Culture d'entreprise
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Le grossissement des chaînes et des groupes hôteliers a favorisé des phénomènes inattendus et pervers de concurrence interne. Franchisés mais aussi exploitants salariés donnent parfois, contre toute attente, des coups bas contre leurs collègues ou contre leur propre groupe.
Comme tous les commerçants,
les hôteliers et les restaurateurs sont bien sûr habitués à se battre face à des
concurrents généralement bien identifiés. Jusqu'ici tout est normal. Mais avec le
développement et les concentrations des groupes, on assiste de plus en plus à des
phénomènes larvés, voire éclatants, de concurrence interne. "C'est la plus
perverse ! L'ennemi n'est plus le concurrent qui vous mène légitimement la vie dure.
L'ennemi est entre vos murs. Il est assis dans votre salon, il utilise votre salle de
bains, il se sert dans votre frigo. C'est le collègue d'à côté qui joue en solo contre
le réseau ou qui vous plante un couteau dans le dos pour vous prendre un gros client",
explique Paul-Henri Verthiez, responsable du personnel chez un opérateur hôtelier.
Dans toutes les grandes entreprises, on connaît la chanson. Depuis toujours, les
rivalités entre cadres, les jalousies entre collègues, le carriérisme des uns, les
frustrations des autres, voire la bêtise, sont à l'origine des mesquineries d'usage.
Elles sont d'ailleurs souvent amusantes à regarder, mais seulement pour un observateur
extérieur. Tant qu'on lave son linge sale en famille, tout passe. Surtout que cela crée
parfois une forme d'émulation dans les équipes, même si celle-ci est stressante.
Actes déloyaux
Mais quand les antagonismes créent des incidents commerciaux néfastes et déloyaux pour
l'entreprise et, qu'en dehors, cela s'en ressent, alors rien ne va plus. "Plus une
chaîne ou une société est importante, plus il est difficile de contrôler ses acteurs.
Les fusions et reprises, avec du sang neuf et l'arrivée de gens qu'on ne connaît pas et
qui étaient souvent d'anciens concurrents, augmentent les risques", explique
Marie-Claude Archambaud, animatrice d'un réseau de franchise. L'hôtellerie n'échappe
pas à la règle, notamment parmi les grands opérateurs qui se sont constitués. Les cas
de guerre des prix entre hôtels d'un même groupe, de luttes commerciales pour conquérir
individuellement un gros portefeuille de clients, de non-renvois de clients vers un
collègue situé à quelques kilomètres lorsque l'hôtel est complet, et d'autres
péripéties aussi ubuesques, sont très répandus. Les directeurs régionaux tiennent de
plus en plus un rôle de modérateur et de régulateur pour assurer un pacte de
non-agression au sein même des réseaux.
"Lorsque nous voulons créer un nouvel hôtel dans une zone, nous avons
immédiatement nos franchisés sur le dos pour nous en empêcher, mais aussi parfois nos
propres directeurs de filiales qui nous mettent des bâtons dans les roues. Ils voient
notre projet comme une menace pour leur activité, explique un directeur de
développement d'une chaîne. Le plus souvent, nous devons cacher nos projets à nos
propres équipes pour éviter les justifications et les terrains minés. Quelque part, nos
concurrents sont plus faciles à traiter que nos partenaires." C'est bien connu,
on n'est trahi que par les siens.
Ainsi, a-t-on pu assister dernièrement en Bourgogne à une situation des plus
rocambolesques avec un cas d'école du genre "Comment nuire à mon employeur ?"
