Inondations dans la Somme
La surprise est totale pour la plupart des sinistrés de la basse vallée de la Somme, envahis par une sournoise et persistante infiltration de nappe. Pour certains, les effets de l'inondation peuvent durer des mois. La solidarité locale est réelle, le syndicat est sur les dents. Les sinistrés veulent comprendre et soupçonnent une faute de gestion de la voie navigable.
Une inondation majeure plus
que centennale, l'état de catastrophe naturelle reconnu quelques semaines après les
élections, l'exposition en première ligne face au désastre... Michelle Delage ne se
doutait pas à quoi elle s'exposait en s'engageant aux dernières élections dans le
combat municipal. Elue quatrième adjointe au maire d'Abbeville avec délégation au
commerce (entre autres), la patronne du restaurant Le Châteaubriand, à deux pas de la
mairie, délègue beaucoup à René son mari, aux fourneaux, et désormais en salle quand
il le faut. "Je pensais partager ma journée en deux, entre l'affaire et le
conseil municipal, mais depuis une semaine, c'est toute la journée", reconnaît
cette fonceuse. Et elle ne dort pas beaucoup non plus. Il faut recenser les sinistrés,
prendre des photos, écouter, noter, souvent aller sur place car l'électricité et le
téléphone sont coupés, résoudre des problèmes pratiques urgents (l'accès, les
évacuations parfois), mettre en uvre une chaîne de solidarité "réelle et
efficace", indique-t-elle, et parler à des patrons parfois en pleine détresse
morale. Une dizaine de professionnels abbevillois est touchée, dans la basse ville près
de la gare essentiellement, mais aussi dans les faubourgs de Rouvroy et des Planches. Au
total, une vingtaine d'affaires dans l'agglomération sont fermées. D'autres encore
rencontrent de sérieuses gênes d'exploitation avec des caves inondées et des fûts de
bière noyés. Dans l'ensemble du département, "environ 40 professionnels ont
fermé leur affaire. Pour eux, nous avons pu obtenir de la DDTEFP (Direction du
travail, de l'emploi et de la formation professionnelle) le chômage technique complet,
une exonération de cotisation d'assurance maladie, le report des autres cotisations
fiscales et sociales, et la suspension des poursuites pour les affaires déjà en
cessation de paiement avant la catastrophe", estime Jean-Claude Després,
président de l'Umih 80. Comme d'habitude, les assurances sont très diverses, le risque
de perte d'exploitation plus ou moins couvert, les franchises et exclusions bien
présentes. Surtout, on ne voit pas la fin du sinistre, tant le niveau de l'eau descend
lentement. Pour la plupart, le problème est devenu aigu à partir du dimanche 7 avril.
Une semaine plus tard, les sinistrés déclaraient tous s'installer dans la durée.
Ce problème est déjà assez lourd. Mais il ne faut pas oublier les sinistrés
économiques, c'est-à-dire, les hôteliers et restaurateurs des stations de la côte -
Saint-Valéry, Le Crotoy, Quend et Fort-Mahon. "Là, le problème n'est pas
l'inondation elle-même, qui épargne totalement ces petites villes, mais la vague brutale
d'annulations de séjours de la part des Parisiens, des Anglais et des Néerlandais,
habitués de la station", dénonce Jean-Claude Després. Cela en pleine fête de
l'Oiseau en baie de Somme, l'attraction de l'année. Il faut donc faire savoir que toute
la Somme n'est pas inondé. "Le quartier médiéval de Saint-Leu à Amiens,
construit entre des canaux au ras de l'eau, n'est paradoxalement pas atteint,
remarque-t-il. Deux restaurants sont touchés dans la ville, mais dans d'autres
quartiers également." Il est trop tôt pour faire les comptes. Mais les deux
additions, ajoutées l'une à l'autre, seront saumâtres. Quant aux causes, on en parlera
plus tard. Le préfet de la Somme se fâche à l'évocation de la rumeur : un déversement
du trop-plein du bief de partage du canal du Nord dans la Somme. Trop gros pour être
vrai, mais le résultat, en tout cas, est incompréhensible.
