Témoignages
Incroyable mais vrai. Arrivé en 1995 à New York avec ses deux valises et 100 $ en poche, sans permis de travail, sans recommandation, Dominique Tougne est aujourd'hui à la tête du Bistro 110 à Chicago, partenaire du groupe Levy Restaurants, en charge pour la compagnie de tous les restaurants français. C'est aussi ça l'Amérique.
Quand on rencontre Dominique Tougne au Bistro 110,
sur Pearson Street à trois pas de Michigan Avenue, on ne peut qu'être impressionné. Par
la stature bien sûr qui a tout de celle d'un rugbyman mais aussi, et surtout, par sa
sérénité, son optimisme et son fantastique sens du bonheur.
Et si certains trouvent son histoire insolente par la chance qu'il a rencontrée, qu'ils
sachent que Dominique Tougne est certainement allé au-devant de cette chance par son
travail, sa faculté d'adaptation et son talent. C'est lui qui a gagné son droit au
miracle !
Un parcours très professionnel : après un BTS à Blois, on le trouve à
l'Inter-Continental à Paris puis au Nikko avant un service militaire où on le transforme
en steward. A son retour, l'enthousiasme de l'ouverture d'un restaurant à Bordeaux avec
son frère, Le Jardin de la Truffe, est vite assombri par une guerre du Golfe qui amène
les deux frères à repartir à zéro. "La société était trop jeune, nous
n'avions pas les moyens de tenir",
se souvient-il.
Un billet pour New York
Dominique continue à tracer sa route : il ouvre, cette fois comme salarié, le Château
des Reynats en Périgord (1 étoile Michelin) avant de rejoindre l'équipe de Joël
Robuchon avenue Poincaré à Paris où il assumera la responsabilité de sous-chef, 3 ans
durant, du Relais du Parc. Et c'est là où sa vie bascule. Il en a assez de travailler
autant sans projet concret, de tirer le diable par la queue mais il se refuse "à
faire partie des gens qui râlent et qui ne font rien pour vivre autre chose".
Alors Dominique se prend en main, achète un billet aller pour New York, règle toutes ses
affaires en France et s'envole. "Quand j'ai débarqué à JFK, c'est là que j'ai
réalisé mon coup de folie, je suis resté assis 2 heures sur mes valises avant de
prendre un taxi pour Manhattan. Tous les hôtels étaient complets, alors j'ai atterri à
l'auberge de jeunesse", se souvient-il. S'il ne parle pas un mot d'anglais, il a
toutefois un excellent CV et ne tarde pas à trouver du travail. Il se retrouve à Atlanta
pour l'ouverture d'un restaurant dans le cadre des JO. Et là, coup de théâtre, il est
contacté par un chasseur de têtes qui lui propose un poste à Chicago pour Larry Levy.
Le marché est immédiatement conclu et ce sont les avocats du groupe Levy qui s'occupent
de régler tous les problèmes d'immigration.
Se donner et y croire
En juillet 1995, il prend en charge les restaurants du groupe afin de leur conférer une
authenticité française. "La France a quelque chose à vendre ici",
explique-t-il.
En trois ans, Dominique Tougne est devenu partenaire du groupe, s'est marié avec une
Américaine, est devenu trilingue. "Ici, il faut aussi parler espagnol, c'est le
meilleur moyen de se faire comprendre en cuisine", ironise-t-il. Il a eu une
progression professionnelle et sociale qui lui paraissait impossible en France.
"Je suis sûr d'avoir fait les bons choix mais pour que le facteur chance joue à
fond, il faut se donner et y croire", prévient-il. Adapté à la vie
américaine, Dominique ne renie pas pour autant la France. "Au contraire, ici mon
train de vie me permet de rentrer 2 fois par an dans le Périgord voir mes parents alors
que je n'y arrivais pas quand j'étais à Paris !" Revenir s'installer en France
? "L'idéal serait d'avoir mon business ici et de vivre en France parce que la vie
y est plus douce.
Ici on n'est jamais en sécurité mais il y a tellement de compensations. La
reconnaissance est accessible à tous en Amérique, pas seulement à l'élite.
Ici on apprend le business au-delà de la cuisine, on apprend à faire marcher une maison
au niveau marketing ; le talent ne suffit pas, il faut savoir promouvoir son image.
La reconnaissance est plus forte qu'en France, on ne cesse de mettre les jeunes en avant.
Le challenge est permanent, on est toujours motivé."
Tout est possible
Dominique Tougne a trouvé ses marques, il aime cette rapidité de décision : "Quand
l'idée paraît bonne, rien n'est bloqué, on vous donne les moyens."
Il est en confiance, il a le sentiment de tout pouvoir faire, il se motive, se fixe ses
challenges. "Il ne faut pas attendre les autres ; ici j'ai appris que rien
n'était impossible, il suffit de le vouloir."Le marché du travail, Dominique
fait avec : pas de personnel qualifié.
"Ça aussi, je l'ai appris ici. Il n'y a pas de chômage ; le personnel, s'il
n'est pas heureux chez vous, il traverse la rue et trouve un autre job mieux payé. Alors
à nous de l'écouter, de le motiver et de savoir le former et le payer !" Les
serveurs gagnent entre 200 et 400 $ nets par jour, ils peuvent travailler de 30 à 50
heures par semaine. Au Bistro 110, il emploie 120 salariés et réalise un CA de 6,5 M$
par an avec un prix moyen de 20 $ au lunch et 30 $ au dîner. "Je suis aux anges
ici", avoue-t-il, rayonnant de bonheur.
P. Alexandre Le Naour
Bistro 110
110 East Pearson Street Chicago
Illinois 60 611
Tél.: 00 1 312 266 3110
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L'HÔTELLERIE n° 2657 Spécial Formation 16 Mars 2000