Carrières
Sans réveiller une vieille polémique et à quelques jours du vote sur la parité hommes/femmes en politique, ce sujet concerne aussi l'hôtellerie et la restauration. Les postes à responsabilités semblent encore y être la chasse gardée des hommes. Des femmes comme Renée Ougier, présidente des Logis de France ou encore Jeanne Augier, propriétaire du Negresco à Nice, entre autres, sont là pour le démentir. Mais se faire un nom féminin reste difficile. D'ailleurs, la féminisation dans l'hôtellerie est relativement récente. Il y a une trentaine d'années, les hommes occupaient la plupart des postes, sauf dans les étages. D'après l'Insee, en janvier 1999, la part des femmes dans le monde du travail était de 45 %, mais seulement moins de 3 % sont p.-d.g. d'une entreprise. En hôtellerie et en restauration, elles représentent 47 % des effectifs, qui mettent l'industrie automobile, par exemple, avec ses 84 % d'hommes, au rang d'un grand club privé masculin.
Ségrégation interdite
Particularité : en hôtellerie et en restauration, la femme ne bénéficie d'aucun
passe-droit. La loi interdit aux femmes le travail de nuit dans certains secteurs dont les
industries, mais l'hôtellerie et la restauration n'y sont pas assujetties. La convention
collective n'accorde par ailleurs aucune dérogation particulière à leur égard. La
femme travaille dans les mêmes conditions que l'homme. Dès le recrutement, elle ne peut
se considérer lésée car aucune ségrégation n'est possible. En théorie, tous les
postes sont donc ouverts aux dames. Mais dans les faits, plus on monte dans l'échelle
pyramidale, moins elles sont représentées. Les petites et moyennes entreprises sont
encore plus réticentes que les sièges des chaînes hôtelières. "Les postes de
directrice d'hôtel sont réservés pour les hôtels bureau, et encore, de petite taille",
s'alarme une salariée d'un groupe hôtelier. Côté tertiaire, les femmes ont acquis une
légitimité qui les font occuper des postes au marketing, à la communication... mais pas
encore au conseil d'administration. En fait, même si les effectifs globaux semblent
équilibrés, on est loin d'une répartition équitable dans chacune des professions. Les
gouvernantes frisent les 100 % d'effectif féminin et a contrario, plus de 90 % des
directeurs d'hôtels 4 étoiles à Paris et en région parisienne sont des hommes. On est
proche des
80 % de directeurs masculins en 3 étoiles.
Allier travail et famille
D'après l'ANPE, les femmes resteraient peu nombreuses à vouloir accéder à des postes
d'encadrement. On ne peut pas accuser les hommes de faire de la discrimination
puisqu'elles freinent parfois elles-mêmes leur ascension professionnelle. 34,8 % des
demandes d'emploi en tant qu'exploitant d'hôtel émanent des femmes alors que le poste de
gouvernante fait l'objet de convoitises et de demandes à 98 % féminines. Au début de
leur émancipation, tiraillées entre leur rôle de mère, d'épouse et leur carrière
professionnelle, les femmes ont préféré occuper des postes d'exécution. Le rôle
féminin était figuratif. La femme à la réception ou dans les étages s'imposait
naturellement en raison de son attitude soignée et de son éventuel passé de femme
d'intérieur. De plus, ces emplois étaient peu rémunérateurs donc plus faciles à
céder. Mis à part dans les palaces où l'homme régnait en maître à la réception,
mais pas sans raison. C'était un passage obligé pour accéder aux postes de direction.
Même si la profession évolue, les valeurs traditionnelles sont encore un carcan pour les
femmes. "Elles sont probablement moins nombreuses à avoir la disponibilité
nécessaire pour obtenir des postes à haute responsabilité. Mais heureusement, certaines
y arrivent", explique Michèle Alguacil, directrice de Profile, cabinet de
recrutement spécialisé. Les exigences vis-à-vis des femmes sont nombreuses. Il faut
qu'elles mènent de front plusieurs rôles. Attendues au moindre faux pas, elles doivent
faire preuve de deux fois plus de professionnalisme, de charisme pour être reconnues.
Des femmes moins payées
Le salaire reste un sujet tabou. Loin d'être une exception en hôtellerie et en
restauration, celui des femmes est généralement 20 % moins élevé que celui des hommes.
L'écart s'estompe proportionnellement à la grandeur de l'établissement et les chaînes
hôtelières donnent un peu l'exemple en procédant souvent grâce à des grilles de
salaires établies selon l'âge, l'ancienneté, la formation, et en aucun cas la
rémunération n'est fonction du sexe. En principe. Or on sait ce que les femmes
apportent. Elles ont une approche plus sensible sur les choses qui font qu'elles sont plus
attentives aux détails que les hommes. D'ailleurs on leur confie beaucoup plus facilement
la direction d'hôtels de charme où la clientèle recherche la confidentialité. "Elles
ne pratiquent généralement pas le même style de management. Sensibles et
attentionnées, elles seront davantage à l'écoute de leur équipe que les hommes qui se
cachent derrière le bouclier de l'autorité", explique Cécile Gailleux,
directrice d'un hôtel parisien. Ayant désormais suivi les mêmes formations, les hommes
et les femmes ont un niveau de compétences équivalent. Ce n'est pas le niveau d'études
qui peut être un frein ou une distinction. En fait, il n'y a plus que le caractère
personnel de chacun qui peut les différencier. Sommelière, directrice d'hôtels, chef de
cuisine... les femmes ont réussi à détrôner les hommes sur les derniers contreforts
sur lesquels ils se tenaient. Mais elles restent encore parfois des exceptions et sont
proportionnellement peu nombreuses à gagner ces places. "Il y a encore des
bastions à prendre", s'exclame gentiment Michèle Alguacil. La maintenance, la
technique... sont encore presque exclusivement réservées aux hommes. Mais faut-il
vraiment aller jusque-là ? M.-L. E.
Attendues au moindre faux pas, les femmes doivent faire preuve de deux fois plus
de professionnalisme et de charisme pour être reconnues.
L'HÔTELLERIE n° 2644 Spécial Économie 16 Décembre 1999