Désemparés
L'Auberge du Colvert, route de Rouen à
Mareuil-Caubert, est injoignable. Submergée à hauteur du haut de la fenêtre au
rez-de-chaussée, plus de téléphone ni d'électricité bien sûr. Et quel avenir ? Le
jeune couple qui vient d'ouvrir ne pouvait asseoir une assurance perte d'exploitation sur
un historique inexistant. Pas de trésorerie d'avance, et une confiance plus
qu'ébranlée. Autour de la gare, le spectacle est surréaliste. L'Etoile d'Istanbul, et
en face, le café Le Narval, sont encore ouverts. Au Narval, les fûts de bière et les
armoires à tabac sont sous l'eau. Le patron a pu sauver son stock de cigarettes. Il reste
ouvert, mais la baisse de fréquentation est énorme. Car la gare, un très beau bâtiment
classé, est totalement inondée. Fermée pour au moins deux à trois mois selon les
riverains. Plus un chat dans le quartier. Mais le pire, c'est en bas, au Buffet de la Gare
que tient Marie-Thérèse Delarue. Elle a fermé le 7 avril. Depuis, elle sert seulement
un café de temps en temps aux cheminots en mal de réconfort. Des cheminots qui l'ont
tant aidée : "J'ai trois pompes qui rabattent l'eau en permanence. Il fallait
descendre toutes les deux heures la nuit pour aller les surveiller. Au bout de quelques
jours, je ne tenais plus. A présent, ils viennent à ma place." Le restaurant
est une île. Les ouvertures sont colmatées, on patauge dans 2 cm d'eau. Sous le choc,
elle parle d'une voix monocorde : "Je ne crois pas que je rouvrirai. J'ai perdu
mon mari (N.D.L.R. : une figure de la profession, ancien secrétaire général du
syndicat) il y a 6 ans. Je me suis battue pour cette concession. Mais là, trois mois
sans travailler et les dégâts... Je paye 30 000 francs de prime d'assurance, surtout
pour la responsabilité civile."
A 2 km de là, au P'tit Marais, le marais est immense. Il a tout envahi. Philippe
Duponchel s'active avec deux ouvriers d'une entreprise autour d'une pompe dans sa cuisine
neuve. 500 000 francs investis pour se mettre aux normes d'hygiène. Ce traiteur avait
décidé de devenir restaurateur pour amortir l'investissement. Justement à partir de
cette semaine. La salle de restaurant est à peu près épargnée. La cuisine, un peu plus
basse, est envahie. Il faut pomper. Sur la terrasse, on patauge dans 10 cm d'eau. Le grand
jardin est invisible, et ses plantations récentes sont perdues.
Le P'tit Marais, à deux kilomètres d'Abbeville. Philippe Duponchel, traiteur,
patauge dans 10 cm d'eau. Il a décidé d'élargir son activité à la restauration et a
investi 500 000 francs dans une cuisine aux normes, désormais sous l'eau...
Michelle Delage, 4e adjointe au maire d'Abbeville.
Au Buffet de la Gare d'Abbeville, une île auprès d'une gare submergée et
indisponible pour au moins deux à trois mois.
Recommandations Aux sinistrés de la profession, Michelle Delage recommande si ce n'est fait de contacter Mme Claudel ou M. Petit à la Caisse maladie régionale pour une demande d'exonération (et non pas seulement de report) de la cotisation du trimestre. Pour l'Organic de l'hôtellerie, contacter le syndicat. |
Au Narval, café- tabac face à la gare, c'est 'seulement' la cave qui est
inondée avec les fûts et les armoires à tabac. Mais la clientèle a quasiment disparu.
Pour combien de temps ?
Marie-Thérèse Delarue, patronne du Buffet de la Gare, épuisée et désemparée
:
"Je ne crois pas que je rouvrirai."
Vos commentaires : cliquez sur le Forum des Blogs des Experts
L'HÔTELLERIE n° 2714 Hebdo 19 Avril 2001