Michel Trama
Depuis 22 ans, Maryse et Michel Trama cultivent la recherche des sens et de la perfection dans leur fief de Puymirol, leur Relais & Châteaux perché sur la colline, au cur du Lot-et-Garonne. Parcours étonnant d'un couple venu d'ailleurs, atypique et exigeant, que rien ne destinait à atteindre les étoiles.
L'Atelier des Sens à peine terminé, un lieu d'exception voué à l'apprentissage de la cuisine, Michel et Maryse Trama sont déjà sur un autre projet qui devrait être achevé au printemps. L'architecte Jean-Louis Coste signera avec Yves Boucharlat Le Cloître, un lieu inspiré du célèbre cloître roman de l'abbaye de Moissac. Cette réalisation est en quelque sorte un aboutissement pour Michel, un chef doublement étoilé qui, à 53 ans, n'entend pas s'endormir sur ses lauriers. "Ce projet, c'est un peu une folie", confie Maryse, plus loquace et plus exubérante que sa tendre moitié.
Des voyages lointains
En matière de défi, Michel en connaît un rayon. Naissance à Constantine dans une
famille de pieds-noirs d'origine italienne, envol à 16 ans vers les Etats-Unis où il
décide durant 4 ans de suivre des cours de sociopsychologie à l'université de
Washington. Puis retour en France, pour cette fois percer le mystère de l'art et de la
matière en suivant une année Arts Décos à l'atelier d'Ingres à Montparnasse. Restait
un dernier élément à apprivoiser : l'eau. Son monitorat de plongée sous-marine en
poche, il se destine à des voyages lointains... Mais Cupidon veille. A 21 ans, il
rencontre Maryse, alors jeune hôtesse d'accueil au Bourget. "Il devait partir en
expédition avec le commandant Cousteau, je lui ai dit si tu veux des enfants, ce sera
avec lui ou avec moi." Michel le bourlingueur, prêt à vivre toutes les
expériences pourvu qu'elles ne se ressemblent pas, n'hésite guère. Son retour à terre
passe par des petits boulots. Employé chez un torréfacteur, il devient ensuite serveur,
puis maître d'hôtel... Avant de prendre en gérance un petit bistrot de 20 couverts rue
Mouffetard à Paris. Et lorsqu'il doit remplacer au pied levé son cuisinier, c'est la
révélation. Ce pur autodidacte ne connaîtra durant sa carrière qu'une seule maison :
la sienne. Deux ouvrages lui tiennent lieu de référence : Escoffier et La
cuisine gourmande de Michel Guérard. Pour ses débuts, c'est Maryse, fille et
petite-fille d'une lignée de cuisiniers lyonnais, qui lui souffle des recettes. La
cuisine bourgeoise était son pain quotidien. "Après cinq années passées dans
notre bistrot, Michel avait besoin d'un autre cadre pour s'exprimer, explique-t-elle. Il
lui fallait de l'espace, on n'avait pas un sou." Seule solution, la province. Ce
sera en 1978 à Puymirol, un village de 400 habitants, dans une superbe bastide du XVIIIe
siècle perchée à 1 246 mètres dans l'Agenais. Ici, un restaurant à l'abandon est en
vente. 2 000 m2 sur deux niveaux, quasiment en ruine, de la pierre et un charme fou...
L'affaire se conclut. Michel reconnaît l'inconscience de ses 31 ans : "La
première année, si on faisait 20 couverts dans la semaine, c'était bien ! 1981 fut tout
aussi minable, on ne nous connaissait pas, personne ne nous attendait." Mais en
1981, alors que Michel décide de jeter l'éponge, le guide Michelin couronne
L'Aubergade de 1 étoile. "On n'a rien compris, le ciel nous tombait sur la tête."
C'est alors la grande déferlante. De rachat en rachat, l'établissement s'agrandit et
ajoute, avec l'aide du conseil général et le soutien du président Jean-François
Poncet, un hôtel de 10 chambres, Les Loges. Ainsi, le Relais Gourmand se double d'un
Relais & Châteaux. Et un succès jamais démenti : avec 17 employés l'hiver, 25
l'été, cette charmante maison réalise 25 700 couverts en 1999, et le taux d'occupation
annuel avoisine les 60 %, une gageure dans ce coin reculé.
Les cinq sens
Ce qui plaît ici ? Tout ! Bien sûr il y a le cadre, luxueux, lumineux, mélange
audacieux d'ancien et de contemporain reflétant la personnalité éclectique et hors
normes de ses propriétaires. Chaque pièce est un monde en soi, de la première salle à
manger de 30 couverts, habillée de tissus Designer Guild, décorée de torchères
murales, en passant par la simplicité presque monacale de la seconde salle à manger
destinée aux petits groupes, jusqu'au fumoir étonnant, mêlant fauteuils club en cuir
fauve à des chaises indonésiennes pour déguster la superbe cave abritant plus de 2 000
cigares, passion partagée par le couple pour le havane. Et puis il y a la cuisine de
Michel Trama, éclatante, inventive, dans le respect de la tradition, du beau produit.
Michel Trama se fie à son instinct plus qu'aux modes, guidé par un nez étonnant auquel
rien n'échappe. Ses inspirations sont multiples. Il le dit : "Je me sens
pied-noir, français, italien, juif, arabe... Ma cuisine est le reflet de toutes ces
influences, proche de la cuisine méditerranéenne mais avec une identité forte."
Aussi, aux côtés de ses classiques, Papillote de pomme de terre à la truffe, Hamburger
de foie gras chaud aux cèpes, Lasagne de homard au fumet de truffe, il crée avec comme
ambition "d'aiguiser, de satisfaire nos cinq sens". Toujours un crayon et
un bloc à la main, il note sans cesse une idée née d'une conversation, d'un air de
musique, d'un rêve ou de la contemplation d'un paysage. Toujours en mouvement, l'homme
semble monté sur ressorts.
Le projet du Cloître sera l'aboutissement d'un parcours de 22 ans. Il s'annonce
étonnant. Demain, entre le restaurant et l'hôtel séparés aujourd'hui par une simple
cour, s'élèvera un cloître inspiré par l'architecture de ces édifices du Moyen Age,
mais revisité afin d'accueillir ici de nouvelles cuisines, là un espace de restauration
ouvrant sur un jardin planté de cyprès... et bien d'autres choses encore. "Ce
sera surprenant", promet Michel Trama. Rendez-vous dans trois mois.
B. Ducasse
Pour Michel et Maryse Trama, le projet du Cloître sera l'aboutissement d'un
parcours de 22 ans.
En dates31/01/1947 |
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L'HÔTELLERIE n° 2708 Hebdo 8 Mars 2001