Du côté des prud'hommes
Il est formellement interdit à l'employeur de procéder au licenciement d'un salarié pour des motifs tirés de sa vie privée. Ni la liaison entretenue par un directeur avec une de ses subordonnées, ni l'émission à titre personnel par un comptable de chèques sans provision, ni la consommation de drogue, ne peuvent pas, à elles seules, justifier l'engagement d'une procédure de licenciement. Ce principe supporte toutefois, une exception. Les faits relevant de la vie privée du salarié peuvent justifier son licenciement, dès lors qu'ils créent, ou sont susceptibles de créer, un trouble caractérisé au sein de l'entreprise. C'est ce que nous rappelle, dernièrement, le conseil de prud'hommes dans l'affaire qui nous intéresse.
(SNRLH)
Cette affaire s'est déroulée dans l'un de ces restaurants traditionnels de la
capitale, là où il fait bon goûter la cuisine de notre terroir, et plus
particulièrement celle de l'Auvergne, chère à bon nombre de professionnels de notre
branche d'activité. L'établissement est coquet, sympathique.
Il occupe une dizaine de salariés. L'un d'eux a été embauché, il y a de cela deux ans,
en qualité de chef de rang. Bon travailleur, il a été promu après une année aux
fonctions de maître d'hôtel adjoint. Il est, comme ses collègues de salle, payé au
pourcentage service. Sa rémunération mensuelle est de l'ordre de 12 000 F avec les
avantages en nature nourriture. Le salarié est satisfait de ses conditions d'emploi, la
société de ses prestations. Tout va donc pour le mieux, jusqu'à ce jour du mois de mars
1999. Ce jour-là, vers 19 heures, le salarié est interpellé sur son lieu de travail par
deux policiers. Il est fouillé, menotté et conduit au commissariat, sous les yeux de ses
collègues de travail. Trois jours passent, sans nouvelles du salarié. La direction du
restaurant lui adresse un courrier lui demandant de justifier de son absence ou de
reprendre son travail. En réponse, le salarié envoie un arrêt de travail pour raison
médicale, avant de se représenter au restaurant. Cependant, le salarié ne souhaite plus
travailler, en raison des difficultés qu'il pense rencontrer désormais à côtoyer ses
collègues. Il préfère donner sa démission. Mais, le même jour, il se ravise et
décide de reprendre ses fonctions. Toutefois, comme il l'avait prédit, cette reprise
d'activité n'est pas sans faire grincer des dents : celles de la direction, ainsi que
celles de ses collègues de travail surpris d'avoir à retravailler avec quelqu'un qui a
pu être conduit en dehors de l'établissement les menottes aux poignets. En fait, plus
aucune confiance ne semble désormais exister entre le salarié, sa direction et ses
collègues de travail. Aussi, la direction décide-t-elle d'engager une procédure de
licenciement, et de notifier au salarié une mise à pied à titre conservatoire, dans
l'attente de l'entretien préalable auquel il est convié.
Pendant cette procédure, la société apprend au demeurant un fait nouveau. Le
salarié a, il y a de cela quelques mois, consommé du cannabis dans les vestiaires du
restaurant. C'est un de ses collègues de travail qui vient de le dénoncer. Il se dit
prêt à en témoigner sur l'honneur, ce fait pouvant même avoir un lien avec son
arrestation.
Dans ces conditions et à la suite de l'entretien préalable pendant lequel le salarié
n'a su donner aucune explication quant aux faits qui lui sont reprochés, le restaurant
décide de procéder à son licenciement pour faute grave.
Par lettre recommandée, la direction adresse au salarié ses griefs :
* l'arrestation par la police, quelques jours auparavant, dans l'établissement au vu et
aux sus de ses collègues de travail,
* la consommation de cannabis sur le lieu de travail.
Quelques jours plus tard, le salarié vient prendre possession du solde de ses salaires et
congés payés, d'un certificat de travail et d'une attestation pour l'Assedic mais il
n'entend aucunement se satisfaire de cela.
Quelques jours après la notification de son licenciement, le salarié saisit le
conseil de prud'hommes de Paris afin d'obtenir la condamnation du restaurant à lui verser
:
* son salaire pendant la mise à pied à titre conservatoire,
* une indemnité compensatrice de préavis (deux mois en raison de son ancienneté),
* une indemnité légale de licenciement (1/10e du salaire mensuel brut par année
d'ancienneté),
* ainsi qu'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qu'il chiffre
à dix mois de salaire brut.
