Morbihan et Loire-Atlantique
Tous les professionnels du littoral atlantique le redoutaient et ils avaient raison. Dans le Morbihan et en Loire-Atlantique, les professionnels enregistrent, durant les vacances de Pâques et les longs week-ends, une baisse significative de la fréquentation touristique. Il faut néanmoins éviter d'en tirer des conclusions trop rapides pour cet été.
En début d'année, "le pétrole arrivait au ras des fenêtres. Nous en avions 40 centimètres devant l'hôtel. Il y en avait sur les carreaux, à l'intérieur... Aujourd'hui encore, nous avons des traces sur la façade donnant sur la mer", témoigne Gérard Louis, propriétaire, au Croisic sur la Côte Sauvage, des hôtels-restaurants l'Océan, les Vikings, le Vénète et le Fort de l'Océan. Au total, quelque 62 chambres et une capacité en restauration de 120 à 180 couverts. Même s'il le redoutait depuis le mois de janvier, les vacances de printemps et les longs week-ends du 1er et 8 mai ont été désastreux. "Une baisse d'environ 40 % sur l'ensemble de l'activité." Attenante à l'Océan, la plage était encore fermée à la mi-mai. Des bataillons de militaires, pompiers et autres services civils s'affairent sur les rochers, vêtus de combinaisons blanches et de masques. Lorsqu'ils ne sont plus sur les rochers, ils se désaltèrent sous une tente baptisée Chez Erika. "Nous avons environ une centaine d'hommes par chantier. Mais nous sommes tributaires de la marée. Lorsqu'elle monte, elle ramène vers le large des boulettes de pétrole que nous retrouvons le lendemain", explique un militaire affecté à la surveillance d'un chantier. Une certitude, les criques de la Côte Sauvage seront loin d'être propres pour l'été. Tous les professionnels ne subissent pas pour autant le même désagrément : le 12 décembre, l'Erika n'a pas uniformément vomi ses 15 000 tonnes de pétrole sur les 400 kilomètres de côte, du sud-Finistère au nord de la Charente-Maritime. Ce sont en fait essentiellement le Morbihan et surtout la Loire-Atlantique qui ont été les plus touchés. Le directeur du Comité départemental du tourisme du Morbihan, Philippe Podevin, remarque logiquement : "Au Finistère, 46 km de côtes ont été touchées, 330 au Morbihan et 140 en Loire-Atlantique et en Vendée. Pour autant la quantité de pétrole déposée sur les côtes n'est pas proportionnelle au linéaire. Il y a eu beaucoup moins de mazout déposé sur le littoral morbihannais que sur celui de Loire-Atlantique." Un bilan effectué début mai par le CRT Bretagne permet de vérifier l'état d'une partie des plages, du Finistère à la Vendée. 55,8 % sont clairement déclarées "propres". En Loire-Atlantique, seules deux plages sur 15 mentionnent le précieux sésame. Reste à savoir ce que signifie justement ce mot. Pour beaucoup, même si les plages sont propres à vue d'il, elles renferment encore du pétrole en profondeur. Nombre de professionnels du tourisme et de l'hôtellerie-restauration confessent qu'ils ne laisseraient pas jouer en toute tranquillité leurs enfants sur la plage. Ils ne sont pas rares non plus ceux qui relatent le souvenir de clients revenus des plages, les chaussures ou le pantalon souillés. Mais tout le monde évite le catastrophisme en assenant ce leitmotiv, "la plage d'accord, mais nous proposons bien d'autres activités !"
Jusqu'à - 50 % !
Il n'empêche, l'image de marque d'une partie du littoral atlantique est bel et bien
ternie. Les professionnels du Morbihan et de Loire-Atlantique ont malheureusement pu le
vérifier pendant les vacances de printemps et les longs week-ends. Les chiffres parlent
d'eux-mêmes, on enregistre des baisses d'activité de 20 à 50 % selon les sites ! Dans
le Morbihan, les îles accusent particulièrement le coup. Présidente de l'office de
tourisme de Belle-Ile, Marie-Christine Duron, parle "d'une baisse très variable
d'un établissement à un autre. Cela dépend des activités proposées, de la
catégorie... On peut avancer une baisse globale de 20 % de la fréquentation".
