L'accueil des seniors en hôtellerie
Un consultant spécialiste du secteur constate : "Globalement, dans le tourisme, seuls les transporteurs (SNCF, compagnies aériennes, autocaristes...) et quelques voyagistes spécialisés ont réellement porté une attention particulière aux personnes du troisième âge. Jusqu'à maintenant l'hôtellerie s'est montrée très réservée à leur égard." Pourtant, les seniors fréquentent fortement les hôtels, mais avec une telle discrétion qu'on a un peu trop souvent tendance à les oublier ! Cette situation est en décalage total avec le nouveau poids économique de cette clientèle, ayant un réel pouvoir d'achat pour une partie d'entre elle.
Un réel pouvoir d'achat
Actuellement, les plus de 60 ans sont près de 12 millions en France (plus de deux tiers a
moins de 74 ans). Ils sont considérés comme dynamiques sur le plan du tourisme et de
consommation de biens et de services. En matière de pouvoir d'achat et de revenus globaux
disponibles, les seniors ont dépassé depuis peu les quadras, qui détenaient la palme.
Les 60-64 ans sont encore nombreux à travailler (21 % des hommes et 17 % des femmes
occupent encore un emploi salarié ou une activité rémunérée). Par ailleurs, leur
endettement est le plus faible de toutes les tranches d'âges. La plupart des dépenses ou
investissements lourds contractés au cours de leur vie sont derrière eux. Dans l'absolu,
il leur reste un revenu plus faible que celui des actifs mais ils ont aussi moins de
charges, ce qui au final leur confère un avantage économique supérieur. "Le
pouvoir d'achat des seniors a été multiplié par 7 en 20 ans, alors que les salaires
l'ont seulement été de 6 et les prix de 5", précise un analyste financier.
Mais attention, si environ un tiers est relativement aisé, un autre tiers vit proche du
seuil de pauvreté.
Des consommateurs avertis
Les seniors sont des consommateurs avertis d'abord parce qu'ils bénéficient d'une
expérience certaine due à leur âge, mais aussi parce qu'ils ont accompagné
l'avènement de la société de consommation en France. Ils en maîtrisent plutôt bien
les effets. On peut estimer qu'environ 5 millions de Français de plus de 60 ans voyagent
chaque année. S'ils sont adeptes du voyage en groupe, une étude réalisée par Coach
Omnium montre que 7 seniors sur 10 se déplacent individuellement et choisissent la France
comme destination prioritaire à ces occasions. Par ailleurs, 79 % des plus de 60 ans vont
à l'hôtel. Si 21 % d'entre eux ne choisissent l'hôtel que comme étape d'une nuit, 44 %
y séjournent en voyage individuel pour plusieurs nuits et 41 % dans le cadre de leurs
voyages en groupe.
Des attentes spécifiques
L'hôtellerie que sélectionnent les plus de 60 ans est plutôt de moyenne gamme.
Contrairement à tout préjugé, les seniors ne sont pas des irréductibles fidèles des
hôtels indépendants et familiaux, même s'ils recherchent la convivialité. En effet, le
premier critère de choix reste le prix. Il est vrai que cette clientèle paie de sa
poche, contrairement aux hommes d'affaires par exemple. Les seniors sont donc sensibles à
toutes formes de réductions, de services offerts ou d'avantages que pourraient leur
proposer les hôteliers. Ils aiment comparer puisqu'ils prennent leur temps pour choisir.
Pour réserver un séjour à l'hôtel, le contact direct est le moyen le plus couramment
utilisé par les seniors. Parmi les intermédiaires, les agences de voyages les
séduisent, car elles leur apportent des garanties. Pour en revenir à la chambre
d'hôtel, la propreté est un critère fondamental pour 73 % des seniors interrogés dans
le cadre de l'étude réalisée par Coach Omnium. Le confort est également important pour
70 % d'entre eux. La qualité de l'accueil ne vient paradoxalement qu'en troisième
position. Par ailleurs, 61 % des seniors déclarent prendre leur repas à l'hôtel, une
aubaine pour les hôteliers ! Cela dit, les seniors sont en général moyennement
satisfaits de l'hôtellerie en France (score de satisfaction proche seulement des 60 %) à
cause de prix jugés excessifs pour 3 seniors sur 4.