A l'occasion de l'audience de conciliation, en octobre 1999, aucune des parties n'entend
trouver de solution amiable au litige qui les oppose. Elles sont donc renvoyées devant le
bureau de jugement du conseil de prud'hommes qui, après avoir entendu les plaidoiries, a
rendu sa décision, en février 2000.
Les arguments du salarié Assisté de son avocat, le salarié
conteste vivement le licenciement pour faute grave dont il a fait l'objet. Il indique, en
premier lieu, ne pas avoir causé le moindre trouble dans l'entreprise à l'occasion de
son arrestation. Et pour cause. Cette arrestation est intervenue vers 19 heures, en dehors
des heures de service à la clientèle. Le service commençant vers 19 h 30-20 heures,
cette dernière n'en a donc pas eu connaissance et l'image du restaurant n'a pas souffert
de cette intervention inopinée des forces de police. En outre, à la suite de cette
arrestation, il n'a été gardé que quelques heures en garde-à-vue au commissariat. Cela
n'a donc pas pu avoir de conséquences, sur le bon fonctionnement du service.
Au final, le salarié de conclure que cette arrestation, tout à fait arbitraire, relève
de sa vie privée et est sans rapport avec sa vie professionnelle. Le salarié le dit,
c'est lui dans cette affaire qui est la victime.
Par suite, le salarié crie haut et fort ne jamais avoir consommé de cannabis, ni dans
l'entreprise, ni ailleurs. Quant au témoin, dont la société entend se prévaloir,
comment peut-il savoir que le salarié fumait du cannabis plaide son avocat ? Et de
poursuivre : "encore fallait-il qu'il ait essayé cette substance pour la
connaître..." A ce rythme, c'est l'ensemble du personnel qui est incriminé...
Pour le salarié, son licenciement est donc manifestement abusif. Eu égard aux
circonstances de ce dernier et à défaut d'avoir retrouvé un emploi depuis, il demande
la condamnation de son employeur à lui verser pas moins de dix mois de salaire, à titre
d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les arguments de l'employeur
En réplique, l'employeur ne l'entend, bien évidemment, pas ainsi. Pour lui, le salarié
a fait l'objet d'un licenciement pour faute grave rendu inévitable en raison des troubles
provoqués par l'arrestation de ce dernier sur le lieu de son travail, ainsi que de la
consommation, en ce même endroit, de produit illicite. Tout d'abord, la direction
rappelle que le salarié a effectivement fait l'objet d'une arrestation par les forces de
police sur son lieu de travail, devant ses collègues. La direction ne manque pas, à
cette occasion, de préciser les conditions de cette arrestation : "La fouille au
corps du salarié, le passage des menottes, et la reconduite aux portes de
l'établissement, encadré par les forces de l'ordre." La direction du restaurant
indique que l'ensemble du personnel de l'entreprise a été profondément choqué par
l'intervention des forces de l'ordre. Elle produit à cet égard, des attestations de
l'ensemble du personnel présent sur place, au moment des faits. Tous attestent avoir
été stupéfiés par cette arrestation, et avoir eu l'impression que les policiers
agissaient comme s'ils avaient à faire à quelqu'un de dangereux. Par suite, tous
attestent également d'un constat qui s'est imposé à eux : "L'obligation
d'assurer le service à la clientèle, quand bien même ils pouvaient être désorientés,
désemparés par la scène à laquelle ils avaient assisté."
Puis, à l'occasion de la procédure de licenciement dont le salarié avait ainsi fait
l'objet, un salarié était venu se confier et avait appris à la direction, un fait de la
plus grande gravité. Le salarié s'était permis à au moins une reprise, de consommer du
cannabis dans les vestiaires de l'entreprise, à la fin du service à la clientèle. Ce
témoin avait même rédigé une attestation sur l'honneur, reprenant l'ensemble des
dispositions du nouveau Code de procédure civile. Pour la direction du restaurant, sa
cause était entendue. L'arrestation du salarié dans la salle du restaurant, devant des
collègues de travail ébahis, la consommation de cannabis dans les vestiaires, exposant
l'entreprise à une fermeture administrative, rendaient impossible la poursuite de son
contrat de travail, et justifiait le licenciement pour faute grave du salarié.
