Crue de la Saône
La crue de la Saône a occasionné de nombreux dégâts. Si les professionnels des CHR admettent un évident manque à gagner, ils prennent en général la situation avec philosophie...
Paul Bocuse confie son
attachement à sa... chère voisine avec qui il a grandi : "La Saône, c'est ma
vie. Quand je suis à l'autre bout du monde, la nostalgie me saisit lorsque je pense à
elle. Mes contemporains regardent le soleil ou cherchent le Nord pour savoir où ils sont.
Moi, je n'ai besoin que de voir couler la Saône."
Dans son livre, La bonne chère, la Saône, où il braconnait gamin avec son père
avant de plonger, plus tard, au secours des noyés, fait partie de son univers. Ses
caprices, il connaît.
A Collonges-au-Mont-d'Or, tout a débuté le mardi 20 mars avec une première montée des
eaux. Puis après une trompeuse accalmie, elle s'est accéléré les jeudis 22 et vendredi
23.
De nombreuses routes coupées, des communes isolées et la cote d'alerte souvent
dépassée. Plus en amont, la crue de la Saône était à 6,50 m avec un débit aux
alentours de 4 000 m3/s.
"Il y a peu de temps encore, tous les riverains avaient un bateau, et nous
n'avions alors besoin d'appeler personne à la rescousse en cas de crue. Mon grand-père
disait toujours qu'il fallait acheter une maison quand la crue était là et la revendre
au 14 juillet."
En matière de crue, Paul Bocuse n'oublie pas les grands millésimes : en 1945, "ce
fut exceptionnel car les ponts de Lyon, qui avaient sauté, faisaient barrage" ;
en 1958, "l'eau était montée dans le restaurant" ; et en 1983, "où
l'eau était à peine un peu moins haute que cette année".
La semaine dernière fut, pour certains, cauchemardesque. Les plus prévoyants disposant
de pompes ont pu évacuer l'eau infiltrée dans les sous-sols. Par contre, rien à faire
pour les routes, inondées par la montée des eaux et coupées. "Lorsqu'elles ont
été construites, il y a 20 ou 25 ans, les Ponts et Chaussées nous avaient assuré
qu'elles ne seraient pas inondables", remarque Paul Bocuse.
Chez lui, l'Auberge a fonctionné quasi normalement, malgré les voies d'accès fermées
et le pont de Collonges coupé. Et Gérard Collomb, élu le matin même maire de Lyon, a
bravé les eaux pour offrir à sa famille, le dimanche 25, son premier repas... officiel.
Les clients sont arrivés par l'arrière du restaurant qui est resté accessible.
L'Auberge a fonctionné quasi normalement, malgré les voies d'accès fermées et
le pont de Collonges coupé.
Pour l'Abbaye, le problème était plus complexe. Certes, une soirée de 400 couverts a
pu se dérouler... grâce à un accès par l'arrière et une marche à pied de quelques
centaines de mètres. Par contre, l'établissement a été fermé pour plusieurs jours
dès le samedi 24 et les réceptions programmées - dont celle du congrès mondial des
Maîtres cuisiniers de France 'tombée à l'eau' - ont du être annulées. "On va
perdre un millier de couverts, mais cela ne changera rien au bilan de fin d'année",
philosophe Paul Bocuse.
Dans le voisinage, Comme en Provence est fermé depuis une semaine puisque la voie
d'accès qui passe devant chez Bocuse est impraticable. Et le tout nouveau propriétaire
du Robinson sur l'île Roy a vu son établissement submergé et détruit par les eaux...
Un peu plus loin, Jean-Christophe Ansanay, après avoir fait transporter ses clients en
Range Rover, s'est résolu à boucler son Auberge de l'Ile pendant quelques jours. "Davantage
à cause de la fermeture des voies d'accès que de dégâts dans le restaurant où la
pompe de relevage a bien fonctionné. Nous avons décommandé quelques réservations et
mis le personnel en chômage technique. Pour le reste, la perte d'exploitation jouera pour
les assurances si la crue est classée catastrophe naturelle."
Comme en Provence est fermé depuis une semaine puisque la voie d'accès qui passe
devant chez Bocuse est impraticable.
L'hôtel Lyon Métropole noyé...
En 1983, l'inauguration de l'hôtel Lyon Métropole -118 chambres - avait dû être
repoussée de trois semaines... en raison de la crue de la Saône. Sur le quai Joseph
Gillet, à la limite des villes de Lyon et de Caluire, l'établissement est tout près de
l'affluent du Rhône. Celui-ci a fait quelques caprices avec une brusque montée de 40 cm
vendredi dernier, occasionnant 2 m d'eau dans les sous-sols. "Outre le garage, ce
sont les locaux techniques avec les pompes à chaleur que nous venions de changer, les
machineries de l'ascenseur, les câbles électriques et le groupe froid des chambres
froides", explique François Contensou, directeur de l'hôtel.
