Tenir un restaurant
Après une dernière décennie particulièrement douloureuse avec une hausse régulière du nombre de défaillances d'entreprises, les restaurants en faillite sont en régression. En 1998, l'Insee annonçait 5 200 défaillances d'entreprises dans le secteur des CHR contre 6 000 en 1997, soit un glissement de 12 %. En 1999, la tendance se confirme, puisqu'on relève 15 % de défaillances en moins par rapport à la même période de 1998. Malgré tout, le secteur de l'hôtellerie-restauration souffre plus que les autres. Pour preuve, l'Insee y dénombre 27 défaillances pour 1 000 entreprises. Résultat que seul le secteur de la construction, très touché, parvient à dépasser. Comme on le sait, ce sont les jeunes entreprises qui sont les plus touchées (la moitié des faillites concerne les entreprises de moins de 5 ans) ainsi que les établissements indépendants. A ne pas confondre avec une cessation d'activité, une faillite est le dépôt de bilan d'une entreprise qui s'inscrit dans le cadre d'une procédure judiciaire. Cette faillite peut se résoudre ou non par une liquidation, une reprise ou un redressement par continuation. La cessation est une notion plus large qui peut avoir des causes multiples pas forcément liées à une défaillance : départ en retraite ou vente de l'établissement. Aujourd'hui en tout cas, la défaillance n'est pas liée à une cause unique mais à la conjugaison de plusieurs facteurs étroitement liés.
On ne s'improvise pas restaurateur
Une des anomalies majeures qui conduit aux premiers tourments d'une affaire concerne la
compétence et l'expérience de l'entrepreneur. La restauration est une activité ouverte
à tous : il suffit d'être majeur. Aucun diplôme ni certificat de restauration n'est
nécessaire. Aucune compétence particulière n'est exigée, pas même de savoir cuisiner.
"Quand on ne sait pas quoi faire, on imagine que la restauration est à portée de
main. Or, si on n'est pas dans le bain, on peut très vite être dépassé par des
obstacles insurmontables", analyse Francis Attrazic, président de la
Fédération nationale des restaurateurs. La restauration est un peu le miroir aux
alouettes de ces personnes pleines de bonne volonté qui, déçues de leur expérience
professionnelle antérieure, décident de monter leur propre affaire. "Le
problème, c'est que certains, se considérant comme des professionnels, se sont lancés
dans tout et n'importe quoi", s'insurge le responsable d'un établissement qui a
fait ses preuves. "Il y a aussi ceux qui s'installent parce qu'ils ont mis un peu
d'argent de côté, et parce que madame adore recevoir à la maison. Ils confondent
cuisine familiale et cuisine de restaurant", explique un autre professionnel. On
assiste ainsi à des ouvertures tous azimuts qui donnent non seulement une mauvaise image
du métier mais qui pénalisent également les établissements déjà installés sur
place. Or l'habit ne fait pas le moine et il est évident que le simple fait de mettre une
toque et un tablier blanc n'ouvre pas les portes au succès. Un bon bagage en matière de
restauration et de gestion d'entreprise est un préalable inévitable pour faire
carrière. Francis Attrazic est formel : "Il faut mettre en place un garde-fou à
ces excès intempestifs, par la mise en place d'un certificat de qualification
professionnel reprenant les connaissances de base pour savoir cuisiner et gérer une
entreprise."
Une affaire difficile à rentabiliser
Paradoxalement, un restaurateur fort de ces compétences de base n'est pas affranchi de
tout risque d'échec. Un restaurant est une entreprise difficile à gérer car
difficilement rentable. On constate que beaucoup d'établissements n'ont pas de personnel.
