Du côté des prud'hommes
Lors de la reprise d'un fonds de commerce, d'une gérance libre ou tout simplement du rachat d'une société, le nouvel employeur est tenu de reprendre le personnel en poste. Mais ce nouvel employeur peut vouloir un poste déjà occupé par un salarié. Cet argument permet-il de justifier le licenciement ?
L'article L.122-12 du Code du travail prévoit,
en effet, qu'en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur, les
contrats de travail en cours subsistent et se poursuivent dans les mêmes conditions.
Mais ce principe, éminemment protecteur des intérêts des salariés, se heurte parfois
aux intentions du nouvel employeur. C'est notamment le cas dans notre branche d'activité
où les toutes petites entreprises sont légion. Souvent, le nouvel employeur est décidé
à mettre la main à la pâte et à tenir un emploi.
Or, cet emploi peut être déjà occupé par un salarié. Que faire ? La liberté
d'entreprendre trouve-t-elle ici sa limite dans le droit à l'emploi du salarié ? Le
nouvel employeur peut-il procéder au licenciement de ce salarié ? Quels sont les droits
et obligations de chacun dans une telle situation ? Autant de questions auxquelles le
conseil de prud'hommes de Paris était tenu de répondre dernièrement.
L'obligation de reclassementLa Cour de cassation impose à l'employeur l'obligation, avant de procéder au
licenciement d'un salarié, de rechercher toutes possibilités de reclassement existantes.
Cette obligation mise à la charge de l'entreprise, doit être examinée, tant dans
l'entreprise que dans le groupe. |
Un couple d'employeurs reprend un restaurant...
Un petit restaurant de quartier où l'on trouve une ambiance familiale et une cuisine
goûteuse comme on l'aime. Celui-ci était tenu par un couple : lui en cuisine, elle en
salle, avec l'assistance d'une employée en qualité de serveuse.
Mais, après de longues et dures années de labeur, le couple décide de prendre une
retraite bien méritée et de vendre le restaurant. Cela intéresse, justement, un couple
de professionnels qui, à l'occasion de cette acquisition, pourra faire le grand saut :
devenir à leur tour patron. Au 1er janvier de l'année passée, ils reprennent
l'établissement et, en application de l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail,
le contrat de travail de la serveuse embauchée 10 ans auparavant. Malheureusement, ils
n'ont guère d'occupation à lui confier. Ils ont, en effet, tous les deux décidé de
prendre en charge le service en salle et de recruter un cuisinier professionnel. Dès le
lendemain de la reprise de l'établissement, ils convoquent donc la salariée à un
entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement. A la suite de cet entretien, ils
lui notifient son licenciement pour motif économique en raison de la suppression de son
poste de serveuse.
Elle ne l'accepte pas, et saisit immédiatement le conseil de prud'hommes afin d'obtenir
qu'il condamne ses nouveaux patrons à lui verser des dommages et intérêts pour
licenciement abusif.
... et se retrouve devant les prud'hommes
Arrivée devant le conseil de prud'hommes, la salariée soutient que son licenciement est
intervenu afin qu'elle 'laisse la place' à l'épouse du nouveau patron. Cela est
inadmissible et mérite réparation.
La Cour de cassation, à l'occasion de multiples décisions, a pu sanctionner le fait pour
un employeur de procéder au licenciement économique d'un salarié, puis immédiatement,
de pourvoir à son remplacement.
L'avocat de la salariée, fin connaisseur de la jurisprudence, cite notamment un arrêt
SARL Citem contre Rajaijne du 9 juillet 1992. A cette occasion, la Cour suprême avait pu,
en effet, juger abusif le licenciement économique d'un salarié pour suppression de
poste, alors même que ce dernier avait été immédiatement remplacé par le fils du
gérant. Par la suite, la salariée ajoute qu'à l'évidence il n'y a pas eu suppression
de son poste de travail puisque l'épouse du nouveau patron la remplace désormais. En
fait, son nouvel employeur voulait, selon elle, supprimer le salaire qu'il devait lui
verser en sa qualité de serveuse. Or, ajoute la salariée, la Cour de cassation n'admet
pas de telles pratiques. Dans un arrêt du 26 mars 1991, elle a pu juger que devait être
qualifié d'abusif le licenciement économique d'un salarié remplacé immédiatement par
un autre occupant le même emploi avec un salaire moindre.
Pour elle, cette affaire est entendue. Son licenciement est abusif. Son employeur doit lui
verser des dommages et intérêts qu'elle estime à 1 an de salaire.
Les arguments de défense de l'employeur
Face à cette argumentation particulièrement technique, le nouvel employeur entend faire
valoir des arguments de bon sens. Il explique d'abord qu'il a repris en nom propre avec
son épouse l'exploitation de ce restaurant. Auparavant, celui-ci était tenu par l'ancien
patron, cuisinier de métier, ainsi que par son épouse, occupée au bar et en salle avec,
pour l'assister, cette fameuse serveuse.
