Restauration d'hôtel
Les chaînes hôtelières ont le vent en poupe... sauf en restauration. Depuis plus de 15 ans, elles cherchent la recette de la formule à succès. Sans grand résultat pour la plupart d'entre elles. Face à elles, les chaînes de restaurants aspirent leurs clients.
Toutes les observations croisées confirment que pour réussir à faire
fonctionner correctement son restaurant d'hôtel, il faut scinder clairement les deux
entités : restaurant et hôtel.
A force de voir leur restauration stagner, c'est la soupe à la grimace que l'on commence à servir dans les chaînes hôtelières intégrées. Alors que leurs taux d'occupation et que leurs prix moyens chambre crèvent les plafonds depuis la sortie de la dernière crise hôtelière, la plupart des réseaux ne parviennent toujours pas à dynamiser leur restauration. Ainsi, en 1999, si le volume d'affaires des chaînes, en hébergement, a globalement gonflé de 8 % par rapport à 1998, celui de leur restauration n'a gagné que 1,5 %. C'est déjà ça, car l'année précédente on a assisté à une amélioration des ventes de 1,4 % et en 1997, l'évolution a été négative de 1,3 %. En résumé, depuis ces sept dernières années, la courbe de croissance du chiffre d'affaires de la restauration des chaînes a grosso modo suivi l'inflation. Sans plus.
Les autres font mieux
Ceci n'empêche pas quelques réseaux d'obtenir de bons scores de trafic de clientèle,
comme chez Campanile qui apparaît comme le chef de file en matière de restauration
hôtelière. Mais la majorité des enseignes ne progressent pas dans l'ensemble en volume
de repas servis. D'autres perdent même des couverts. Il y a de quoi être déçu et
surpris, car les hôteliers, en louant plus de chambres, n'ont pas réussi à servir plus
de dîners. Il est encore plus décourageant pour eux de voir que les restaurateurs
indépendants, du baromètre L'Hôtellerie/Coach Omnium, ont parallèlement vu en
1999 une hausse de presque 8 % de leurs recettes, et que celles des chaînes de
restaurants ont explosé de 7,8 %, selon l'étude annuelle parue dans La Revue.
Enfin, même les hôteliers des chaînes volontaires ont vu leur restauration augmenter de
4 à 9 % sur cette même période, selon les réseaux. Heureusement pour les chaînes
intégrées, près de 45 % de leurs hôtels ne disposent pas de restaurant,
essentiellement sur les créneaux économiques. Parmi les autres, bien des propriétaires
d'hôtels voudraient ne pas en posséder. Mais ils sont souvent bloqués par les normes de
l'enseigne qui imposent la présence d'un restaurant. Ou encore, l'isolement géographique
des hôtels hors du centre-ville les oblige généralement à servir des repas. "A
force de se dire que la restauration est un mal nécessaire, bien des hôteliers sont
persuadés que cette prestation est une fatalité et qu'elle est impossible à
rentabiliser. Ils se découragent devant l'ampleur de la tâche pour attirer le chaland et
se contentent de servir 30 à 45 couverts par jour", lance Jérôme Bercier,
franchisé d'une chaîne.
Les clients veulent sortir
Les résultats d'activité se mettent en conformité avec ce que disent les voyageurs. 39
% des clients d'hôtels interrogés par Coach Omnium avouent éviter le plus souvent
possible de prendre leurs repas dans l'hôtel où ils séjournent. "Il faut
vraiment que le temps soit détestable ou que je sois très fatigué pour accepter de
dîner sur place. Sinon, je fais tout pour sortir de l'hôtel. Les restaurants d'hôtels
dans les chaînes sont généralement froids et impersonnels. Cela vient des clients
aussi. J'aime retrouver une cuisine du cru en ville", témoigne Gilles de Crees,
technico-commercial pour une société d'automobiles. "En tant que femme, je ne
dîne jamais dans le restaurant d'un hôtel. Je me fais servir le plus souvent dans ma
chambre. Voir tous ces hommes seuls me rend mal à l'aise", explique à son tour
Fabienne, ingénieur chez Danone. L'image des restaurants d'hôtels, profondément ancrée
dans les consciences collectives, veut que la table d'un hôtel soit médiocre. Mais c'est
en général le mélange des genres qui crée le malaise, alors que l'on aime se tourner
de plus en plus vers des spécialistes. "La clientèle aime être accueillie dans
une ambiance de restaurant pour prendre ses repas, pas dans celle d'un hôtel",
soutient Alain Morise, directeur de la restauration du groupe Choice Europe. Chacun
s'accorde à dire que restaurateur et hôtelier sont des métiers trop différents pour
pouvoir allier correctement les deux disciplines. Si la mauvaise image de la restauration
d'hôtel vient en premier dans les discours pour justifier l'absence de clients tant au
déjeuner qu'au dîner, cette excuse est de plus en plus contestée. "Quand on met
en place la bonne formule et que les hommes se sont appropriés le concept, il est prouvé
que la restauration peut décoller", confirme Nathalie Hakimian, chef de produit
des hôtels Mercure, qui prend en exemple le Relais Mercure de Paris-Bercy où la formule
bistrot, qui vient d'être lancée, ferait déjà un malheur.