Au terme de sa plaidoirie, la direction du restaurant demandait à ce que le salarié soit
débouté intégralement.
Après avoir ainsi entendu les plaidoiries des parties, le conseil de prud'hommes s'est
retiré pour délibérer et le jour même, il a rendu son jugement, déboutant le salarié
de l'ensemble de ses demandes. Pour le conseil de prud'hommes, il apparaît que
l'arrestation du salarié par des fonctionnaires de police, qui s'est déroulée au sein
de l'entreprise, a provoqué un trouble certain, confirmé par les attestations des
salariés.
Par suite, la consommation de drogue par le salarié sur son lieu de travail a fait
encourir au restaurant un risque inadmissible, celui d'une fermeture administrative en cas
de contrôle. Aussi, le conseil de prud'hommes juge-t-il, que si les faits reprochés au
salarié sont, il est vrai, intimement liés à sa vie privée, il n'en demeure pas moins
que ces faits ont, ou pouvaient avoir de graves conséquences préjudiciables pour
l'entreprise, justifiant le licenciement pour faute grave de l'intéressé. Autrement dit,
si la vie privée de chacun doit être respectée, encore faut-il que cette dernière ne
porte pas préjudice à l'entreprise qui l'emploie. A défaut, cette dernière pourra en
tirer argument et procéder au licenciement du salarié.
F. Trouet
Contrairement à la mise à pied disciplinaire, la mise à pied conservatoire n'est pas
une sanction mais une mesure provisoire, s'inscrivant dans le cadre de la procédure
disciplinaire.
Elle permet à l'employeur, lorsque le comportement fautif du salarié le justifie,
d'écarter ce dernier de l'entreprise pendant la durée de la procédure et jusqu'au
prononcé du licenciement (ou de la sanction retenue). Il s'agit, en fait, d'une mesure de
protection de l'entreprise.
La notification au salarié d'une mise à pied à titre conservatoire doit être
confirmée par écrit. Elle interrompt le délai de prescription des faits fautifs de deux
mois.
Attention, la mise à pied à titre conservatoire ne constitue pas un préalable
obligatoire à une décision de licenciement pour faute grave. Il peut y avoir
licenciement pour faute grave sans mise à pied à titre conservatoire du salarié pendant
la procédure.
Enfin, la sanction finalement retenue a une incidence sur la rémunération ou non de la
mise à pied à titre conservatoire. En cas de faute grave ou lourde, la mise à pied à
titre conservatoire ne donne pas lieu à rémunération. En revanche, si le licenciement
notifié n'est pas un licenciement pour faute grave ou même s'il s'agit d'une sanction
autre qu'un licenciement, la mise à pied à titre conservatoire doit finalement être
payée.
Pour sanctionner ou licencier un salarié, l'employeur dispose d'un délai de deux
mois. Ce délai commence à courir à compter du jour où il a connaissance du fait fautif
du salarié (l'employeur ou le supérieur hiérarchique direct). Il est à noter que ce
délai de prescription n'est pas suspendu par la maladie du salarié ou ses congés
payés.
Enfin, par engagement des poursuites disciplinaires, il convient d'entendre :
* pour les sanctions et licenciements supposant un entretien préalable :
la date de la convocation à l'entretien ou le jour de la notification de la mise à pied
à titre conservatoire,
* dans les autres cas où l'entretien n'est pas obligatoire, le jour de la notification de
la sanction en elle-même (le plus souvent, un avertissement).
Modèle de lettre de convocation à entretien préalable avec mise à pied à titre conservatoireCOMMENTAIRES Entreprise........................... A.............., le.................. Indiquer
la date de la remise Lettre recommandée avec A.R. ou Objet : convocation à un entretien préalable avec mise à pied à titre conservatoire
Cette mesure de mise à pied à titre conservatoire qui vous Entre la convocation
et l'entretien, il faut laisser Nous vous convoquons pour un entretien préalable que Au cours de cet entretien préalable, vous pouvez vous Vous pouvez consulter cette liste dans les locaux de : Veuillez agréer, M...................., l'expression de nos salutations distinguées. Signature |
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L'HÔTELLERIE n° 2691 Hebdo 09 Novembre 2000
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