Bail commercial
Sources fréquentes de conflits entre le propriétaire et son locataire : la prise en charge des travaux. La répartition est prévue le plus souvent dans le bail, d'où l'importance de bien regarder son bail avant de le signer. Face à des clauses trop vagues, la jurisprudence vient apporter des précisions. Tour d'horizon.
De façon générale, le contrat de louage
d'immeubles est régi par les articles 1714 et suivants du Code civil. Toutefois,
certaines de ces dispositions ne s'appliquent qu'à défaut de dispositions contractuelles
particulières.
S'agissant d'un bail commercial, c'est le principe de la liberté contractuelle qui
s'applique, les parties pouvant déroger par des clauses particulières aux principes
fixés par le Code civil.
Par ailleurs, dans le cas de clauses ambiguës ou contradictoires sujettes à litiges
entre le bailleur et le locataire, le juge reviendra le plus souvent aux grands principes
énoncés par le Code civil.
En ce qui concerne la charge des travaux, le décret de 1953 réglementant les baux
commerciaux ne comporte aucune disposition précise fixant une répartition précise ou
obligatoire, à l'inverse de ce que prévoit la réglementation relative aux baux
d'habitation par exemple.
En conséquence, les parties sont libres, soit de ne rien prévoir, soit de prévoir de
façon très exacte et détaillée cette répartition (y compris de convenir qu'une seule
des parties aura à sa charge l'intégralité des travaux quelle que soit sa nature ou son
importance).
En particulier, en matière de baux hôteliers, il est assez fréquent que le bail
prévoit que l'ensemble des réparations, y compris les grosses réparations, soit
supporté par le locataire.
Le plus souvent, et par commodité, il sera simplement fait référence aux articles 605
et 606 du Code civil pour fixer cette répartition entre le bailleur et le locataire (cf.
encadré page 21).
Le principe étant celui de la libre négociation, il convient bien entendu d'être
extrêmement attentif à la rédaction de la ou des clauses relatives à la charge des
travaux et des réparations, qui peuvent avoir une incidence financière très importante.
Prise de possession du local
Lors de la prise de possession du local commercial ou de l'entrée dans les lieux, le
propriétaire, par référence aux articles 1719 et 1720 du Code civil, doit délivrer des
locaux conformes à leur destination, c'est-à-dire en état d'être utilisés à l'usage
prévu et en bon état de réparations de toute espèce.
L'obligation de délivrance qui pèse sur le bailleur et qui est l'essence même du
contrat de bail ne se limite donc pas aux gros travaux, mais englobe l'ensemble des
réparations de toute nature, mêmes celles qui au cours du bail constituent des
réparations locatives.
Toutefois, les baux commerciaux contiennent dans la plupart des cas une ou plusieurs
clauses qui dérogent à ce principe.
Ce peut être une clause prévoyant que "le preneur prendra les lieux dans l'état
où ils se trouvent lors de l'entrée en jouissance".
Dans ce cas, si le désordre existait déjà antérieurement à la conclusion du bail, le
locataire supportera les travaux de réparations correspondants.
Cependant, et même en présence d'une clause stipulant que le locataire prend les lieux
en l'état où ils se trouvent, le propriétaire sera néanmoins tenu d'effectuer les
travaux, s'ils sont rendus nécessaires par l'existence d'un vice caché antérieur à la
signature du bail.
C'est ce qu'a décidé la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 23 septembre 1997. Il
s'agissait en l'occurrence d'une anomalie de la structure d'un escalier le rendant
dangereux.
En revanche, si la clause est rédigée comme suit : "Le preneur ne pourra
réclamer aucunes réparations ni aucuns travaux quelconques pendant la durée du bail",
elle n'exonère pas le bailleur de son obligation de délivrance en bon état lors de
l'entrée dans les lieux, puisque cette clause ne vise que l'obligation d'entretien
pendant le cours du bail. (Cassation civile 3e ch. 19 avril 1989).
Lorsque les deux clauses ci-dessus sont combinées, le locataire ne doit pas se contenter
d'une visite rapide et de pure forme des lieux avant de signer, mais s'assurer,
justificatifs à l'appui, de l'état de la structure de l'immeuble et des gros
équipements, en se faisant accompagner au besoin d'un "homme de l'art",
architecte ou professionnel du bâtiment. Le futur locataire devra donc regarder
attentivement l'état de la toiture, les gouttières et cheminées, les canalisations
d'eaux usées, le plafond, le plancher, les fenêtres et autres fermetures etc., la date
de mise en service de la chaudière, de l'ascenseur, la date du dernier ravalement.
Les réparations prévues par les articles 605 et 606 du Code civil
Il est souvent prévu dans le bail que le locataire aura la charge des réparations
d'entretien prévues à l'article 605 du Code civil, le propriétaire ne conservant à sa
charge que "les grosses réparations prévues à l'article 606". Toutefois, en
vertu de la liberté contractuelle déjà rappelée, le bail peut valablement prévoir que
le preneur supportera toutes les réparations de quelque nature que ce soit, y compris les
"grosses réparations de l'article 606".