Bien évidemment, lorsqu'il a décidé, lui, de racheter cet établissement, il a été
contraint d'embaucher un cuisinier de profession en remplacement du patron parti à la
retraite. Lui-même ne disposait en effet d'aucune formation ou compétence en cuisine.
Pour sa part, il entendait avec son épouse reprendre à eux deux le travail en salle et
au bar.
Or, ni le chiffre d'affaires annuel, en constante diminution ces dernières années, ni
les rares bénéfices réalisés ne justifiaient l'emploi de 3 personnes en salle. Cette
affaire, les comptes de résultat en attestent, permet tout juste de dégager 120 000
francs de résultat par an pour le couple. A peine ce que le Smic peut procurer à un
couple en activité.
Autrement dit, il lui importait de procéder à la suppression du poste de serveuse tenue
par la salariée, en ce qu'il était justement un poste salarié, c'est-à-dire, un poste
pour lequel il devait verser un salaire. Il explique qu'il y a suppression du poste et,
par voie de conséquence, licenciement économique lorsque les tâches précédemment
confiées à un salarié sont reprises par l'employeur en personne ou par son épouse,
conjointe collaboratrice. Et cite à son tour la jurisprudence. Dans un arrêt en date du
20 janvier 1998, la Cour de cassation a pu confirmer le bien-fondé d'un licenciement pour
motif économique. Dans cette affaire, un employeur, pharmacien de son état, avait
procédé à la suppression d'un emploi de préparateur salarié. Il avait décidé
d'octroyer cette fonction à sa femme travaillant comme collaborateur bénévole.
Enfin, ce restaurateur de conclure, bien évidemment, que le reclassement de la salariée
après la suppression du poste de travail qu'elle occupait s'avérait impossible. En
effet, celle-ci était incapable de tenir le seul emploi salarié demeurant dans
l'entreprise, celui de cuisinier, et ce, même au prix d'une formation qualifiante.
Indemnité de licenciementUne indemnité distincte du préavis est accordée, en dehors du cas de faute grave ou lourde, aux salariés licenciés ayant au moins deux ans d'ancienneté ininterrompue dans l'entreprise. Cette indemnité est calculée comme suit : |
Jusqu'au jugement
Après avoir entendu les plaidoiries des parties, le conseil de prud'hommes s'est bien
évidemment retiré afin de délibérer et rendre son jugement.
A cette occasion, il rappelle, citant l'article L.321-1 du Code du travail, que le
licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la
personne du salarié, résultant d'une suppression d'emploi consécutif notamment à des
difficultés économiques, est un licenciement pour motif économique.
Or, selon le conseil de prud'hommes, il ressort des débats que :
w le restaurant a bien été acheté par un couple
d'employeurs exploitant en nom propre ;
w le chiffre d'affaires était en baisse constante, tout
comme les bénéfices commerciaux, revenus des exploitants, qui étaient faibles et
suivaient la même pente ;
w la salariée était bien la seule personne employée
jusqu'au rachat de l'entreprise, date à laquelle un cuisinier fut embauché ;
w aucun recrutement au poste de serveuse n'est intervenu, le
couple d'employeurs ayant décidé d'exécuter les tâches de la salariée ;
w enfin, aucun reclassement de la salariée n'était
possible.
Le conseil de prud'hommes conclut que le maintien de la salariée dans l'entreprise était
impossible et que son licenciement pour motif économique n'est pas abusif. Il déboute la
salariée de ses demandes en dommages et intérêts. Selon le conseil de prud'hommes,
l'employeur peut donc supprimer un poste salarié et reprendre lui-même, ou son conjoint
collaborateur, les tâches précédemment confiées au salarié, dès lors qu'il le
justifie et, bien évidemment, qu'il respecte les droits de son salarié. En l'espèce,
l'employeur n'avait pas manqué de mettre en avant le faible chiffre d'affaires réalisé
par le restaurant. Il avait ainsi respecté scrupuleusement la procédure de licenciement,
examinant notamment toute possibilité de reclassement.
Enfin, il avait reconnu à la salariée ses droits à préavis, indemnité de licenciement
et autres heures pour recherche d'emploi.
F. Trouet - SNRLH
Un exemple similaire La reprise d'un bar-tabac-PMU par un trio d'associés Dans une récente affaire soumise à l'appréciation du
conseil de prud'hommes de Paris, une salariée venait contester son licenciement pour
motif économique. |
Procédure de licenciement individuelle
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- de 6 mois | de 6 mois à - de 2 ans | + de 2 ans | ||||
Cadres | 1 mois | 3 mois | 3 mois | |||
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Maîtrise | 15 jours | 1 mois | 2 mois | |||
Employés | 8 jours | 1 mois | 2 mois |
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L'HÔTELLERIE n° 2705 Hebdo 15 Février 2001