Propriétaire du Manoir de Goulphar, du Castel Clara, de l'Hôtel de Bretagne et du
Cardinal, Paul Meunier enregistre sans équivoque "entre 40 et 50 % de chiffre
d'affaires en moins". Jacqueline Trarieux, hôtelière à Hoëdic et présidente
du groupement Ilotels, remarque que les "vacances de Pâques n'ont pas été
terribles, mais les week-ends meilleurs". Sur le littoral, la région de Lorient
ne semble pas avoir été particulièrement touchée. Il faut dire que "Lorient
n'a pas non plus une grosse image touristique", rappelle Gérard Le Faouder,
hôtelier à Larmor-Plage et vice-président des restaurateurs au sein du syndicat
lorientais. Dans le golfe du Morbihan, relativement épargné, la baisse d'activité se
situerait à environ 20 %. Pour le directeur du CDT du Morbihan, en attente de chiffres
détaillés, "on ne peut donner que des tendances. La première semaine des
vacances de printemps a été très calme mais c'est habituel. Lorsque les vacances
interviennent si tôt dans le mois, les Parisiens préfèrent la montagne. Les 2e et 3e
semaines ont été plus dynamiques". En ce qui concerne les thalassothérapies,
"on s'attendait à des baisses de 30 %. Pour mars-avril, on est en chute, mais de
10 à 20 %".
Un peu plus au sud, dans le département de la Loire-Atlantique, le constat d'une baisse
de fréquentation est confirmé. A Piriac-sur-Mer, où les plages sont encore fermées, la
fréquentation à l'office de tourisme a chuté de 30 % et les taux de réservation pour
cet été sont en baisse de 30 à 35 %. Pour Georgette Daniel, de l'Hôtel de la Plage,
"hormis les week-ends, les vacances de Pâques ont été nulles et archinulles
avec une baisse de 40 %. C'est catastrophique, une claque assurée". Restaurateur
au Pouliguen et délégué général des restaurateurs saisonniers à l'UDH de
Loire-Atlantique, Jean-Marc Edet remarque que "Pâques a été nettement moins bon
que l'an dernier. Les restaurateurs, avec des -15 à
-20 %, ont quand même moins souffert que les hôteliers. A La Baule, Damien Dejoie,
directeur de l'office de tourisme, estime que "les vacances ont eu du mal à
démarrer. Le manque à gagner de la première semaine a été compensé par les week-ends
de Pâques, du 1er et du 8 mai. Jusqu'à la mi-avril, nous avions une baisse par rapport
aux courriers expédiés de l'ordre de 25 à 30 % et depuis, on est à 2 %. Reste à
savoir si cela se concrétise par des ventes !"
Les Allemands absents
L'Erika n'explique pas à lui tout seul ces mauvais résultats. N'oublions pas les
tempêtes - le président du CDT (56) explique justement que la tempête a très fortement
touché les Français (69 départements métropolitains sinistrés sur 95), mais
également l'Angleterre qui compte plus de morts que dans l'Hexagone - et parfois le
mauvais temps dans certains endroits pendant le mois d'avril (une météo fraîche qui a
apparemment, selon l'Observatoire régional du tourisme, reporté la clientèle sur les
zones urbaines). Mais la marée noire demeure la principale raison de la désaffection du
public. On en veut pour preuve la réaction de la clientèle qui s'informe de l'état des
plages. Un constat semble se dégager partout, la clientèle étrangère boude le
littoral, à commencer par les pays nordiques dont l'Allemagne, qui représente pour
certains hôteliers-restaurateurs près de 40 % de leur clientèle. Philippe Podevin
avance une explication, "ces habitants sont culturellement très sensibles à
l'environnement, on peut donc comprendre leur timidité". Allemands donc, mais
également Belges, Hollandais et Suisses désertent. Les Anglais dans une moindre mesure.