Dans le cas où les "grosses réparations" incombent au propriétaire, il reste
encore à déterminer quelles sont précisément ces grosses réparations.
Le texte indique qu'il s'agit des gros murs, des voûtes, des poutres et des couvertures
entières, ce que l'on appelle communément "le clos et le couvert" (mur
porteur, plancher, plafond, charpente, toiture).
Pendant un certain temps, la jurisprudence a eu tendance à avoir une interprétation
assez extensive des grosses réparations visées à l'article 606, considérant que
pouvaient y être assimilées des réparations ou des réfections d'une certaine ampleur
et d'un coût important.
Dans une décision du 13 mars 1979, la Cour de cassation considère ainsi que la
réfection des verrières constituant, au niveau des locaux loués à usage de court de
tennis, la façade de l'immeuble, est une grosse réparation de l'article 606 incombant
ainsi au bailleur. Dans cette affaire, le bail prévoyait que le propriétaire était tenu
aux réparations visées à l'article 606.
Dans deux arrêts rendus le 26 novembre 1996, la cour d'appel de Paris met également à
la charge du bailleur sur la base de l'article 606 :
l d'une part,
le remplacement complet d'une installation électrique devenue hors normes et dangereuse ;
l d'autre part,
la remise en état intégral et la réfection complète de l'installation de chauffage
central (chaudière-canalisation-radiateurs).
Dans les deux cas, le juge se réfère au coût important des travaux pour décider qu'ils
incombent au bailleur.
Dans une décision du 12 avril 1995, la Cour de cassation a jugé que "des travaux
de ravalement qui comportaient le traitement à la silicone de la façade en briques
poreuses et le remplacement des panneaux en tôle constituaient des réparations de gros
uvre incombant au bailleur".
Dans des décisions plus récentes, la jurisprudence apparaît revenir à une
interprétation stricte de l'article 606.
Ainsi dans deux arrêts prononcés le 10 février 1999, la Cour de cassation décide que
l'énumération des grosses réparations de l'article 606 est limitative.
Elle considère donc, dans ces deux affaires, que le remplacement complet du dispositif de
climatisation n'entre pas dans le cadre de l'article 606 et doit donc être supporté par
le locataire.
La question ne se pose, bien entendu, que lorsque la réparation ou le remplacement
concerne un élément d'équipement qui existait déjà avant l'entrée en jouissance ou
la signature du bail.
S'agissant d'un élément qui aurait été mis en place par le locataire lui-même et
postérieurement à la signature du bail, sa réparation ou son remplacement lui incombera
en tout état de cause.
Travaux prescrits par l'administration lors de l'entrée dans les lieux
S'agissant des activités réglementées recevant du public, comme par exemple un café,
hôtel ou restaurant, les locaux dans lesquels l'activité est exercée doivent répondre
dès le commencement d'exploitation aux normes prévues par la réglementation et variable
selon la catégorie de l'établissement.
En vertu du principe général de l'obligation de délivrance pesant sur le bailleur, le
local loué par une activité déterminée et réglementée doit au moment de l'entrée en
jouissance être conforme aux normes applicables à l'exercice de cette activité.
Si tel n'est pas le cas, les travaux de mise aux normes sont supportés par le
propriétaire.
La présence dans le bail de la clause déjà évoquée prévoyant que "le preneur
accepte de prendre les lieux dans l'état où ils se trouvent lors de l'entrée en
jouissance" ne dispense pas le bailleur de conserver la charge des travaux de
mise aux normes imposés par l'administration. Seule une clause expresse et explicite lui
permet d'échapper à son obligation.
Dans une décision de la Cour de cassation du 23 juin 1993, les faits étaient les
suivants : le propriétaire avait consenti un bail commercial à compter du 1er mai 1988.
Quelques jours plus tard, le 5 mai 1988, la commission de sécurité prescrivait
différents travaux à réaliser avant l'ouverture de la boutique au public.
Le locataire avait demandé l'annulation du bail.
La Cour de cassation déboute le locataire de sa demande en relevant qu'une clause du bail
prévoyait que : "le preneur s'obligeait à prendre les lieux loués dans leur
état actuel sans pouvoir élever aucune réclamation à ce sujet pour quelque cause que
ce soit, à se conformer à toutes prescriptions de l'autorité pour cause d'hygiène, de
salubrité et autres causes et à exécuter à ses frais tous travaux qui seraient
prescrits à ce sujet dans les lieux loués".
A l'inverse, dans un arrêt du 17 avril 1996, la Cour de cassation juge que "les
travaux prescrits par l'autorité administrative sont à la charge du bailleur, sauf
stipulation expresse contraire".
Dans cette affaire, un arrêté imposant une mise en conformité des locaux pour une
activité de restauration avait été pris par l'autorité administrative.
Cependant, une clause du bail prévoyait que "le preneur prendra le bien loué
dans l'état où il se trouve, sans pouvoir exiger du bailleur aucune réparation, sauf le
clos ou le couvert".
