Pour Gérard Pélisson
Coprésident fondateur et coprésident du conseil de surveillance du groupe Accor, Gérard Pélisson a accepté de présider la première édition d'Horest-Carrières. Convaincu que les métiers de l'hôtellerie- restauration offrent des possibilités de carrière particulièrement intéressantes pour les jeunes, il s'étonne de la non adéquation de l'offre et de la demande du marché de l'emploi en France. Entretien.
Propos recueillis par Claire Cosson
L'hôtellerie :
Comment percevez-vous le marché de l'emploi en France ?
Gérard Pélisson, coprésident fondateur du groupe Accor :
Je dois avouer que je suis actuellement très étonné ! Pour moi en effet, le marché de
l'emploi se constitue de la manière suivante : d'un côté des offres et de l'autre des
demandeurs. Je ne parviens pas, hélas, à m'expliquer pourquoi offres et demandes ne se
rejoignent pas dans notre pays. D'autant que les demandeurs d'emploi sont nombreux et les
gisements d'emploi existent bel et bien dans plusieurs secteurs, en particulier dans nos
professions.
De ce fait il m'arrive parfois, de m'interroger et de croire que les candidats à l'emploi
ne possèdent peut-être pas les connaissances générales minimums dont Jules Ferry
faisait son fer de lance pour tous les Français, à savoir lire, écrire et compter ! En
attendant, une chose est sûre : un groupe comme le nôtre éprouve aujourd'hui plus de
difficultés à recruter du personnel qu'il y a 20 ans et c'est un comble.
L'H. :
Estimez-vous que le coût du travail peut aussi avoir une incidence importante sur le
marché de l'emploi en France ?
G. P. :
Il faut bien admettre que le coût du travail en France est important. Compte tenu de ce
coût, les entreprises sont contraintes à une course à la productivité. Nous avons
inventé le concept de Formule 1 dans cet objectif. Nous n'aurions jamais pu faire une
hôtellerie de type hyper économique comme Formule 1 avec des conditions de coût de
travail normales. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place un système de
SARL. Autre exemple de la course à la productivité : il y a 25 ans, un établissement 3
étoiles (100 chambres, un petit restaurant) fonctionnait avec environ 80 personnes.
Aujourd'hui, on essaie d'exploiter le même hôtel avec 30-35 personnes. En fait, toutes
les réflexions engagées dans l'industrie hôtelière aujourd'hui visent à améliorer la
productivité.
En définitive, je crois quand même que le coût du travail pèse sur le marché de
l'emploi. D'autant que malgré des rémunérations de base qui ne sont pas très
élevées, la facture salariale dans nos entreprises demeure particulièrement lourde pour
les employeurs.
L'H. :
Ne pensez-vous pas que les salaires pratiqués dans la profession sont cependant trop peu
élevés ?
G. P. :
Je pense que les salaires pratiqués dans la profession et chez Accor sont normaux. On
peut néanmoins partir du principe que les gens de base ne sont jamais assez rétribués.
En ce qui concerne Accor, nous sommes situés au-dessus du Smic (entre 10 et 20 %). De
plus, un grand nombre de nos employés bénéficient d'un 13e mois.
L'H. :
Selon vous, la mise en place de la réduction du temps de travail pourrait-elle permettre
de revaloriser la profession ?
G. P. :
Je crois qu'avant de parler de réduction du temps de travail (RTT), les professionnels
doivent d'abord s'attacher à revaloriser eux-mêmes l'image de leur profession. Pour ce
faire, il faut effectivement suivre le train et partici-
per à des avancées sociales. La première progression importante consiste à respecter
la durée légale du temps de travail. N'oublions pas qu'il n'a pas été très aisé
d'arriver à 43 heures par semaine !
J'estime néanmoins que légiférer dans ce domaine est un mauvais combat ! Le seul point
positif du passage aux 35 heures serait de faire tomber le tabou de la flexibilité.
L'H. :
Les statistiques prouvent que de nombreux jeunes quittent assez vite la profession pour se
diriger vers d'autres secteurs. Comment le groupe Accor s'y prend-il pour conserver son
personnel ?