La réunion d'une cellule de crise a abouti à l'évacuation des quelques clients et à la
fermeture du restaurant et de l'hôtel, devenus inaccessibles, et où seule une permanence
était assurée. "Nous avons fait le choix qui s'imposait. Nous n'avons pas de
problème d'eau dans les chambres où rien n'a été dégradé mais, malgré la décrue
annoncée, il faudra du temps pour expulser l'eau du sous-sol et remettre en état le
complexe sportif."
A ce moment-là, il sera possible de dresser l'état des lieux, d'entamer les recherches
et de fixer les dégâts. "Tout dépendra du classement ou non en catastrophe
naturelle. Pour le personnel, nous n'avons pas envisagé le pire, c'est-à-dire le
chômage technique, mais proposé des roulements permettant de récupérer des jours de
repos. La reprise de service est fixée le 2 avril où nous espérons que tout sera en
état, mais d'ici là, et sous réserve de confirmation de la décrue, nous aurons un
immense travail", dit encore François Contensou. Ironie du sort : la catastrophe
est arrivée alors que des travaux venaient d'être effectués, et que les clients
pouvaient, en particulier, bénéficier de salles totalement rénovées. "Notre
commercialisation est stoppée", constate le directeur.
Ironie du sort pour l'hôtel Lyon Métropole : la catastrophe est arrivée alors que
des travaux de rénovation venaient d'être effectués.
Bord de Saône, pieds dans l'eau
Gros souci à Saint-Laurent-sur-Saône, sur la rive gauche de la rivière, face à Mâcon.
Depuis le début du siècle, le bord de l'eau accueille des restaurants. En 1992, Georges
Blanc y a ouvert sa première antenne hors Vonnas : le Saint-Laurent, une brasserie
dirigée par Laurent Comba, qui tourne à 150 couverts/jour. "Nous avons vu monter
l'eau dès le week-end dernier. Après un semblant d'accalmie, tout est allé très vite",
précise Laurent Comba qui s'est tenu informé auprès du service de la Navigation qui a
parfaitement joué son rôle en la matière.
"Le mardi 20, compte tenu de la situation, nous avons décidé de fermer le
restaurant. Il y avait déjà 1,25 m d'eau dans la cave et un peu d'eau sous la véranda.
Certains clients qui avaient réservé ont annulé, d'autres nous ont adressé des
encouragements bienvenus. Pour le personnel, outre ceux qui étaient en vacances, nous
avons décidé de donner des jours de récupération, parfois par anticipation."
Fatalement, il y aura un manque à gagner, mais le plus contrariant pour cette maison bien
tenue est que les travaux récents ont été anéantis. "Cela démontre que nous
ne sommes pas grand-chose face à la nature. Mais je pense malgré tout que ce genre de
catastrophe peut être positif pour souder une équipe", relativise Laurent Comba
qui sait que les travaux de remise en état seront longs... Plus bas, sur le quai
Bouchacourt, William Josserand a dû fermer sa Tête de Lard sans savoir avec précision
quand il pourra rouvrir, puisqu'il reste 30 à 40 cm d'eau et que la Saône redescend
très lentement. A L'Autre Rive, Vincent Rivon, qui s'était installé l'année dernière,
et avait investi dans une véranda terminée à la fin de l'année, trouvait la situation
"rageante" pour n'en pas dire plus. Pour Nicole Robin au Bouchacourt, les
problèmes coïncidaient avec la fermeture annuelle. Les dégâts seront donc matériels,
sans perte de clientèle, mais... "nous avons contacté les assurances, et
concrètement, il faut laisser l'eau partir. Le temps passé à nettoyer est très
difficilement chiffrable, sans compter que beaucoup vont croire que nous sommes encore
fermés", conclut Laurent Comba.
"Vous savez, il y a quand même des gens plus malheureux que nous",
relativise Emile Job. A Montmerle-sur-Saône, l'Hôtel-Restaurant du Rivage est
difficilement accessible. L'eau est dans les caves et il faut pomper pour mettre hors
d'eau. "Cela nous enlève un peu de clients et il y aura beaucoup de nettoyage,
c'est certain..."
J.-.F. Mesplède
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L'HÔTELLERIE n° 2711 Hebdo 29 Mars 2001