Au contraire de la décision précédente, il n'existait pas de dispositions mettant à la
charge du locataire les travaux prescrits par l'autorité administrative, ceux-ci
incombaient donc au bailleur.
Des travaux administratifs prescrits en cours de bail
Il s'agit de tous les travaux de sécurité et de salubrité qui peuvent être rendus
obligatoires par une décision de l'autorité administrative municipale, préfectorale ou
autre.
Lorsqu'ils sont prescrits au cours du bail, la jurisprudence décide de façon constante
que les travaux imposés par l'autorité administrative doivent être assimilés à des
réparations rendues nécessaires par la force majeure, qui sont, sauf conventions
contraires, à la charge du bailleur.
Les décisions rendues à cet égard sont constantes et abondantes.
Ainsi, dans un arrêt rendu le 12 mars 1985, dans le cadre d'un bail à usage
d'hôtel-restaurant, la Cour de cassation met à la charge du bailleur les travaux de
réfection des installations d'électricité et de gaz, ainsi que la modification du sens
d'ouverture de la porte de la salle de restaurant, car ces travaux ont été imposés par
la commission de sécurité.
Dans une autre affaire, le propriétaire des murs et du fonds de commerce avait vendu
uniquement son fonds, il restait donc bailleur de l'acquéreur de son fonds.
Dans l'acte de cession du fonds de commerce figurait une clause de style, selon laquelle
"l'acquéreur fera son affaire personnelle de toutes prescriptions administratives
auxquelles pareille exploitation peut être assujettie".
Des travaux avaient été prescrits par une sous-commission départementale de sécurité
civile.
La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 10 mai 1989 que "les travaux
prescrits par l'autorité administrative sont, sauf stipulation expresse contraire à la
charge du propriétaire".
Elle constate l'absence d'une telle clause dans le bail et précise qu'il y a lieu de
faire abstraction de la clause figurant dans l'acte de cession de fonds de commerce, qui
est étrangère au rapport locatif.
A l'inverse, la cour d'appel d'Agen, dans une décision du 7 septembre 1994, a jugé que
"une clause du bail impose au preneur de se conformer à toutes prescriptions de
l'autorité administrative pour cause d'hygiène, de salubrité et autre cause et
d'exécuter à ses frais tous travaux qui seraient prescrits à ce sujet dans les lieux
loués. Cette clause est de portée générale et concerne les travaux prescrits par
l'autorité administrative, pour quelque cause que ce soit. Le preneur doit donc prendre
en charge les travaux ordonnés par l'administration et qui sont indispensables au
maintien du classement de l'hôtel en catégorie une étoile".
Pour des travaux de ravalement effectués en exécution d'un arrêté municipal, la Cour
de cassation a décidé dans un arrêt du 13 juillet 1994 qu'ils devaient être supportés
par le bailleur, en l'absence d'une disposition expresse contraire du bail.
La solution aurait été différente si une clause du bail avait prévu que le ravalement
était à la charge du locataire.
Le locataire modifie ou étend son activité
Cette affaire concerne des locaux à usage d'hôtel meublé, le locataire ayant obtenu
l'autorisation d'étendre son activité en faisant de la restauration.
Le bail prévoyait d'une part que le locataire acceptait les lieux en l'état et d'autre
part qu'il faisait son affaire personnelle de la mise aux normes des locaux, dans le cadre
de l'extension à l'activité de restauration.
Des travaux de mise aux normes avaient été prescrits par l'administration, mais pour
l'activité hôtelière uniquement.
Dans son arrêt du 7 octobre 1998, la Cour de cassation a décidé que "l'acceptation
des lieux en l'état ne dispense pas le bailleur de prendre en charge les travaux
prescrits par l'administration et que la stipulation d'après laquelle le preneur faisait
son affaire de la mise aux normes des locaux dans le cas de mise en uvre de
l'autorisation d'extension à l'activité de restaurant n'était pas opérante en ce qui
concerne les travaux de mise aux normes pour l'activité d'hôtellerie".
En revanche, les travaux prescrits par l'autorité administrative ne seront pas supportés
par le bailleur, mais par le locataire dans les cas ou :
l le bail est
à usage "tous commerces" et non par une activité déterminée ;
l le locataire
a demandé la déspécialisation du bail (il lui appartient alors de mettre les locaux aux
normes avec l'activité qu'il a lui-même choisie).
l un changement
d'activité est intervenu dans le cadre d'une cession de droit au bail (le locataire doit
là aussi mettre les locaux aux normes avec la nouvelle activité qu'il entend exercer).
E. Duroux, avocat au barreau de Paris
Article 605 du Code civil :L'usufruitier n'est tenu qu'aux réparations d'entretien. |
Article 606 du Code civil :Les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le
rétablissement des poutres et des couvertures entières ; celui des digues et des murs de
soutènement et de clôture aussi en entier. |
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L'HÔTELLERIE n° 2652 Hebdo 10 Février 2000