C'est l'un de ces lieux improbables comme New York en recèle tant, entre Greenwich
et West Village, longtemps déshérités et aujourd'hui tellement trendy. Un
Irlandais malin qui fait un malheur depuis quelque temps à Tribeca, autre nouveau temple
des vanités, avec sa brasserie Balthazar où Madonna ne dédaigne pas venir picorer avec
sa fille, vient d'ouvrir, au bout de la 12e rue, "Pastis", tout simplement.
Probablement inspiré par le succès des livres de Peter Mayle, qui exploita avec une
habileté rare le filon méridional-provençal, "Pastis" vaut le détour. Pas
forcément pour sa gastronomie, comme dirait le Guide Rouge, mais pour l'ambiance,
le décor, l'incroyable succès d'un hangar retapé et redécoré, le service jeune et
décontracté, l'inconfort des banquettes et l'assourdissante musique de cet endroit en
lisière de "la zone" qui se prolonge jusqu'à l'Hudson.
On ne réserve pas une table chez "Pastis". Au téléphone, on vous dira
gentiment qu'on vous attend pour la waiting list, à moins de venir de bonne heure, avant
19 h 30 pour un Américain, et d'avoir une chance d'obtenir rapidement une table côté
"café". Car l'établissement est astucieusement divisé entre "le
restaurant" où il est de bon ton de s'installer, et le "café", pour les
gens préssés, encore que la carte soit rigoureusement identique.
Bravo pour le trait de génie de Lee Hanson qui réussit ainsi à faire venir le
tout-Manhattan pour déguster une cuisine franchouillarde revisitée qui plaît tant aux
yuppies de Wall street.
De sculpturales créatures descendent de limousines interminables pour s'accouder au
comptoir autour d'un verre de beaujolais ou de chinon en attendant de composer leur menu.
Car tout le répertoire de notre tradition bistrotière est ici plus ou moins
fidèlement représenté. La carte propose de la raie au beurre noir, de la truite
amandine, du steak frites with béarnaise (sic), de la blanquette de veau ou des tripes
gratinées, en français dans le texte. On peut commencer par d'authentiques rillettes
fermières, les Américains n'ayant sans doute pas encore entendu parler de la listéria,
ou des poireaux vinaigrette. Quant aux "garnitures", elles vont de la
ratatouille au gratin dauphinois en passant par les carottes vichy, ce monument du
conformisme culinaire de l'après-guerre.
Et ça marche, ce qui est quand même le plus instructif à l'occasion d'une visite -
indispensable - à "Pastis" lors de votre prochain voyage à New York. Car la
réussite de l'établissement ne peut qu'interpeller le professionnel de l'Hexagone en
quête de développement. Si un Irlandais parvient à remplir un ancien entrepôt en
faisant avaler à tout ce que New York compte de snobs (ça fait du monde) du gigot
flageolet arrosé de Marcillac, il y a certainement quelque chose à tenter du côté de
la Big Apple. Pas forcément la même chose, mais les exemples de réussite française
outre-Atlantique, le Bistrot 110 à Chicago en est la dernière démonstration, ne peuvent
qu'inciter à réfléchir, et franchir l'océan...
L. H.
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L'HÔTELLERIE n° 2669 Hebdo 8 Juin 2000