G. P. :
Une de mes philosophies, c'est l'emploi à vie chez Accor ! Je crois en effet qu'il est
capital pour une entreprise de fidéliser son personnel. Sur ce point, il n'y a pas de
recette miracle. Des individus mauvais en tout, il y en a très peu. Reste tout simplement
à trouver les points forts de chacun afin qu'il évolue dans son domaine de
prédilection. En d'autres termes, nous devons nous occuper des gens avec lesquels nous
travaillons. En pratiquant tout d'abord une politique de promotion interne musclée. Chez
Accor, si elle souhaite, une femme de chambre peut ainsi découvrir la réception et
endosser un jour l'habit de directeur d'hôtel. L'accès à la formation est également un
outil essentiel pour faire évoluer positivement les salariés. Ajoutons à cela de bonnes
conditions de travail et des rémunérations légèrement supérieures à la moyenne.
L'H. :
La qualité de l'enseignement en France est-elle selon vous satisfaisante ?
G. P. :
Je trouve que l'enseignement en France a beaucoup progressé au cours de ces dernières
années. L'enseignement de base est effectivement d'un bon niveau. Je n'ai guère de
remarques à faire quant à l'enseignement dispensé dans les lycées hôteliers. Il est
plutôt d'un niveau satisfaisant. En réalité, je crois que nous disposons d'un bon
enseignement dans le cadre de nos moyens.
Nous pourrions, bien entendu, disposer de moyens financiers plus conséquents. Cela nous
permettrait d'avoir des universités ultra performantes comme The Culinary Institute of
America qui forme le plus grand nom-
bre de chefs de cuisine dans le monde. Je considère parallèlement que c'est aux
entreprises et aux industriels de s'investir davantage dans la formation permanente. C'est
effectivement un élément fondamental dans la vie des salariés en général et dans nos
métiers en particulier.
L'H. :
Quelles sont les qualités que doit avoir un jeune pour faire carrière dans l'hôtellerie
et la restauration ?
G. P. :
La première qualité indispensable, c'est aimer ce métier. Et, contrairement à ce que
l'on pourrait penser, cela n'est pas à la portée de tout le monde. L'hôtellerie et la
restauration sont en effet des métiers de service qui nécessitent d'aimer les gens et
d'être disponible. Il faut accepter l'idée de servir les autres. A partir de là, si les
candidats n'ont pas le goût du contact, mieux vaut qu'ils aillent voir ailleurs, ces
métiers ne sont pas faits pour eux.
Parallèlement, il faut aussi accepter les contraintes qui incombent à nos professions
comme notamment la flexibilité. On entend souvent dire de nos métiers qu'ils sont
difficiles. C'est vrai, ils imposent certaines contraintes mais des métiers faciles, je
n'en connais pas vraiment ; tous ont leurs avantages et leurs inconvénients. Le secteur
de l'hôtellerie-restauration requiert deux qualités essentielles : aimer apprendre et
aimer travailler ! Acquérir d'une part des connaissances techniques pour accéder à un
certain professionnalisme. Mais aussi apprendre les langues étrangères devenues
indispensables dans nos activités. Apprendre également à être humble en acceptant
d'être sans arrêt sur la brèche, prêt à tout moment à se remettre en cause. Car,
c'est effectivement en adoptant ce type d'attitude que l'on peut progresser et gravir les
échelons hiérarchiques. Nos métiers permettent à tous ceux qui veulent bien s'y
investir, même quand ils ne sont pas diplômés, d'accéder à des niveaux passionnants !
Comme l'a dit Claude Allègre, ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la
Technologie, nos métiers constituent un merveilleux "escalier social".
Il y a véritablement de l'avenir dans nos professions pour tous ceux et celles qui
souhaitent réellement s'y investir.
D'ailleurs, les exemples de promotion interne sont pléthore au sein du groupe Accor. Un
plongeur ou bien une femme de chambre peuvent devenir directeur d'hôtel : c'est important
de le dire.
"Le seul point positif de la réduction du temps de travail serait de
faire tomber le tabou de la flexibilité en France"
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L'HÔTELLERIE n° 2657 Spécial Formation 16 Mars 2000