o
Métier
_______
Loi Aubry
Les heures s'égrènent : 43, 39, 35 heures... Aucun accord de branche, ni même de décret d'application, n'a encore vu le jour dans l'industrie hôtelière française. En attendant, bon nombre de professionnels ont choisi de se lancer seuls dans l'aventure de la réduction du temps de travail.
Claire Cosson
Remettre les pendules à
l'heure ? Voilà une intervention qui semble véritablement relever de l'exploit technique
dans les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration. Au vu de l'attitude adoptée par
la majorité des syndicats patronaux et de salariés, on en viendrait même à croire que
la gestion du temps n'a finalement jamais fait partie des préoccupations du monde de
l'industrie hôtelière française. Un comportement qui s'avère plutôt surprenant !
Surtout quand on sait que l'ingrédient "temps" constitue, d'habitude, l'un des
facteurs clefs dans ce type d'activité. A commencer par celui, à la minute près,
alloué à la confection d'un plat...
Les faits sont pourtant bel et bien là. Depuis le 1er janvier dernier, la loi, initiée
par Martine Aubry, impose le passage aux 35 heures pour tous les établissements
comprenant 20 salariés et plus. Pourtant, le "pendule" de l'hôtellerie et de
la restauration, lui, ne parvient toujours pas à trouver "l'heure exacte". 43
heures, 39 heures, 35 heures... les aiguilles s'affolent, mais ne réussissent pas à se
fixer sur le bon "fuseau horaire". Pourquoi ?
Plusieurs entreprises des CHR - celles de moins de 10 salariés notamment -, ne
réussissant pas à mettre en place la réduction du temps de travail imposée par la
convention collective du secteur, considèrent, aujourd'hui encore, ne pas être
concernées par la réduction du temps de travail pendant que les syndicats de salariés
revendiquent, parallèlement, la réintégration des CHR dans le droit commun.
"Trop longtemps que ça dure"
Résultat : la situation s'enlise. L'amendement, réclamant l'exclusion des
cafés-hôtels-restaurants du champ d'application de la loi Aubry, a été rejeté au
Parlement au moment du vote de la loi, et les partenaires sociaux ont ouvert des
négociations, non sans mal. Négociations qui semblent, elles aussi, avoir perdu toute
notion de temps. "Certains gros opérateurs hôteliers veulent effectivement
obtenir un décret dérogatoire à 39 heures. Pour se faire, ils ont tout intérêt à
faire traîner les choses", indique Johanny Ramos, secrétaire national à la
Fédération des services de la CFDT. "Le mutisme de certains syndicats dure,
maintenant, depuis beaucoup trop longtemps", souligne un hôtelier indépendant
qui souhaite garder l'anonymat. Et de poursuivre : "Ne pas avoir d'accord de
branche concernant la réduction du temps de travail finit par représenter un gros
handicap. A terme, cela pourrait même devenir néfaste pour notre secteur d'activité."
De fait, les entreprises qui cherchent actuellement à améliorer les conditions de
travail de leurs salariés en recourant à la RTT, paraissent se heurter à d'importantes
difficultés. "D'autant plus fortes d'ailleurs qu'aucun décret d'application n'a
encore été publié concernant les CHR", rappelle Marc Desprat, conseil
d'entreprise en organisation, marketing et communication. En témoigne le cas de l'Hôtel
du Faucigny, 2 étoiles, 42 chambres, à Scionzier-Cluses en Haute-Savoie. "C'est
incroy-
able, mais pourtant vrai ! J'avais un projet d'annualisation du temps de travail à 39
heures. Je devais créer 10,9 % d'emplois (soit 1,3 poste). Je garantissais à tous
mes employés un week-end sur trois...", énumère tristement Bernard Port,
patron de l'établissement.
Et d'ajouter : "Ce plan ne peut, hélas, pas voir le jour à l'heure actuelle."
