n° 2641 Hebdo 25 Novembre 1999