La concurrence des chaînes de restaurants
Les restaurants des chaînes hôtelières souffrent d'autres maux qui représentent bien
souvent, et depuis longtemps, des problèmes sans solutions. Parmi les causes,
l'avènement des grandes chaînes de restaurants thématiques new-look a donné, il faut
bien le dire, un brutal coup de vieux aux restaurants d'hôtels dans les périphéries de
villes. "Dans le paysage souvent gris et triste des zones d'activité, l'arrivée
d'un Buffalo Grill, d'un Côte à Côte, d'un La Criée, d'un Léon de Bruxelles, ou plus
récemment d'un Hippopotamus, tous avec des couleurs chatoyantes et attractives, a gommé
entièrement la présence des restaurants d'hôtels aux allures monotones",
analyse un observateur. Mais ce prétexte a parfois bon dos. "Certaines de nos
unités performantes, une fois l'effet de curiosité passé après l'arrivée d'un Buffalo
Grill dans leur environnement, se relancent de plus belle parce que la clientèle aime la
diversité", défend Alain Morise. Le développement remarquable des chaînes de
restaurants thématiques, et l'efficacité de leurs formules, ont fait bien des envieux
chez les hôteliers des chaînes hôtelières intégrées. Cela a également révélé la
panne d'idées qui sévit chez les hôteliers. Depuis la restauration servie du petit
matin à minuit chez Novotel, ou les buffets pantagruéliques chez Climat de France ou
Campanile, il y a eu peu de nouveaux concepts lancés magistralement sur le marché par
les chaînes hôtelières durant ces dernières années. Leurs concurrents des chaînes de
restaurants ont été autrement plus créatifs. Bien sûr, il y a L'Estaminet chez Ibis,
ou d'autres concepts ailleurs, généralement peu nombreux. Mais, la plupart des nouveaux
produits n'ont pas eu le succès qu'ils méritaient ou le retour sur investissement
espéré. "Dans beaucoup de nouvelles formules, on s'appuie juste sur des
changements de noms, de plats sur la carte et le rajout de rideaux aux fenêtres. De
l'esthétisme en somme, par défaut", ironise, la dent dure, Pierre Beauregard,
qui s'occupe d'ingénierie hôtelière.
Question de stratégie
Parmi les reproches adressés aux restaurants d'hôtels, on trouve le plus fréquemment le
manque de simplicité, même dans des enseignes 2 étoiles. "Nous avons du mal à
faire comprendre à nos chefs de cuisine que les clients ne viennent pas dans nos
établissements, ni aux déjeuners, ni aux dîners, pour déguster des noix de
saint-jacques ou pour voir flamber des crêpes Suzette. Ils veulent une cuisine abordable,
pas compliquée et sans fioriture", explique un responsable de chaîne d'hôtels.
Les directeurs d'hôtels semblent également mal à l'aise avec leur restaurant quand il
s'agit de jouer sur les différences de clientèles. "Si mon équipe sait bien
traiter les clients que nous hébergeons, nous avons plus de mal à nous occuper du
développement des déjeuners, en nous faisant connaître auprès des entreprises locales
et surtout en fidélisant ces personnes qui travaillent à côté de chez nous",
avoue un exploitant de chez Novotel. On entre là aussi dans une pure préoccupation
marketing. "Mon message est simple et s'adresse aux directeurs d'hôtels :
choisissez votre stratégie. Selon votre emplacement, allez-vous faire une restauration
intérieure ou une restauration ouverte sur l'extérieur de votre hôtel ?",
prévient Robert Charmasson, directeur de la restauration de la branche affaires et
loisirs du groupe Accor. Quoi qu'il en soit, toutes les observations croisées confirment
que pour réussir à faire fonctionner correctement son restaurant d'hôtel, même quand
il se rattache à une chaîne très connue, il faut scinder clairement les deux entités :
restaurant et hôtel. Mais, la césure physique, quand elle est possible, ne semble pas
suffire. Cela suppose avoir un décor distinct, un nom différent de celui de l'hôtel,
une entrée à part, une architecture extérieure et une devanture attractives et
visibles, une équipe autonome par rapport à l'hôtel, bref, un restaurant d'hôtel qui
marche est un restaurant totalement détaché de l'hôtel ! Et qui, bien sûr, s'ajuste
aux attentes du public. Bien des opérateurs se sont laissés convaincre que ce pari
pouvait être gagnant. Mais, ce qui a freiné sa mise en place au sein des chaînes est
souvent venu des exploitants eux-mêmes, ne pouvant se figurer diriger deux activités
autonomes au lieu d'une seule multiforme.