Pour quelle raison ? "Les allégements de charges sociales et l'aide incitative
prévus par les lois Aubry ne peuvent être accordés qu'aux entreprises qui réduisent
leur durée de temps de travail à 35 heures", a répondu le ministère de
l'Emploi et de la Solidarité à Bernard Port. Tout en lui précisant, "en
l'occurrence, l'hôtellerie, qui applique une équivalence hebdomadaire de 4 heures (43/39
heures) n'a pas, à ce jour, fait l'objet de texte particulier. En conséquence, si vous
réduisez votre temps de travail de 43 à 39 heures hebdomadaires, vous ne pouvez pas
prétendre aux aides. Toutefois, je vous invite à vous rapprocher de votre organisation
patronale, sachant que la bran-
che professionnelle négocie actuellement un accord sur la réduction du temps de travail".
"Nous sommes donc complètement coincés. C'est inadmissible ! Mes employés, en
colère, ont du reste décidé d'écrire un courrier à l'attention de Martine Aubry",
précise Bernard Port. L'Hôtel du Faucigny n'est évidemment pas le seul établissement
à rencontrer ce type de problème. "Depuis mars 2000, la quasi totalité de nos
interventions dans les domaines de l'hôtellerie et de la restauration est bloquée",
confie Marc Desprat, conseil en entreprise. L'absence d'accord de branche, associée à
l'attente d'un hypothétique décret, empêche en effet les professionnels du secteur de
bénéficier des allégements de charges auxquels ils devraient avoir normalement droit.
Réorganisation du travail
"Il est inutile dans ces conditions, trop pénalisantes pour les employeurs, de
réaliser un travail d'appui-conseil. Si un accord de branche avait préalablement été
accepté sur la base d'un passage de 43 à 39 heures, cela aurait en revan-
che facilité les choses", estime Marc Desprat. D'autant que sur une vingtaine
d'entreprises auditées par ses soins, un réaménagement du temps de travail a toujours
été possible. "A 43 heures officielles, je n'y arrive pas ! Alors à 39 ou 35
heures, comment vais-je faire ?, se disent fréquemment les hôteliers et autres
restaurateurs. Après un audit portant sur l'organisation de l'entreprise, son
fonctionnement (horaire, saisonnalité, typologie clientèle...), sa masse
salariale (répartition), suivi d'un entretien avec les salariés, on débouche
pourtant souvent sur une réorganisation positive", rapporte l'appui-conseil.
Suite à une mission menée auprès d'un hôtel sous-traitant le nettoyage des chambres,
Marc Desprat est ainsi parvenu à démontrer à l'employeur qu'avec les nouvelles
dispositions de RTT, embaucher trois femmes de chambre lui serait plus profitable.
L'hôtel Le Grand Jardin, à Gréoux-les-Bains (04), a lui aussi franchi le pas avec
succès, créant par la même occasion 3 CDI et 1 CDD. "Depuis le 1er janvier
2000, je suis passé à 38,7 heures par semaine avec deux jours de congé consécutifs",
témoigne Alain Vidal, propriétaire de cet établissement saisonnier (sur 9 mois), 2
étoiles. "Je reconnais que je suis privilégié du fait de la taille de mon
établissement qui comprend 85 chambres et un restaurant. Reste que l'audit a bel et bien
permis de mettre en évidence certains dysfonctionnements liés à notre organisation
interne", complète l'hôtelier concerné.
La liberté de travailler
A commencer par des horaires qui se chevauchaient, notamment entre le restaurant et la
réception. Ou bien encore, les cuisiniers qui s'attendaient, le soir, à rentrer chez eux
lorsqu'ils avaient fini leurs tâches. "On a fait la chasse au gaspi ! Chacun part
quand son travail est achevé. Ca en étonne encore plus d'un", plaisante le
patron de l'hôtel Le Grand Jardin.