Leur capacité réduite et la faiblesse de leur chiffre d'affaires les empêchent
d'embaucher et les condamnent à vivre sur la corde raide. "La masse salariale est
un des postes de dépense les plus importants et peut atteindre, dans certains cas,
jusqu'à 50 % du chiffre d'affaires", indique Martine Croharé, juriste au
CFHRCD. Mais pour le restaurateur, le plus dur à avaler, c'est la TVA et son augmentation
de 2 points en 1995, qui n'a pas pu être répercutée sur les prix. Particulièrement
taxée, la restauration française est d'ailleurs considérée comme l'une des moins
rentables au monde. Beaucoup de professionnels ne parviennent pas à dégager de
bénéfices et sont contraints de vivre uniquement sur la trésorerie. De plus,
l'exploitation d'un restaurant nécessite des investissements permanents. Pour survivre,
il faut sans cesse s'adapter aux normes de sécurité, d'hygiène, aménager, animer et
donc investir. Pas facile quand les banquiers se montrent particulièrement rétifs.
"Les banquiers sont aussi frileux aujourd'hui qu'ils étaient généreux il y a
quelques années", regrette Francis Attrazic. Et Claude Izard, président du
groupement des restaurateurs à la Confédération française des hôteliers,
restaurateurs, cafetiers et discothèques, d'ajouter : "Les banques ont peur et ne
souhaitent plus soutenir un secteur qu'elles considèrent à risque." Même la
cuisine gastronomique ne fait plus recette auprès des banques. "Les organismes
financiers se montrent avant tout soucieux d'obtenir des garanties financières en dépit
d'un parcours éloquent", souligne un chef restaurateur en quête d'un soutien
pécuniaire.
Un environnement contraignant
Dans ces conditions, il est difficile de s'adapter dans un environnement concurrentiel qui
ne cesse d'évoluer. Le développement de la restauration parallèle et l'arrivée des
investisseurs prêts à développer des concepts et à multiplier les points de vente a
fait évoluer la demande. "Face à la profusion de l'offre, les clients sont
devenus de plus en plus capricieux. Ils veulent toujours plus de confort, de qualité et
de décor", explique Claude Izard. Le restaurateur est contraint de se conformer
aux normes de sécurité et d'hygiène, aux nouvelles modes en matière de cuisine et de
décor. Difficile quand on sait que les concepts vieillissent de plus en plus vite et que
les normes ou les lois ne cessent de changer. On comprend alors que certains
professionnels ne parviennent plus à maintenir la tête hors de l'eau. Dans ce souci de
coller à la demande, de satisfaire un besoin en perpétuelle évolution, la mise en place
d'une réflexion marketing est incontournable. On ne compte plus les navires conduits à
l'aveuglette qui ont fini par sombrer. "Emplacement, concept et prix sont autant
de domaines qui, mal définis, peuvent mener le restaurateur droit à la déconfiture",
nous confie un professionnel averti.
Beaucoup d'erreurs
Un restaurant, situé sur les plages de Marseille, n'a jamais su trouver son créneau et
s'est enlisé dans une situation où faillites et rachats se succèdent indéfiniment.
Établissement sans concept, à cheval entre le restaurant haut de gamme et la buvette, il
a souffert de la disparité de sa clientèle. Son positionnement inadéquat a engendré
une crise identitaire et causé sa perte. Malheureusement, il n'est pas le seul à n'avoir
pas su définir son créneau. Un réseau de restaurants belges s'est mis en tête de
proposer la célèbre moule-frites à la manière des fast-foods dans un décor
décharné, une équipe réduite à son minimum, une carte sommaire et un accueil
minimaliste. Résultat des courses, le réseau est dans une phase très délicate. Son
responsable s'explique : "La moule-frites, produit concurrentiel servi dans des
brasseries avec un service à table de qualité, ne correspond pas au concept de
restauration rapide." En attendant, si les restaurants traditionnels sont plus
sensibles à la faillite, les chaînes ou les grands groupes ne sont pas épargnés. Pour
preuve, Batifol, qui a essuyé une sérieuse déconvenue à la fin des années 90,
n'existe plus. Planet Hollywood a failli mal tourner, après un redressement judiciaire.
Et les restaurateurs qui ont su faire leurs choux gras savent pourquoi.
A. Vallée
Les restaurateurs de chaînes ne sont pas épargnés par la faillite. C'est le cas
de Batifol qui n'existe plus aujourd'hui, tous les établissements ayant été rachetés
par Buffalo Grill.
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L'HÔTELLERIE n° 2656 L'Hôtellerie Économie 9 Mars 2000