Soizic Maréchal
Un vent de fraîcheur et de dynamisme souffle ce matin sur le marché hebdomadaire rennais des Lices. Soizic Maréchal n'y ferait l'impasse pour rien au monde. "Cela m'est arrivé parfois, mais franchement j'étais malheureuse." Soizic, chef du Germinal à Cesson-Sévigné près de Rennes, y rencontre des collègues et surtout des producteurs. Elle échange quelques phrases avec Yves Bocel le maraîcher, un rire avec Paul Renault le Monsieur volailles de nombreux restaurateurs... "Et là, ce sont tous les petits légumes miniatures et oubliés d'Annie Bertin." Les cageots sont prêts. Quelques pas rapides et la jeune chef de 31 ans déboule dans la halle aux bouchers. Elle file vers ce "petit boucher qui me fait un veau de lait extraordinaire. Je ne vous dis pas son nom parce que je veux le garder pour moi", sourit-elle. Derrière Soizic, pipe collée aux lèvres, Denis, son mari, pousse le chariot. "Nous faisons certains fournisseurs ensemble", mais Denis tient par-dessus tout à s'occuper des fromages. Au restaurant, la carte mentionne d'ailleurs la voiture de fromages affinés sélectionnés par Denis. On peut lire au-dessus, "Honni qui soit sans fromage prétend à une bonne table rendre hommage". Fait immuable depuis sept ans, le marché des Maréchal a duré environ une heure. Cageots enfournés dans la camionnette, direction Cesson. "Ce midi, tout est complet. Il faut se dépêcher", lance Soizic, heureuse semble-t-il de son marché. Cette estime portée aux producteurs n'a rien d'un faux-semblant. Elle tient d'ailleurs à disposition de ses clients la liste de ses fournisseurs. "pour vous faire partager la passion du goût", comme l'indique la carte.
"Un rythme de folie..."
Un an après la reprise du Germinal par Soizic et Denis Maréchal, l'hôtel-restaurant
Logis de France ne désemplit pas. Pourtant l'arrivée dans cet établissement assurant 2
000 couverts par mois ne fut pas une sinécure. "On quittait quand même
l'intimité des 20 couverts du Pichet, un restaurant pointu, artistique !" Sans
compter toute une équipe à connaître et à modeler. "Il n'y a pas eu de rodage.
J'ai été projetée dans une grande maison, avec hôtel." Les six premiers mois,
Soizic se les remémore non sans douleur. Une clientèle à conquérir, une vie de famille
quasi inexistante, "un rythme de folie". D'autant que le Pichet ne se
vend pas immédiatement. Denis et Laurent Le Castro, fidèle et excellent second, assurent
la transition au Pichet. "Lorsque le personnel du Pichet est enfin arrivé au
Germinal, nous avions déjà pris des plis. Tout n'a pas été simple à gérer. J'avais
l'impression de ne pas être maître de la situation", assure Soizic. Petit à
petit, l'équipe, dont les trois quarts sont restés, se forme autour du jeune couple.
"Nous avons je pense géré la transition en douceur. Nous faisons un métier
humain. Il ne faut pas l'être uniquement avec les clients, mais également avec les
employés. On ne joue pas comme ça avec les gens." Aujourd'hui, Soizic se
félicite de sa "merveilleuse et jeune" équipe de 20 personnes et
notamment de ses deux seconds, Laurent Le Saulnier et Lionel Le Castro "fondamentalement
zen, avec qui je n'ai jamais de problème". Après la crise, la jeune femme peut
désormais prendre du recul et relativiser. Bien entourée, Soizic s'ouvre aux autres
activités de la maison.
En cuisine, Soizic "pense" avoir aussi évolué, progressé. Elle emploie ce
verbe à dessein, son humilité naturelle lui interdisant d'asséner à son égard de
solides vérités. "Rien n'est jamais acquis dans la vie. Et d'autant plus dans ce
métier où le moindre grain de sable peut tout enrayer."
Une cuisine plus simple
Elle reconnaît pourtant avoir gagné en sérénité. "C'est peut-être plus net
dans les assiettes. Je me concentre davantage sur le produit, avoue-t-elle. Je
voulais auparavant trop le travailler mais ce n'est pas comme ça qu'on le fait vivre.
Mais je ne suis pas encore au top... oh là ! non." Et aujourd'hui elle
reconnaît avoir envie de choses plus simples tout en reconduisant sa préférence aux
poissons et à la volaille, "des produits qui sont en moi". Comme ce
Pigeonneau désossé poêlé jus à la chicorée, le Filet de saint-pierre jus blond aux
oignons caramélisés, le Filet de canette mi-sauvage laqué au miel de sarrasin et sa
cuisse farcie... Et toujours avec un brin de malice. Elle aurait pu se contenter de la
voiture de fromages de Denis, "mais je m'amuse à réaliser des desserts chauds.
J'ai envie de m'amuser, sérieusement. Je ne suis pas une fille sérieuse pourtant",
sourit-elle.
Ne comptez pas sur elle pour délaisser sa nouvelle activité, l'hôtellerie. "Je
ne fais pas la coupure entre le restaurant et l'hôtel. J'aime revoir la clientèle de
l'hôtellerie. On commence à connaître ses habitudes." On ressent chez Soizic
un profond respect des clients, mais sa personnalité évite rapidement toute naïveté à
leur égard. "Lorsque l'on rentre dans un restaurant, il y a des règles à
respecter, comme partout. Le client est tellement roi qu'il ne sait plus reconnaître le
vrai travail, insiste-t-elle. Je veux bien reconnaître mes erreurs mais je refuse
de prendre à ma charge celles qui ne m'incombent pas. On peut se permettre d'éduquer les
clients !"
Militante dans l'âme
Cette même volonté se retrouve chez elle lorsqu'elle évoque les problèmes de la
profession. On sent immédiatement un esprit militant. "Cet engagement est
viscéral. Il faut que l'on se batte." Un combat perdu d'avance ? "Oui,
j'ai cette impression-là, mais si on ne fait rien, c'est de toute façon perdu d'avance !"
Soizic s'investit totalement dans l'Union culinaire de Bretagne (UCB) aux côtés "de
gens formidables ! Lorsque je vois Jacques Guillo, je ne sais pas comment il fait pour
trouver cette énergie". Elle vient récemment de prendre la trésorerie de
l'association rennaise des Tables Gourmandes. En attendant d'autres engagements
ailleurs...
Signe s'il en faut de cette sérénité retrouvée, Soizic consacre le mercredi à ses
enfants, Constance, huit ans et demi et Pierre-Jean, quatre ans. "Je m'oblige à
le faire, précise la jeune maman. Tout le personnel est au courant et essaye de ne
pas me prendre de rendez-vous ce jour-là."
O. Marie
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L'HÔTELLERIE n° 2648 Hebdo 13 Janvier 2000