Au Grand Hôtel Saint-Pierre, en plein cur de l'Auvergne (Aurillac), ainsi qu'aux
Provinciales (Arpajon), les collaborateurs de Jean Lavergne profitent eux aussi des 39
heures. "Qu'on le veuille ou non, cette loi est irréversible. J'ai donc jugé
qu'il était plus opportun d'anticiper sur d'hypothétiques reports de dates d'application
et d'utiliser au mieux les aides prévues. Mon objectif étant que l'entreprise souffre le
moins possible de la mise en place de la RTT", argumente le patron de
l'établissement, dont la démarche a abouti à la création de 2,5 postes sur son unité
principale. Président d'Inter Hôtel, Jean Lavergne est d'ailleurs intervenu fortement
dans la signature d'un accord de 35 heures au sein de la chaîne volontaire. Tout comme à
l'office de tourisme d'Aurillac dont il assure la présidence. Mieux encore ! Il a mis en
place un système Inter Hôtel avec l'aide de deux consultants à l'attention de ses
adhérents.
"Je crois que c'est une erreur monumentale d'imposer des choses aux individus.
D'autant plus que la première des libertés est finalement de travailler ! Cependant, la
loi Aubry peut être une opportunité intéressante pour remettre notre secteur au goût
du jour", surenchérit Jean Lavergne. Une bonne vingtaine d'hôtels, membres du
groupement, ont été convaincus par leur président. Ces derniers ayant, à leur tour,
pris la décision de se remettre en cause en matière d'organisation du temps de travail.
Tout comme d'autres unités telles que le Pont Saint-Etienne, restaurant passé à 35
heures grâce à une annualisation du temps de travail, l'individualisation des horaires
et l'organisation du travail des apprentis (contrat en alternance de 35 heures). Ou bien
encore l'Hôtel de France, installé à Abbeville dans la Somme.
Maintenir le savoir-faire
Une démarche qui a fait également son chemin dans l'industrie hôtelière haut de gamme
indépendante, tandis que les chaînes intégrées se font, elles, sévèrement tirer
l'oreille (excepté le groupe Envergure qui a signé en juin dernier un accord de 35
heures). A commencer par Bernard Loiseau SA, qui a finalisé un accord de réduction du
temps de travail au sein de sa maison mère, La Côte d'Or, à Saulieu, et qui entame des
négociations pour ses unités parisiennes.
Idem à la Chèvre d'Or, dans le sud de la France, à Eze. La Côte Saint-Jacques à
Joigny n'est pas en reste non plus. "Nous avons conclu un accord de RTT en juin
1999", commente ainsi Jean-Michel Lorain. "Pour la simple et bonne raison
qu'il était opportun d'anticiper sur l'avenir ! Il nous fallait d'une part nous mettre en
règle avec la législation du travail, et d'autre part maintenir le savoir-faire de notre
établissement", ajoute le chef aux 3 étoiles qui, grâce à cette opération, a
embauché un pâtissier, un cuisinier, un veilleur de nuit, une réceptionniste et un
second voiturier.
La majorité des chefs d'entreprise, réalisant un accord de réduction du temps de
travail dans l'industrie hôtelière, affirme en effet être motivée par la conservation
du savoir-faire au sein de leurs établissements.
Pénurie de main-d'uvre
Ce qui signifie, en lisant clairement entre les lignes, que chacun veut recruter et
fidéliser les bons éléments. Et comment séduire ces oiseaux devenus rares ? En leur
offrant les meilleures conditions de travail possibles. "L'époque où l'on
bossait comme des bufs, entre 16 et 18 heures par jour, est bel et bien terminée.
De nos jours, il faut savoir donner pour recevoir ! Tout le monde n'en a hélas pas la
possibilité, notamment les très petites sociétés", lance William Frachot,
responsable de L'Hostellerie du Chapeau Rouge à Dijon, signataire d'un accord de Robien
(volet offensif) en 1998.
"Confrontés à une dure pénurie de main-d'uvre, les professionnels du
secteur sont de fait très opportunistes concernant l'aménagement et la réduction du
temps de travail", note le représentant de la CFDT qui a eu connaissance, à ce
jour, de 96 accords loi Aubry I (soit 1 831 emplois créés et 11 sauvés). Diminuer la
charge de travail apparaît pour beaucoup de patrons comme un moyen de revaloriser l'image
de marque de la profession. D'autant que, selon une étude de la direction de la
prévision du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, si la France avait le même
taux d'emploi que les Etats-Unis dans l'hôtellerie-restauration et le commerce, elle
souffrirait d'un déficit d'emplois de 2,8 millions. C'est dire qu'il y a encore fort à
entreprendre pour combler ce manque.
