En salle
Même si la formation en restauration est aujourd'hui bien structurée, ses métiers, et la salle particulièrement, restent des professions où on apprend "sur le tas". C'est le principal frein qui explique que le métier est de plus en plus déserté. "J'ai commencé en faisant des saisons en Corse à 19 ans quand j'étais étudiant", confirme Henri Gonzales, maître d'hôtel en charge des petits-déjeuners à La Coupole à Paris. Pourtant, les lycées hôteliers proposent différents cursus allant du CAP au BTS. Mais les restaurateurs ne sont souvent pas satisfaits des formations dispensées. Beaucoup se plaignent, on le sait, du manque de professionnalisme des jeunes arrivant sur le marché. "Nous essayons d'adapter au mieux la formation des jeunes au milieu professionnel, se défend Alain Bazille, chef des travaux à l'école hôtelière de Paris. Or, il y a un décalage énorme entre ce que les professionnels demandent dans les référentiels (N.D.L.R. : établis par l'Education nationale en concertation avec les hôteliers et restaurateurs) et ce qu'ils exigent sur le terrain. Ils veulent une main-d'uvre très qualifiée et opérationnelle et prônent la polyvalence dans la formation."
Beaucoup de jeunes en salle
Contrairement à une idée reçue, beaucoup de jeunes continuent à intégrer ces
formations. Pour autant, dans les grandes écoles hôtelières, il semble y avoir moins de
candidatures aux concours d'entrée qu'auparavant. Il faut ajouter que beaucoup d'anciens
élèves quittent la profession, "environ 50 %" d'après le lycée
hôtelier parisien, "mais tous reconnaissent que leur formation et notamment le
contact avec la clientèle est un atout indéniable". Le personnel de salle
lui-même souhaite également un retour à une formation plus pratique, mais surtout
"une sélection plus sévère basée sur les motivations réelles du candidat.
Rien ne sert de faire faire des stages à des gens qui ne sont pas faits pour ce métier",
explique Eric Aellig, maître d'hôtel à La Coupole. Ainsi, l'explication de la forte
rotation du personnel dans les restaurants vient souvent du manque de motivation de
certains. C'est un propos éternellement invoqué par les patrons et implicitement
approuvé par une partie du personnel. Pour ces derniers, ces individus ternissent l'image
de la profession. C'est ainsi que le travail du personnel de salle est remarqué comme un
des premiers motifs de réclamation de la clientèle des restaurants. Elle trouve que le
personnel n'est pas suffisamment disponible, qu'il manque de sens commercial qu'il n'est
pas assez efficace, selon la dernière grande étude sur la restauration réalisée par
Coach Omnium. Pour le personnel de salle, c'est le goût du contact humain qui est la
première qualité à avoir.
Un personnel motivé
Les serveurs avouent prendre du plaisir dans cette relation particulière qu'ils ont avec
la clientèle. "C'est un contact privilégié que nous avons avec les clients, que
l'on ne retrouve pas dans les autres professions commerciales. Quelles que soient les
circonstances, le client vit toujours son repas au restaurant comme un moment de détente",
commente un responsable de salle. "C'est la relation humaine et l'ouverture
d'esprit qu'il apporte qui font la richesse de ce métier", renchérit Henri
Gonzales. Ce métier demande d'ailleurs beaucoup de psychologie et de perspicacité.
"C'est au premier contact que l'on doit détecter la personnalité du client, ses
attentes et ses limites budgétaires. C'est sur le terrain, au fil des ans, qu'on apprend
à voir tout ça", remarque cet employé, avec ses 20 ans de métier. Le serveur
est un vendeur qui doit aiguiller le choix de son client. Il doit impérativement bien
cerner sa demande et parfois être rusé. "Si un client est très pressé et
commande un plat nécessitant une longue préparation, il faut trouver le bon argument
pour masquer les contraintes, comme l'attente, et l'orienter vers le choix d'un autre plat",
explique Ludovic, serveur au restaurant Côté Jardin à l'hôtel Novotel Lyon-Bron. Autre
aspect qui fait que le personnel de salle a une responsabilité commerciale : le principe
de la rémunération basée sur un pourcentage du chiffre d'affaires, selon la loi Godard.
"C'est une motivation supplémentaire" en conviennent tous les membres de
la profession, mais il ne faut pas tomber dans l'excès. Certains restaurateurs se
plaignent d'ailleurs que leur personnel est ainsi incité à "faire du chiffre"
et non à proposer les plats les plus rentables. "Ce système disparaîtra dans
les années à venir, pense Eric Aellig, car il est pénalisant pour le personnel
de cuisine et parfois aussi pour les patrons. C'est dommage, c'est intéressant pour nous."
