Cafés historiques
La place Saint-André, à Grenoble, c'est tout à la fois l'épicentre de la cité et sept
siècles d'histoire puisqu'on y trouve l'ancien parlement du Dauphiné, la collégiale des
Dauphins qui jouxtait l'hôtel construit par le connétable de France, le duc de
Lesdiguières (pendant trois siècles l'hôtel de ville), un théâtre à l'italienne
hélas saccagé en 1950 construit à l'emplacement d'un ancien jeu de paume et même le
premier hôtel de la préfecture de l'Isère dans la bien nommée rue Hector Berlioz.
La première crispation de ce qui allait devenir la Révolution française a été
ressentie ici par une décision des consuls (élus municipaux) demandant le 14 juin 1788
la tenue des états généraux du Dauphiné, prélude de tout ce qui allait suivre à
Romans, à Vizille, enfin à Paris. Les Grenoblois passent donc pour des révolutionnaires
: ils sont en fait surtout iconoclastes. Des destructions massives ont défiguré le
centre historique avant le sursaut de cette dernière décennie où la défense du
patrimoine a pris le pas sur les affairistes municipaux et autres modernistes dépourvus
de culture générale et artistique.
Après la guerre, au moment des Jeux olympiques de 1968, la mairie, puis l'hôtel de
police, émigrèrent en banlieue. En 2000, ce sera le tour du palais de justice libérant
le parlement du Dauphiné (et ses salles classées dont celle des comptes) pour trôner
dans un quartier neuf, tout de verre et de béton, Europole... où n'existe aucun café.
Seul témoin apparemment sauvé de ces bouleversements et de ces révolutions : le café
de la Table Ronde, place Saint-André. Plus de deux siècles et demi d'Histoire et
d'histoires au moment où on célèbre (timidement) le 650e anniversaire du
"transport" du Dauphiné à la France (1349) par Humbert II, politique
visionnaire puisqu'en échange il obtint du roi de France la création d'un parlement et
d'une université et... l'exemption de la gabelle.
La terrasse du café de la Table Ronde donne sur la place Saint-André, face à la
façade Renaissance du palais du Parlement et à la statue du chevalier Bayard. De gauche
à droite Jérôme et Jean-Pierre Boccard et le chef Michel Ferronato.
Le refuge des artistes et hommes politiques
Le jeune Henri Beyle connut ses premiers émois lyrico-amoureux juste à côté, déposant
à peine adolescent ses billets doux à l'entrée des artistes de l'opéra détruit. Il a
fallu trente ans pour préserver l'appartement de son grand-père, le Dr Gagnon, dont la
terrasse domine les anciens jardins de Lesdiguières. Et Stendhal cite le café de la
Table Ronde dans La Vie d'Henri Brulard...
Combien d'hommes illustres ou non ont prononcé des mots définitifs et sans lendemain
devant ces miroirs sans mémoire ? D'innombres parlementaires d'abord, jusqu'à la fameuse
Journée des tuiles en 1788, puis des tribuns ou des rédacteurs de la première
constitution dont Barnave, des militaires dont Bernadotte, enfin des écrivains, des
hommes politiques, des comédiens et des chanteurs. Truffaut y a tourné une séquence de La
Femme d'à côté. Même Benito Mussolini, alors socialiste rédacteur en chef de la
publication Avanti (qui existe toujours), a péroré devant une poignée de
militants grenoblois.
Il en est de même de tous les cafés historiques de France. A commencer par le Café de
Flore et les Deux Magots à Paris, mais surtout Le Procope que fréquentèrent Rousseau,
Voltaire, Diderot, Bonaparte, Danton, Robespierre puis Verlaine, Anatole France, Péguy.
Le Café du Croissant, où Jaurès a été assassiné, existe toujours.
En juin dernier, Jean-Pierre Boccard fut à l'origine des premières assises des Cafés
historiques et patrimoniaux d'Europe, trois journées avec des projections de films, des
communications à l'université Ewa Martin : "Le rôle politique des cafés dans la
vie étudiante" ; Bernard Mangin : "De la bière au café" ; Patrick
Valérian : "Le rôle des cafés dans la chanson moderne"...
Jean-Claude Caro et Jean-Paul Lacombe frais émoulus de l'école hôtelière de
Grenoble, quand ils reprirent le Bistrot de Lyon, rue Mercière : une maison centenaire.
Cafés historiques et patrimoniaux d'Europe
Même le député-maire, Michel Destot, y alla de son anecdote historique, rappelant que
le projet des maquis du Vercors naquit en 1941 avec Léon Martin, son prédécesseur
suspendu par Vichy, dans un café de cheminots, La Rotonde, à côté, justement de celui
de la SNCF. C'est au cours de ces assises auxquelles participèrent trente-trois
délégations que furent évoqués bien d'autres cafés fameux, comme Le Florian, place
Saint-Marc à Venise, ou le Central Kaffe à Vienne. Et présenté le premier guide de ces
établissements historiques dont la vocation demeure l'accueil et la convivialité.
Lors du lancement au Procope du Guide des Cafés historiques et patrimoniaux d'Europe
qui recense une centaine de maisons ayant au moins quatre-vingt ans d'existence, le
Tout-Paris branché vieux bistrots était présent : Pierre Bonte, Daniel Prévost, Mme
Francis Lopez, Jean-Pierre Cathala aujourd'hui directeur des Caves du Sieur d'Arques,
Jean-Pierre Daraud (Monsieur Scoumoune), Nelson Montfort de France Télévision, etc.
Le mouvement est lancé : un courrier significatif l'atteste, comme celui reçu du
Café du Chien qui Fume à Paris, et de bien d'autres dans des bourgs de province où,
lorsque le cafetier ferme ses volets, l'âme du pays s'en va.
Céline n'a-t-il pas écrit : "Un café où on ne boit plus, c'est comme un curé
qui ne dirait plus sa messe" ?
C. Bannières
Contact :
Jean-Pierre Boccard
Café de la Table Ronde
7 place Saint-André
38000 Grenoble
Tél. : 04 76 44 51 41
Fax : 04 76 51 14 83
Le Bistrot de Lyon aujourd'hui, vingt-cinq ans après sa reprise par Jean-Claude
Caro et Jean-Paul Lacombe.
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L'HÔTELLERIE n° 2649 Spécial Café 20 Janvier 2000