Le temps du client
Beaucoup d'autres raisons animent également les signatures d'accords de RTT dans la
profession. "La redistribution des tâches conduit à rééquilibrer les charges
de travail et, par là même, à recentrer les postes sur des compétences mieux définies",
souligne un hôtelier 2 étoiles. Autrement dit, il y a peut-être là de quoi revaloriser
les métiers tout en remontant le moral des troupes. "Les audits amènent en effet
à analyser le contenu et le sens du travail de chacun de nos collaborateurs",
avoue par ailleurs Vincent Gazal, patron de l'Hôtel Square à Aurillac.
Autant de remarques qui font preuve d'un nouvel état d'esprit et d'une prise de
conscience profonde chez certains professionnels quant à la réputation déplorable que
se trimbale l'industrie hôtelière auprès du grand public. Il n'empêche qu'à travers
ce mouvement général, le client n'en demeure pas moins au centre des préoccupations de
bon nombre d'hôtels et de restaurants. "A l'heure de la mondialisation et
d'Internet, il faut impérativement se mettre en phase avec le temps du client",
martèlent ainsi quelques-uns. "Comment pourrait-il en être autrement ! C'est lui
qui nous fait vivre", conclut William Frachot.
Les principales difficultés rencontrées dans la mise en place d'un accord de
réduction du temps de travail
* La démarche administrative
* La préservation de la marge
* Le maintien de la masse salariale à son niveau actuel
* Les problèmes culturels liés aux habitudes de certains métiers,
notamment en cuisine
* L'établissement des plannings horaires
* La redéfinition des postes (y compris la polyvalence)
|
|
|
L'hôtellerie de plein air passe aux 35 heures
Un bon bol "d'air", ça donne des idées ! La preuve. Alors que les
négociations piétinent dans le secteur des CHR, l'hôtellerie de plein air a, elle,
franchi le pas. Un accord sur le passage des 35 heures pour tous et l'abolition des heures
d'équivalence non rémunérées a été effectivement signé le 23 mai dernier. Une
première dans une branche d'activité qui concerne quelque 10 000 entreprises et près de
40 000 salariés. Reste que cette décision entre en application de manière progressive
suivant le type des entreprises concernées.
L'accord est ainsi applicable dès son entrée en vigueur pour les entreprises de 21
salariés et moins de 50. Pour ce qui est des sociétés comprenant plus de 50 salariés,
elles ont obligation de signer un accord collectif si l'entreprise n'a pas déjà conclu
un accord RTT. Enfin, pour ce qui est des entreprises de 20 salariés et moins, le
présent accord leur permet directement d'anticiper le passage aux 35 heures et de
bénéficier des aides de l'Etat, sans attendre le 1er janvier 2002. Mais celles qui
souhaitent entrer progressivement dans le processus de RTT peuvent le faire en 3 étapes
d'ici le 1er janvier 2002, en négociant obligatoirement un accord d'entreprise par voie
de mandatement.
A retenir
Le site Internet de l'Anac www.anact.fr propose
différentes informations sur les questions du temps de travail : outils pratiques, fiches
détaillées, études d'évaluation des accords...
Appui-conseil
Dans le cadre de la mise en place d'une réduction du temps de travail, les entreprises
peuvent bénéficier d'un aide au conseil, cofinancé par l'Etat et certaines régions,
via le recours à des consultants extérieurs. Le travail de ces derniers consiste en un
diagnostic et une aide à l'élaboration de solutions. Globalement, pour les entreprises
de moins de 500 salariés, l'Etat finance entièrement les 5 premiers jours d'étude.
Au-delà, la prise en charge s'élève à 70 % pour les entreprises de moins de 200
salariés et de 50 % pour les autres.
Vos commentaires : cliquez sur le Forum des Blogs des Experts
L'HÔTELLERIE n° 2683 Supplément Formation 14 Septembre 2000