La difficulté de la centralisation
Que font les chefs de produit et les responsables de la restauration dans les sièges des
chaînes hôtelières ? "Nous travaillons, disent-ils en cur. Mais
nous sommes bien souvent pris par le quotidien (référencement de produits, rencontres de
fournisseurs, élaboration des cartes), ce qui nous fait manquer de recul." Quand
il existe une forte centralisation de la restauration dans un réseau, les exploitants, y
compris des filiales, n'en sont que rarement satisfaits. "La restauration, c'est
à nous de nous en occuper. Nous savons mieux que quiconque, au sein de l'état-major, ce
que veulent nos clients. Il faut arrêter de concevoir des cartes à distance comme des
technocrates", lance un franchisé de chaîne. Cette demande est légitime mais
dans les faits, il n'y a pas toujours de moins bons résultats d'activité dans la
restauration des chaînes centralisatrices que dans celles des autres. "Je dis
toujours qu'un concept, c'est comme une partition. La musique est écrite, mais ensuite
chacun l'interprète à sa manière", lance Alain Morise. Avant de réussir à
vendre près de 500 000 cols par an de Grands Vins Mercure, il aura fallu des années à
la chaîne pour convaincre ses exploitants que ce genre d'opération de réseau n'allait
pas forcément leur nuire localement. Du coup, c'est parfois le blues du côté des
sièges des groupes hôteliers. Ils ont beau étudier les formules qui marchent chez les
concurrents, ils tardent pourtant à trouver la bonne clef pour combler leurs hôteliers
et les consommateurs.
L'appel au cobranding
Une des solutions, qui est de plus en plus fréquemment imaginée par les chaînes
hôtelières, est de réaliser des implants avec des enseignes de chaînes de restaurants
à succès. C'est le cobranding, comme installer un Courtepaille au rez-de-chaussée d'un
Ibis, ou encore un Côte à Côte au pied d'un Clarine. En Grande-Bretagne, la Sodexho a
des accords de gestion de restaurants dans des hôtels du groupe Choice et, aux
Etats-Unis, cette approche est devenue monnaie courante. Mais là aussi, la greffe ne
prend pas toujours. Il semble y avoir de trop grandes différences culturelles entre
hôteliers et restaurateurs. Ces derniers sont généralement mal à l'aise pour traiter
la clientèle hébergée entre le petit-déjeuner, les séminaires et les groupes. Et les
locaux mis à leur disposition ne sont pas toujours adaptés à une restauration
concédée in-door. Les chaînes hôtelières ne sont pas habituées à baisser les
bras. Elles continuent donc à chercher la solution pour toucher plus de clients dans
leurs restaurants et pour améliorer la rentabilité dans leur restauration. La réduction
du temps du travail ne va pas arranger les choses. Mais pour toutes, cela demande
probablement une refonte totale de leurs méthodes et de leur concept actuel, et
peut-être une remise en cause des hommes. Car, si les décors, les cartes et les prix
comptent, tous les restaurateurs savent que ce sont les hommes qui font la différence et
qui sont à l'origine ou non du succès commercial.
M. W.
Evolution des recettes de la
restauration commerciale en 1999 par rapport à 1998 Chaînes
hôtelières intégrées + 1,5 % |
l'avènement des grandes chaînes de restaurants thématiques new-look a donné, il faut
bien le dire, un brutal coup de vieux aux restaurants d'hôtels dans les périphéries de
villes.
Campanile apparaît comme le chef de file en matière de restauration hôtelière.
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L'HÔTELLERIE n° 2669 Supplément Economie 08 Juin 2000