Retard des hôteliers
Malgré tout, il faut bien avouer que les hôteliers français ont pris du retard sur ce
segment de clientèle. En fait, ils n'ont pas encore vraiment établi de politique
marketing spécifique au marché des seniors. La pratique la plus couramment rencontrée
est la réduction tarifaire accordée, selon les établissements, aux plus de 50 ou aux
plus de 60 ans. Mais ces actions sont menées au coup par coup, sans véritable campagne
de communication en amont. Dans les chaînes hôtelières, le problème est identique : il
y a peu de politique commune réellement organisée. Seule une poignée d'entre elles
propose actuellement des tarifs spéciaux pour les seniors, dans l'ensemble de leur
réseau. Les deux principales, Choice et Best Western, offrent une réduction de 10 % sur
le prix de la chambre, valable dans tous leurs hôtels, mais à condition de passer par un
numéro de téléphone particulier. Et ce n'est pas un hasard si elles sont toutes les
deux d'origine américaine. Aux Etats-Unis, le marché des seniors constitue depuis
plusieurs années déjà une cible importante. En France, il semblerait que ce marché ne
soit pas encore aussi développé.
Des aménagements possibles au sein des hôtels
Sans pour autant combler cette lacune, les hôteliers peuvent quand même agir pour
attirer (et garder) les plus de 60 ans au sein même de leur établissement. En
aménageant, par exemple, les lieux pour que cette clientèle, mais aussi les autres, se
sente bien. "Les évolutions physiques et psychologiques que subissent les seniors
ont une influence directe sur les produits qu'ils choisissent de consommer. Il s'agit
parfois de changer des détails mais ce sont ces détails qui comptent", remarque
Christelle Dumarest, psychologue spécialisée. Ainsi, pour séduire les seniors, un des
premiers aspects à améliorer dans l'hôtellerie, mais aussi dans la restauration, c'est
l'éclairage. "Dans un lieu où la lumière est tamisée (restaurant ou hall
d'entrée de certains hôtels), il n'y a rien de plus embêtant que d'être obligé de
demander au personnel de nous aider à déchiffrer ce qui est écrit. Car souvent on le
dérange et il n'est donc pas vraiment disponible pour nous répondre", constate
Lucien, retraité. D'autres éléments ont également leur importance : les chambres
individuelles pour les voyages en groupes doivent si possible être accessibles sans
supplément, car partager une chambre est perçu comme inacceptable. D'autant qu'il faut
savoir que, selon l'IH & RA, les femmes représentent 60 % des seniors et que les
veuves qui voyagent sont plus nombreuses que les veufs. Par ailleurs, les surfaces planes
doivent être privilégiées : ce sont les marches qui posent problème. C'est pourquoi,
il faut installer des ascenseurs partout où cela est nécessaire et également prévoir
des mains courantes. Il est bien évidemment essentiel d'installer des poignées ainsi que
des revêtements antiglisse dans les douches et les baignoires. De plus, le personnel en
contact direct avec les seniors doit être aux petits soins et comprendre que son rôle
est également de rassurer. En général, les seniors veulent être traités comme tout le
monde - ils ne veulent surtout pas être mis à part dans des ghettos - mais avec une plus
grande attention. Enfin, "la technologie ne les rebute pas, mais il faut prendre
le temps de leur expliquer comment ça marche" explique Elizabeth Carroll Simon,
directrice des relations internationales de l'IH & RA.
Une prospective pas toujours optimiste
Les seniors vivraient aujourd'hui leur âge d'or. Dynamiques, disposant de revenus
réguliers, ils sont devenus de grands voyageurs pour certains. Mais la menace guette ! En
2005, les "babyboomers" commenceront à prendre leurs retraites et celle-ci
devient l'un des principaux sujets de préoccupation des Français. L'ensemble des
spécialistes s'accorde à dire qu'à l'horizon 2040, nous aurons une stabilité
approximative du nombre de personnes d'âge actif et un doublement du nombre de personnes
âgées de 60 ans et plus (1 Français sur 5 aujourd'hui a plus de 60 ans. En 2040, ils
seront 1 sur 3). Face à cette fatalité, un point noir émerge : qui va payer ? Les plus
optimistes précisent que l'inquiétude n'est pas vraiment de mise. Selon eux, grâce à
la croissance économique et aux gains de productivité, le niveau de vie des
générations futures sera, sans aucun doute possible, supérieur à celui d'aujourd'hui.
Travaillant encore probablement par à-coup (histoire de compléter ses revenus et de ne
pas se retrouver en marge de la société), cette génération de seniors s'annonce
beaucoup plus en forme que la précédente. Et ayant eu accès aux voyages très tôt, les
babyboomers seront certainement de grands voyageurs, encore plus avertis que leurs
prédécesseurs. Aussi peut-on prévoir un accroissement des exigences de la clientèle.
G. M.
L'HÔTELLERIE n° 2644 Spécial Économie 16 Décembre 1999