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A la loupe
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La tradition selon Bouvarel

Voilà plus d'un siècle que l'on vient chez Bouvarel. Autrefois, c'était en patache, puis par le train, et maintenant en voiture. Cinq générations de Bouvarel s'y sont déjà succédé, en attendant que la prochaine assure la relève avec le petit-fils Romain.

 

Quant au personnel, il y est aussi solidement ancré, au point de sembler faire partie de la famille. Ainsi, la vraie fierté du chef, Richard Ferrand, entré dans la maison comme apprenti, il y a trente-cinq ans, c'est d'avoir reçu - des mains du regretté Jacques Pic - la médaille du travail. Tout comme Renée Monnet, chef de rang, également décorée après trois décennies et demie de bons et loyaux services. Aux confins de l'Isère et de la Drôme, Bouvarel est un ancien relais de poste ombragé de tilleuls, de platanes et de marronniers. Ici on sait vivre, savourer chaque instant et attendre le suivant sans s'agiter. Les cuisines ouvrent sur le jardin. En face, une petite gare.

Un café dans la corbeille
"Autrefois, les pataches descendant du Vercors, amenaient les voyageurs à la gare", raconte Lucette Bouvarel. Les battements entre les correspondances étaient à l'époque interminables. C'est donc à l'intérieur de l'établissement que les passagers se rassemblaient pour attendre leur train. Tout a commencé en 1882 quand Romain Bouvarel, qui possédait des noyers, trouva dans sa corbeille de mariage un café à l'enseigne de La Cagnas. "La Cagnas était le nom du lieu-dit", précise Lucette Bouvarel. Il n'y avait alors qu'un modeste bâtiment abritant six chambres sans confort. Peu après et une petite gare fut construite. Du coup, Romain Bouvarel rebaptisa son établissement Café de la Gare. "Le grand-père en a profité aussi pour agrandir le café-restaurant, avec les sous des noyers, ajoute Mme Bouvarel. Mais ce n'était pas encore le luxe. Il a fallu attendre la première étoile au Michelin pour installer le chauffage central. On n'avait pas non plus de réfrigérateur, mais des glacières. Le grand-père devait prendre le train pour aller chercher son pain de glace à Romans." Comment faisait-on pour les provisions ? "Les légumes, on les achetait dans le voisinage." Le grand virage fut pris quand Laurent, le fils de Romain, prit la suite.
Il ne cuisinait pas, mais il eut la chance d'épouser une maîtresse femme. Marie-Louise se révéla comme une cuisinière hors pair.
"Elle travaillait uniquement les produits du jour, avec ce qu'elle avait sous la main, car il n'y avait pas de menu, poursuit Lucette. Elle attendait la commande du client avant de tuer le poulet et de le plumer. Sa grande spécialité était le poulet au sang." Le client ne s'impatientait donc pas ? "Il n'était pas pressé comme maintenant ! Il commençait par prendre tranquillement l'apéritif en croquant une saucisse à l'huile. Il faisait aussi une partie de boules avec le patron." Laurent Bouvarel allait souvent à la pêche d'où il ramenait des truites superbes que Marie-Louise cuisinait à la Belle Meunière. Il rapportait aussi des écrevisses que l'on apprêtait avec du poulet, un plat fameux, dont on parlait jusqu'à Grenoble, Lyon et Paris. Songez que Bouvarel était déjà dans le Guide Rouge en 1934. Et l'on y mangeait pour 8 francs.

Les années passent...
René Bouvarel, le fils de Laurent et de Marie-Louise, prend la suite en 1947. L'année suivante, il épouse Lucette, une jeune Drômoise qui s'est illustrée dans la Résistance. Avec eux, le restaurant grimpera au zénith : 2 étoiles au Guide Rouge. René est un autodidacte qui a tout appris en regardant faire sa mère. C'est aussi un créateur. Son Turbot braisé au vin de Champagne et son Lièvre à la broche deviennent célèbres ; pour les déguster, des vedettes du théâtre et du cinéma, des personnalités politiques de tous bords accourent, parfois de fort loin. En 1952, arrive la première étoile au Guide Rouge, suivie de la seconde en 1973. Cinq ans plus tard, René Bouvarel disparaît brutalement. Lucette reprend les rênes avec courage, et décide de maintenir le cap sur la gastronomie goûteuse et conviviale. Elle va s'appuyer sur le chef de cuisine Richard Ferrand, qui saura rester dans la grande tradition tout en sachant évoluer. C'est lui qui créera les Ravioles crémées aux truffes confectionnées sur place par deux "ravioleuses", un plat qui deviendra célèbre dans tout le Sud-Est de la France. En fait, l'établissement ne va guère changer. Le décor restera celui de ces auberges de campagnes cossues et chaleureuses, inspiré des films des années 40 et 50. Les boiseries des murs, le bar en bois massif et la cheminée sont toujours là. Les assiettes anciennes sont restées accrochées aux murs. "J'ai juste changé les tissus rouge cerise", dit Lucette. Les habitués continuent à l'appeler Lulu, comme il y a trois ou quatre décennies. Michel Galabru est l'un de ces inconditionnels. C'est lui qui a troussé ce joli compliment sur le Livre d'or de la maison : "Madame Bouvarel a bien de la chance de manger tous les jours chez elle."
V. Franco

En dates
1882 Acquisition du café "La Cagnas" par Romain Bouvarol
1934
Première appariation au Guide Rouge

1947
René et Lucette Bouvarel reprennent la suite des parents
1952
Première étoile au Guide Rouge

1973
Seconde étoile au Guide Rouge


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L'HÔTELLERIE n° 2676 Hebdo 27 Juillet 2000


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