Restauration fluviale
Cantonnée à un registre de restauration spectacle guindée, la restauration des cours d'eau adopte depuis une petite dizaine d'années une forme plus bigarrée. Mais si les formules évoluent, les contraintes liées à cette forme particulière de restauration demeurent.
La Société
des Bateaux Parisiens représente plus de 40 % du marché du tourisme fluvial à Paris.
L'eau a toujours été un cadre idéal pour le développement d'activités touristiques. Océans, mers, fleuves, rivières et canaux, symboles puissants de liberté, ont généralement bonne presse et sont fréquemment sollicités pour mettre en valeur des manifestations ou occupations de toutes sortes. Dans ce sens, l'association de l'eau et de la restauration n'a rien d'incongru et coule même de source : les établissements situés au bord de l'eau ne manquent pas. Plus atypiques sont les péniches ou les bateaux de plaisance aménagés en restaurant qui permettent de s'aventurer au-dessus des flots. Les uns sont à quai et y demeurent le temps du repas ou du spectacle ; les autres, en vous transportant, offrent le bénéfice d'un décor mouvant.
Lieu insolite pour repas d'exception
En plein cur de la ville, le fleuve offre souvent un cadre de choix pour une
restauration gastronomique et haut de gamme. D'une manière générale, les péniches
transformées en espace de restauration attirent une clientèle dans le cadre
d'événements extraordinaires. Mariages, baptêmes, soirées d'entreprises, séminaires,
colloques ont la faveur de ces sites aquatiques. Au quotidien, ce sont les touristes qui
forment le gros de la clientèle. A noter que les croisières gourmandes sont
généralement associées à des spectacles ou des animations ambitieuses (orchestres,
prestidigitation, etc.). Le prix du repas est rarement inférieur à
200 francs et peut atteindre facilement 500 francs par personne. Deux grosses entreprises
se partagent la Seine et sont à l'origine de la plupart des croisières de luxe de la
capitale : les Bateaux Mouches, et les Bateaux Parisiens filiale de Sodexho. Installée
depuis 40 ans au pied de la tour Eiffel, la Société des Bateaux Parisiens représente
plus de 40 % du marché du tourisme fluvial à Paris. Elle emploie de 160 à 220
collaborateurs en saison pour une flotte de 9 bateaux, dont 4 restaurants et certains de
ses bateaux peuvent accueillir jusqu'à 500 personnes. Les Bateaux Mouches réunissent
environ 200 salariés sur 5 bâtiments. Dans ces entreprises, la restauration est loin
d'être un art improvisé : les cuisines des Bateaux Mouches comptent jusqu'à 30
cuisiniers et pâtissiers travaillant des produits frais dans le respect des traditions
culinaires, soulignent-ils. Dans la lignée des deux géants, le Métamorphosis,
établissement indépendant, propose un dîner-spectacle (le théâtre de magie de Paris)
au prix de 320 francs par personne. A la différence près que le bateau est à quai et
qu'il n'accueille pas tout à fait la même clientèle que ses confrères. "Nous
avons peu de touristes. Nous accueillons essentiellement les sociétés, dans le cadre de
séminaires ou de soirées de récompenses, et des groupes pour un événement
particulier", précise Stéphanie Blanchot, assistante de direction au
Métamorphosis.
Une nouvelle forme de restauration fluviale
Depuis une dizaine d'années, on assiste au développement de bateaux indépendants à la
mise en scène moins ambitieuse. "Les premières années ont été difficiles
mais, heureusement, les quais ont rencontré un véritable engouement il y a 2 ou 3 ans.
Et chaque année ils sont un peu plus fréquentés", explique Nadia Fontannaud,
gérante du Six Huit, situé quai Malaquai à Paris. Comme les restaurants au bord de
l'eau, la restauration fluviale a le vent en poupe et ouvre la porte à de nouveaux
talents. A Rennes, La Movida, péniche et bar à tapas, s'est amarrée sur la Vilaine au
début de l'année 1998 et propose des formules de 45 à 65 F le midi. A Paris, la Balle
au Bond sert des repas à la bonne franquette pour 150 F ; au Six Huit, on déjeune pour
100 F dans un décor retro. A Cahors, la famille Larguille propose une restauration
traditionnelle et des menus de 75 à 270 F dans son restaurant-péniche Au Fil des
Douceurs. Si l'aspect festif demeure, environnement oblige, l'ensemble de ces formules, à
l'apparence plus conviviale, a le mérite d'attirer une clientèle bigarrée.
"Nous accueillons des gens de tous horizons : des étudiants, des familles, des
hommes d'affaires comme des oiseaux de nuits", se réjouit le responsable d'un
des bateaux.
Des contraintes de taille
En attendant, si la plupart de ces nouveaux venus sont satisfaits du trafic qui résulte
de leur activité, ils préfèrent garder la tête froide et restent sur leur réserve
quand on parle de réussite ou de succès. "Nos débuts ont souvent été marqués
de passages à vide et surtout, quotidiennement, nous devons faire face à des contraintes
inhabituelles qui pourraient dérouter plus d'un restaurateur terrestre", indique
un responsable. Les contraintes sont d'abord climatiques. "Notre activité est
très liée au temps et aux saisons", explique Xavier Delaby, patron de la Balle
au Bond. Nombreux sont ceux qui ont choisi de fermer à la morte-saison. Au contraire, à
l'instar des Bateaux Parisiens, Philippe Larguille, patron d'Au Fil des Douceurs, a choisi
de rester ouvert toute l'année. "Toutefois, quand les eaux ont trop monté, et
c'est le cas une fois par an, nous sommes obligés de fermer", souligne-t-il. "Pendant
la tempête, il était impossible d'accéder au bateau. En plus, d'une manière
générale, on ne peut pas fonctionner quand le temps est à la pluie, car les gens ne
descendent pas sur les quais", renchérit Nadia Fontannaud. A cela s'ajoutent des
contraintes de localisation. Une péniche comme le Six Huit loue un emplacement au port
autonome de Paris qui la contraint de déménager 2 fois par an. "Difficile dans
ces conditions de se faire connaître et de fidéliser la clientèle", explique
la gérante. La sécurité et l'entretien sont également des priorités pour un
restaurant fluvial.
Surcoût d'entretien et contrôles
Une péniche est plus exigeante en matière d'entretien qu'un établissement classique car
elle s'abîme plus vite. Le Six Huit rend visite aux chantiers navals tous les 5 ans pour
une vérification de la coque. A noter aussi que la commission de sécurité intervient
tous les 2 ans. Des normes particulières doivent être respectées en ce qui concerne,
par exemple, les sorties de secours, l'utilisation du gaz, etc. Enfin, les contraintes
spatiales caractérisent le bateau-restaurant. Stéphanie Blanchot, du Métamorphosis,
regrette l'étroitesse du bâtiment : "4 mètres de large, c'est peu pour une
salle de spectacle." Pour les Bateaux Parisiens, la configuration des lieux n'est
pas un problème : "Nous avons conçu les bateaux dans l'optique d'en faire des
restaurants. Le résultat est à la hauteur de ce que l'on peut trouver sur la terre
ferme." En attendant, prendre son repas à bord d'un bâtiment flottant reste un
moment privilégié et unique. Et le restaurateur peut se réjouir de profiter d'un cadre
de travail exceptionnel et motivant. "Notre métier n'est pas facile tous les
jours, mais je n'échangerais à aucun prix mon bateau contre un restaurant en
pierre." Le jeu en vaut bien la chandelle.
A. V.
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L'HÔTELLERIE n° 2669 Supplément Economie 08 Juin 2000