Deux années au second marché
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Plus d'un an et demi après l'introduction de sa société en Bourse, Bernard Loiseau a démontré qu'il avait raison dans sa ténacité. Il a gagné tous ses paris face aux investisseurs. Il entame aujourd'hui un second chapitre de sa stratégie : informer les actionnaires qu'il est une bonne affaire financière et toucher une clientèle étrangère.
Bernard Loiseau est le seul cuisinier a avoir tenté la cotation en Bourse dans son secteur.
Bernard Loiseau, le perfectionniste, a fini avec le temps par se forger deux nouveaux métiers : homme de médias et homme d'affaires. Même s'il préfère à ces images celle de chef étoilé de Saulieu, amoureux "des saveurs simples et des produits vrais". Les enjeux parfois fous dans lesquels il s'est lancé depuis plus de deux ans lui ont donné les ailes de la réussite, alors qu'ils auraient pu l'assommer pour de bon. Car Bernard Loiseau pèse aujourd'hui aussi lourd, grâce à ses paris gagnés et à ses promesses tenues envers ceux qui ont investi dans sa société, que le chiffre d'affaires d'autres. Son premier pari réussi a été d'utiliser la Bourse, plutôt que d'emprunter, pour lever les fonds dont il avait impérativement besoin pour que sa maison, La Côte d'Or à Saulieu, devienne le bijou hôtelier auquel le restaurant Bernard Loiseau avait droit (et sa clientèle avec lui). Se faire prêter de l'argent n'était plus possible avec un endettement de 29 millions de francs en 1998. Non seulement les capitaux apportés par la Bourse ont permis de créer 33 chambres Relais & Châteaux de très haut standing et d'autres services à Saulieu, mais l'endettement de Bernard Loiseau SA a chuté dans un même temps de 30 %, entre l'exercice de 1998 et celui de 1999. Et cela devrait se poursuivre ainsi. Car l'originalité réside dans le fait que Bernard Loiseau est le seul cuisinier, si on excepte les chaînes de restaurants, à avoir tenté la cotation en Bourse dans son secteur. Il a essuyé les plâtres quand on le donnait pour perdant.
Prévisions de chiffre d'affaires atteintes
La seconde promesse tenue par Bernard Loiseau a été de réaliser un chiffre d'affaires
consolidé de 52 millions de francs en 1999 contre 37 millions de francs en 1998. Peu
d'observateurs le croyaient capable d'obtenir ce score en si peu de temps. Mieux, le
bénéfice net, avant impôt, s'établit à 7,9 millions de francs sur 1999, soit un ratio
de plus de 15 % sur les recettes. Grâce à ses chambres refaites à neuf dans les règles
de l'art, La Côte d'Or peut s'attendre à 'exploser' ses résultats d'exploitation à
partir de cette année. Cet hébergement va lui permettre de capter une nouvelle
clientèle, d'augmenter les recettes moyennes par client, et surtout d'obtenir une
meilleure rentabilité. Déjà au premier semestre 2000, l'hôtel a fait près de 30 % de
mieux en nombre de chambres louées par rapport à l'année précédente.
La troisième réussite du chef bourguignon a été d'uvrer dans le développement
du groupe Bernard Loiseau par diversification. Mais dans la cohérence. L'ouverture des
deux premiers restaurants parisiens, les Tantes - Louise et Marguerite -, représente
déjà un apport de chiffre d'affaires de 18 millions de francs pour sa société, sans
pénaliser les résultats. Tante Jeanne, le troisième restaurant dans la capitale, vient
d'arriver pour enrichir encore le groupe d'un nouveau point de vente. La boutique à
Saulieu, vendant des centaines de références de produits pour un panier moyen de 588
francs, est maintenant suppléée par la boutique en ligne sur le Web. Cette dernière
permet aux internautes de commander parmi une offre de 200 produits sélectionnés par
Bernard Loiseau, livrés sous 24 heures, ou sous 7 jours avec paiement sécurisé. Et
puis, le maître cuisinier persévère dans une activité lucrative de conseil auprès des
industriels de l'agroalimentaire, qui, complétée par les droits à l'image, rapporte au
groupe près de 4,5 millions de francs d'honoraires dans l'année. Quant à la maison
phare à Saulieu, l'ouverture vers d'autres cibles de clientèles est d'actualité. Après
la création d'une salle de séminaires et l'ajout de salles de banquets
sup-plémentaires, de salles de jeux, d'une bibliothèque, etc., il est encore prévu de
créer un centre de fitness et, à court terme, une piscine destinée à la clientèle
hébergée. A noter pour la bonne bouche que La Côte d'Or est une des seules grandes
maisons qui porte un soin particulier à l'accueil des enfants de ses clients : salle de
jeux, jardin d'enfants et plats spéciaux pour les petits sont proposés, sans parler des
ouvrages présentant des recettes à faire par nos petites têtes blondes, dont le dernier
Je cuisine comme un chef, chez Albin Michel Jeunesse.