Amélioration des conditions de travail
Les serveurs pourront toujours compter sur les pourboires pour arrondir leurs fins de
mois. Cette pratique reste en vogue malgré ce qu'on en pensait. 50 % des clients de
restaurants disent en effet laisser un pourboire régulièrement, selon l'étude de
Coach Omnium. Pourtant le personnel de salle trouve que le montant des pourboires a
nettement diminué depuis la généralisation du service compris. "La clientèle
est aujourd'hui beaucoup plus exigeante et ne laisse un pourboire que lorsqu'elle est
entièrement satisfaite", observe Henri Gonzales. "C'est dommage que les
serveurs ne soient plus rémunérés uniquement au pourboire. Sa suppression a un peu tué
le métier. Dans le temps, le personnel devait avoir toutes les qualités pour gagner sa
vie", déplore Jean Delpuech, responsable du Réveil Samaritain, une brasserie
parisienne. L'idée que le métier est bien payé est toujours présente. Cependant, les
rémunérations ont globalement diminué depuis 15 ans et il faut travailler dans les
établissements de grande taille pour avoir un bon salaire aujourd'hui. Un aspect que
même les "anciens" acceptent relativement bien car ils sont malgré tout
conscients de l'amélioration de leurs conditions de travail. Augmentation du temps de
repos (1 jour et demi consécutif voire 2 dans les grands établissements) et baisse du
nombre d'heures de travail en sont les meilleurs exemples. Cela est bien respecté dans
les grands groupes essentiellement, alors que beaucoup de petites maisons ne peuvent le
garantir à leurs salariés.
Profession mal reconnue
Malgré tout, les freins restent nombreux pour se lancer dans la profession : travail le
week-end, les jours fériés, horaires décalés... "Pour faire ce métier, il
faut être passionné. Si on l'a choisi et qu'on l'aime, on accepte ses contraintes",
s'exclame un chef de rang. "On le sait avant d'entrer dans la profession. C'est
tout de même difficile. On a beau le savoir, on ne s'en rend pas compte avant",
avoue un jeune serveur après un an d'expérience. "C'est d'ailleurs à cause de
ces difficultés que j'ai abandonné ce métier quand je me suis marié. C'est
incompatible avec une vie de famille quand le conjoint ne travaille pas dans le même
secteur," explique un responsable de salle. "Les horaires décalés et
les jours de repos en milieu de semaine ont néanmoins certains avantages : on ne fait pas
la queue dans les supermarchés ou à la banque et on ne connaît pas les bouchons des
heures de pointe !", positive Ludovic. Parmi les autres inconvénients, les
salaires de base dans la profession ont chuté. Les CHR emploient plus de 40 % de
smicards, contre près de 17 % en moyenne dans les autres secteurs d'activité.
Bonne image malgré tout...
Globalement, le personnel de salle a une bonne image de son métier. Face à l'expression
"simples porteurs d'assiettes au service des cuisiniers" dont on les
caractérise souvent, ils avouent humblement, et avec un brin de malice, que le travail
s'est simplifié. Le service à l'anglaise ou à la russe est certes de moins en moins
pratiqué. "C'est dommage, c'est la valeur ajoutée du service, regrette un jeune
chef de rang, mais c'est un impératif de la clientèle qui est de plus en plus pressée."
"C'est aussi une question de rentabilité, il y a de la place et du temps perdus
pour le découpage ou le flambage. Néanmoins, il y a un côté théâtral que la
clientèle apprécie toujours, c'est pourquoi nous continuons à le faire pour certains
plats", explique-t-on à La Coupole. Le personnel de salle s'est ainsi bien
adapté aux évolutions de la demande de la clientèle et admet que celle-ci recherche le
plus souvent un service efficace et soigné, mais simple et rapide. Quant à la rivalité
salle/cuisine, elle n'existe apparemment que vue de l'extérieur, dit-on. Contrairement à
ce qu'on pourrait penser, la médiatisation des chefs n'est pas jalousée : "Le
cuisinier est un créateur, pas le serveur", explique Albert Dugrain et "il
existe des MOF en salle aussi, même s'ils sont moins connus".
Finalement, les serveurs font preuve d'altruisme. "Lorsqu'un chef reçoit une
distinction, c'est une valorisation de l'ensemble de l'établissement." En tout
état de cause, le client ne remarquera pas ce qu'il a dans l'assiette si le service est
mauvais.
Véritable vocation commerciale
Le personnel de salle se positionne ainsi en complément intime de celui de cuisine. Et,
même si son rôle se transforme parfois en punching-ball, la clientèle ne doit pas le
ressentir. Conscience professionnelle. "La salle, c'est un travail sans filet qui
procure un regain d'adrénaline perpétuel", clame un maître d'hôtel. Les
qualités requises et les satisfactions éprouvées distinguent complètement les métiers
de salle de ceux de cuisine. Quant à l'évolution future du métier de service en salle,
elle reste floue. Le passage aux 35 heures, par exemple, fait sourire les personnels :
"Il faudrait déjà qu'on passe à 39." Un amour du métier, une
acceptation de ses contraintes et un respect de la clientèle sont les trois ingrédients
de la réussite. Il est clair que s'il existe encore une passion pour les métiers de la
salle, cela ne saurait suffire à redorer leur blason auprès de la clientèle. La
profession doit impérativement être revalorisée et retrouver une crédibilité qui a
été un peu égratignée ces dernières années. Les restaurateurs et leur personnel
doivent comprendre que le service en salle est devenu un véritable travail commercial, et
non plus technique.
N. Peinnet
"C'est au premier contact que l'on doit détecter la personnalité du
client, ses attentes."
L'HÔTELLERIE n° 2644 Spécial Économie 16 Décembre 1999