Le directeur salarié à la tête d'un hôtel, filiale d'un grand holding hôtelier, mais
également président du club hôtelier local, a fait campagne auprès des membres de la
CDEC avec ses collègues pour empêcher l'extension d'un hôtel d'une chaîne
économique... appartenant au même groupe qui l'emploie ! Tout a été utilisé, de la
lettre menaçante à la pétition signée par les hôteliers locaux, au lobbying complet
en bonne règle pour démontrer l'hostilité envers le projet. La CDEC a satisfait la
demande des hôteliers, emmenés par le fameux directeur d'hôtel, par un vote négatif
interdisant ainsi l'agrandissement de l'établis-
sement. A présent, le projet doit être soumis à la commission nationale, avec à la
clef une énorme perte de temps et d'argent. Inutile de dire que ce cadre 'empêcheur de
tourner en rond', ayant gêné son employeur dans son développement, aura des soucis à
se faire pour la suite de sa carrière. Ce cas est extrême, mais les situations de
concurrence interne ou d'actes déloyaux envers les siens sont de plus en plus courantes.
On les trouve quand un franchisé refuse de participer à des promotions lancées par son
réseau ; quand un franchiseur favorise systématiquement ses propres hôtels au travers
de la centrale de réservations ou de la prospection commerciale au détriment de ses
franchisés ; quand des exploitants cherchent constamment à acheter ailleurs qu'au
travers de la centrale d'achats de leur groupement ; quand un hôtelier adhère à
plusieurs chaînes volontaires différentes ; quand un directeur d'hôtel refuse
systématiquement d'ouvrir son planning à la centrale de réservations de sa chaîne.
Ce sont généralement des conflits entre hommes qui sont à l'origine de ces égarements.
Mais parfois, les systèmes d'intéressements sur l'activité de l'hôtel qu'ils dirigent
encouragent les directeurs d'exploitation à jouer à 'chacun pour soi'. "On me
colle des objectifs tellement ambitieux à atteindre que je ne fais pas de cadeau. Si un
client se présente à moi, je fais tout pour le garder, à n'importe quel prix. Pas
question de l'envoyer à l'Ibis d'à côté", se défend un directeur de chez
Mercure. Pour enrayer ces tendances au 'phagocytage', les groupes ont entamé des
politiques de places, avec des objectifs communs entre exploitants, histoire de leur
rappeler que leurs vrais concurrents sont à l'extérieur de la société.
Quand les rivalités se cultivent
Quelquefois, la concurrence interne peut être voulue. A l'instar du secteur des
pétroliers, des lessiviers ou de l'agroalimentaire, Accor a longtemps organisé la
rivalité entre ses marques hôtelières, histoire de dynamiser le marché et ses troupes.
Depuis 30 ans, le 3e groupe hôtelier mondial a connu une série de refontes des
organisations, les rendant tantôt monomarques, tantôt multimarques. Nourrir les
compétitions internes s'avère à la longue poser plus d'inconvénients que d'avantages :
dispersion, augmentation des coûts, perte de synergie, incohérences commerciales,
impossibilité de fonder une base de données centrale, surenchères de promotions,
inflation dans les prix moyens, démobilisation des équipes, etc.
Aujourd'hui, Accor, tout en valorisant chacune de ses marques, a trouvé des éléments
fédérateurs pour sauver la paix civile, et a même créé une direction transversale
chargée de mettre de l'huile dans les rouages et de limiter les surchauffes internes. Le
regroupement en deux pôles hôteliers, loisirs & affaires et économiques, a calmé
le jeu des indépendantistes. Pour autant, avec près de 150 hôtels dans Paris et 160
autour de la capitale, Accor doit aujourd'hui gérer les risques de concurrence interne et
de possibles autoparasitages. La reprise récente d'une quarantaine d'hôtels Libertel a
soudain obligé le groupe à accélérer sa démarche. "C'est plus dur d'être
concurrencé par un hôtel du même groupe que par un vrai concurrent. On se doit une
sorte de respect et de courtoisie qui demande des sacrifices", explique une
directrice d'hôtel. Tant que la demande continue à être forte, les hôteliers
réussissent plus ou moins bien à s'entendre. Mais, si la fréquentation devait à
nouveau s'essouffler, on risquerait de se disputer le bout de gras entre frères d'un
même clan.
M. W.
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L'HÔTELLERIE n° 2691 L'Hôtellerie Économie 09 Novembre 2000