Aux détracteurs qui trouvent que Bernard Loiseau est trop omniprésent dans les médias,
et que cela ne peut que l'enlever à ses cuisines, Dominique, sa femme et associée très
active, répond avec simplicité : "Bernard est bien plus présent à Saulieu
qu'avant. L'élaboration des plats cuisinés pour les partenaires industriels se fait à
La Côte d'Or. Les journalistes viennent le voir à Saulieu. Bernard n'est pas présent
chez les Tantes à Paris, ce qu'il n'a jamais caché. Il y a juste quelques émissions à
la télévision (moins qu'on ne croie) qui le retiennent dans la capitale. Mais c'est à
deux heures de chez nous et bien souvent il est là pour le service."
Omniprésent... chez lui
En fait, Bernard Loiseau est surtout omniprésent... à Saulieu, dans une maison qui ne
ferme jamais. Ses clients savent qu'ils vont l'y voir et c'est important pour eux. Comme
d'autres grands chefs, il est hyper entreprenant mais, contrairement à d'autres, il n'est
pas écartelé entre ses multiples activités qui sont toutes développées avec une
extrême homogénéité. A regarder de près l'organisation de ses affaires, on comprend
que Bernard Loiseau ne joue pas au boulimique. Il cherche seulement à financer et à
offrir un niveau de prestations digne de ce qu'attend sa clientèle. La Bourse l'a ainsi
obligé à mener des réalisations plus vite qu'il ne l'aurait fait sans elle. Mais elle
le lui a permis aussi en lui apportant de l'argent frais qu'il n'aurait pas trouvé
facilement et à moindre coût autrement. Pour l'heure, le plus gros des investissements
vient d'être réalisé sur La Côte d'Or avec les chambres Relais & Châteaux. Ce qui
suivra aura un coût très raisonnable et permettra au groupe d'accélérer son
désendettement. Mais aussi de se doter d'un trésor de guerre pour l'entretien de son
patrimoine et surtout pour créer de nouveaux restaurants satellites, voire un hôtel dont
on parle. Bien sûr, si le plus ardu et le plus difficile est derrière les Loiseau, il
leur reste du pain sur la planche. En premier, leur souci est maintenant de communiquer
vers leurs actionnaires boursiers qui détiennent 46 % du capital du groupe. Un document
qui leur est destiné vient d'être édité. L'objectif est de faire décoller l'action
car le titre, malgré les performances du groupe Bernard Loiseau est sous-évalué. C'est
sans doute un manque de communication financière attractive et en quantité qui est à
l'origine de ce défaut. Introduite à 7,47 euros en janvier 1999, l'action tourne autour
de 6,5 euros aujourd'hui. Pour autant, Bernard Loiseau est parvenu à convaincre qu'il
avait derrière lui une équipe forte, histoire de faire un pied-de-nez à ceux qui
craignent que l'entreprise puisse être trop lourde sur les épaules d'un seul homme.
Discours d'ailleurs contradictoire car, en Bourse, on veut que les entreprises survivent
à leur créateur, mais l'actionnaire est bien le premier à déguerpir à la moindre
inquiétude.
Commercialiser sur les marchés internationaux
Le groupe s'oriente également sur une commercialisation vers la clientèle étrangère.
Des actions promotionnelles commencent à être entreprises par Dominique Loiseau en
direction de l'Amérique du Nord et de l'Europe, sans compter l'ouverture du site
Internet. Un premier budget de 750 000 francs a été débloqué pour ces actions, dont
près de 2/3 sont couverts par une aide de la Coface. "Nous ne recevons
actuellement que près de 20 % de clientèle étrangère, alors que l'ensemble des Relais
& Châteaux en France en accueille 60 %. Nous avons ainsi une énorme réserve de
clientèle, et nos chambres refaites à neuf nous aident déjà à conquérir des clients
nord-américains", explique Dominique Loiseau. Si la durée moyenne de séjour
est courte à Saulieu, 1 à 2 nuits - comme dans le reste de la Bourgogne d'ailleurs -
l'activité séminaires et le futur centre de fitness vont permettre à La Côte d'Or de
garder ses clients un peu plus longtemps.
Fini le cafouillage de l'introduction au Second marché, agaçant la COB, dû à des
erreurs techniques des conseillers boursiers. C'est un souvenir éteint, balayé par un
chef d'entreprise qui a tenu ses promesses et qui en a récolté les fruits. Mais le
succès de Bernard Loiseau SA ne vient pas de la Bourse par elle-même. Il vient des
capacités de son patron et de ses équipes à travailler la qualité de leurs offres,
d'une stratégie intelligible et d'une énergie à toute épreuve. Avec un taux de
notoriété de 87 % lors d'un sondage Ipsos datant du mois de mai dernier, il est le chef
cuisinier le plus connu des Français. S'il n'est pas du genre à rouler des mécaniques,
Bernard Loiseau peut malgré tout commencer à savourer sa réussite financière... et
surtout à souffler un peu. C'est le pire qu'on lui souhaite.
M. W.
Dominique Loiseau, son épouse, ici entourée de l'équipe du restaurant
Tante Marguerite à Paris, est une femme très active au sein
du groupe bernard Loiseau.
Bernard Loiseau SA en chiffres
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L'HÔTELLERIE n° 2691 L'Hôtellerie Économie 09 Novembre 2000