Maison de la France évalue à plus de 100 MF le déficit d'image pour les côtes
atlantiques au regard de la contre-publicité véhiculée dans la presse étrangère. Il
semblerait, par ailleurs, selon les premières analyses de l'Observatoire régional du
tourisme, que la clientèle étrangère fasse l'amalgame entre le nord, épargné, et le
sud de la Bretagne. Le second souci concerne la clientèle de passage et de premier
séjour. Elle manque elle aussi à l'appel. Quel est donc le profil du client venu sur le
littoral atlantique au printemps ? Essentiellement une clientèle régionale et
d'habitués. Les propriétaires de résidences secondaires sont bel et bien présents.
"Ils forment notre fonds de commerce mais ils ne suffisent pas", remarque
Jean-Marc Edet. Quoi qu'il en soit, le touriste venu au printemps sur le littoral semble
assurément inquiet et avide d'information notamment en termes de qualité concernant la
restauration.
Quid de cet été ?
Aujourd'hui, le constat est clair, l'avant saison est mauvaise. Reste une question
capitale : quid de cet été ? Face à cette interrogation, les avis divergent et les
morbihannais semblent plus sereins que leurs confrères ligériens, travaillant
traditionnellement avec une clientèle familiale de plage. Sur Belle-Ile, Paul Meunier
l'avoue sans ambages : "Je suis avant tout réaliste. Je refuse le catastrophisme
et le pessimisme. Pour cet été, nous allons voir. A Belle-Ile, il n'y a pas que des
plages ! Les gens viennent pour se balader... il y a plein de choses à faire",
à l'image de la route des artisans lancée cette année. "Les commerçants sont
dynamiques et créent d'autres centres d'intérêt. De mi-juillet à fin août, cela
devrait bien se passer, c'est un fait acquis", témoigne Marie-Christine Duron de
l'office de tourisme. A l'heure actuelle, Jacqueline Trarieux n'enregistre qu'une seule
réservation pour août. Constat semblable un peu partout, comme à La Baule. Au
Pouliguen, Jean-Marc Edet évalue pour cet été une baisse d'activité de l'ordre de 20
à 30 %, "sans compter le déficit d'image. Il nous faudra 4 à 5 ans pour
retrouver une belle image de marque." La même prudence se retrouve chez le
directeur du CDT (56). Anne Coutière, directrice de l'Observatoire régional du tourisme,
estime que "tout le monde n'a pas encore décidé de ses vacances pour cet été,
environ un cinquième des Français. Des rattrapages se font, mais ils ne combleront pas
les chiffres de l'année dernière. Tout dépend également des structures. Ceux qui
travaillent généralement avec des habitués pourront s'en sortir. Le déficit risque
d'être considérable pour ceux qui accueillent du passage ou du premier séjour".
Face à ces incertitudes, les hôteliers-restaurateurs rivalisent d'honnêteté et de
professionnalisme. Tous le disent clairement, il faut jouer la transparence. Mentir aux
clients serait désastreux et ce pour des années ! "Nous devons par ailleurs
accentuer la qualité de notre accueil, de notre rapport qualité-prix, etc. selon
Jean-Marc Edet. Informer les gens également sur la qualité des fruits de mer, des
poissons..." Mais même si l'on a entendu quelques initiatives en ce sens ici ou
là, beaucoup refusent de brader. "Pourquoi faire ? Suis-je responsable ? Brader
parce qu'avant nous vendions trop cher ? Certainement pas !"
Les questions sans réponses s'accumulent. Il en reste une autre de taille. Avec tout ce
que l'on a entendu sur cette histoire, comment croire ceux qui nous disent que le pompage
dans l'épave, échouée à 80 km à l'ouest de Belle-Ile, des 12 000 tonnes de fioul qui
a débuté le 5 juin, se fera en toute sécurité ?
O. Marie
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L'HÔTELLERIE n° 2669 Hebdo 8 Juin 2000