Louis Chabanel
Parce que messieurs Sauvard
et Capezza aimaient leur métier et savaient faire partager leur passion, Louis Chabanel
est devenu cuisinier. Entré à treize ans et demi au Grand Nouvel Hôtel (NDLR : c'est
aujourd'hui le Grand Hôtel Concorde) au 11 de la rue Grolée, il a poursuivi son
apprentissage chez Morateur puis Lamour à Lyon, auprès de Paulette Castaing au Beau
Rivage de Condrieu, avant de marquer une pause de 27 mois pour cause de service militaire
en Algérie.
Même si la rencontre la plus importante dans son parcours restait encore à venir,
"Loulou" ne doutait pas de son avenir. Au Cercle du Commerce, Pierre Caton est
un chef à l'ancienne, capable de vous persuader que vous alliez exercer le plus beau
métier du monde. "En le voyant travailler, j'ai appris beaucoup de choses et en
particulier qu'il ne fallait pas transiger sur la qualité des produits."
Premier essai avec Le Café du Pont Pasteur
Après mai 1968, le Cercle perdant peu à peu de son lustre, Louis Chabanel choisit de se
mettre à son compte. En avril 1970, il prend une gérance puis, un an plus tard, rachète
avec son épouse le Café du Pont Pasteur où ils sont toujours installés.
En bout de Presqu'Ile, pas très loin du confluent de la Saône et du Rhône, en bordure
de l'axe Nord-Sud qui mène d'un côté vers le tunnel de Fourvière, de l'autre vers
l'autoroute du soleil et mitoyen d'une station-service, l'établissement ne paye pas de
mine. Mais dans ce bistrot d'un quartier déserté au fil des démolitions, l'essentiel
n'est pas en vitrine : tout se joue dans la salle où Louis et Cécile Chabanel cultivent
à merveille l'art de la convivialité !
Depuis presque trente ans, et sans que l'un ou l'autre n'ait eu envie de changer, les
rôles ont été distribués : le piano pour lui qui ne dédaigne pourtant pas de faire
son numéro à ses clients, la salle pour elle avec un travail de fourmi sincèrement
reconnu par son mari. "Si dans ce métier, nous n'avions pas des femmes
intelligentes et compréhensives, nous serions f... Quand on fait les marionnettes, elles
font le boulot et leur apport représente largement plus de 50 % de la réussite de
l'affaire."
"La convivialité ne se décrète pas"
Le propos n'est pas de circonstance. De la même manière qu'il met parfois tel ou tel
convive à contribution pour remettre un diplôme ou lancer une collecte pour une
association caritative, Loulou ne manque jamais de sortir de l'ombre, où elle semble se
complaire, la femme de sa vie. Depuis bientôt trente ans, Louis Chabanel tient un
discours identique, usant et abusant de la parité sans qu'il soit besoin de l'imposer par
le biais d'un texte législatif ! "Faire la cuisine n'est rien, le plus important
c'est tout le reste et les femmes sont toujours là.
Rien n'a vraiment changé depuis l'ouverture : la convivialité ne se décrète pas. On
ne manque pas de clients, mais les copains c'est plus rare et on en a toujours besoin.
C'est ma nature et on me prend comme je suis", dit-il.
Il fait ses achats tous les matins au marché-gare voisin, limite sa carte à quelques
spécialités selon ses humeurs, la saison et les envies devinées d'une clientèle de
fidèles.
"Un restaurant c'est avant tout une seconde maison où le client doit se sentir
bien, comme chez lui. Si ce n'est pas ainsi, il ne faut pas faire notre métier.
L'assiette doit être parfaite et il vaut mieux avoir quatre entrées et quatre plats de
pleine qualité, les mêmes tous les jours, que remplir le frigo. Il faut travailler avec
les saisons, quand c'est le moment."
Pendant vingt ans, à raison de deux ou trois soirs par semaine, Le Pasteur s'ouvrait aux
groupes. Et avec la complicité de Guy Michel, les clients se voyaient offrir un spectacle
de marionnettes où, dans la bonne tradition, on égratignait volontiers les politiques,
le pouvoir en place et l'opposition. Chacun en prenait pour son grade et nul ne songeait
à s'en plaindre. C'est au cours de ces soirées que Loulou instaura le "régime du
cochon", une tirelire où les fumeurs étaient invités à verser leur écot pour
donner un coup de main à une uvre caritative. Loulou est ainsi, soucieux de ses
semblables, profondément généreux et parfait honnête homme.
Préserver le patrimoine
Un jour pourtant, son médecin lui a conseillé de lever le pied. Alors, comme il ne veut
pas "être le plus riche du cimetière", il se contente désormais du
service du déjeuner, 50 à 55 couverts "bien vendus".
"Mais les journées sont quand même longues avec le bar qui fonctionne. Nous
ouvrons à sept heures et nous fermons rarement avant vingt heures."
Parce qu'il a fait ce choix de vie, il ne songe pas à s'en plaindre. Après avoir créé
l'Ordre de la Raie en hommage à tous ceux qui assurent la promotion de ce "rajidé
platiforme", il s'est investi dans les Authentiques Bouchons Lyonnais dont il a
accepté la présidence. "Les Bouchons font partie du patrimoine et il est
important de continuer à respecter un esprit. Si nous ne le faisons pas, tout sera
galvaudé", dit-il simplement.
Dans quelques semaines, quelques mois tout au plus, il tirera sa révérence. Concerné
par le projet d'urbanisme du parc du Confluent, Le Pasteur sera détruit et les Chabanel
expropriés. Il n'en ressent aucune amertume. "Je vais avoir 62 ans, j'ai
commencé à travailler à l'âge de treize ans et j'ai fait une belle carrière. Je
n'éprouve pas la moindre nostalgie. Il m'a toujours manqué des heures et des heures pour
me cultiver et j'ai laissé beaucoup de choses de côté. J'aime la peinture et je vais
pouvoir visiter les musées, lire et jouer au golf que j'ai découvert il y a deux ans."
Avec Cécile qui partage ses passions, Loulou sait qu'il ne s'ennuiera pas. Il y aura
toujours quelques copains pour discuter, faire du vélo et casser une croûte. Il a tant
de choses à faire qu'il n'aura jamais trop de temps...
J.-F. Mesplède
En dates17/12/1937 : Naissance de Louis Chabanel à Lyon |
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L'HÔTELLERIE n° 2649 Hebdo 20 Janvier 2000